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Les États-Unis ont déjà perdu la guerre

Publie le samedi 29 mars 2003 par Open-Publishing

Posté par Dissident-media.org

Les raisons de l’opposition de la France, de l’Allemagne et de la Russie à Bush !

Le monde est en train de changer profondément comme en témoigne l’opposition de la France, de l’Allemagne et de la Russie à l’intervention américaine en Irak. Que Paris s’oppose à Washington, cela se concevait, mais qui aurait pu imaginer que l’Allemagne décroche de son alliance avec les États-Unis, que la Turquie s’oppose à la présence sur son territoire de troupes américaines et que la Russie se joigne à la France et à l’Allemagne ?

Aurions-nous surestimé la puissance américaine ? Notre capacité d’analyse est-elle paralysée par une sur-consommation de Noam Chomsky ? Oui, s’il faut en croire Emmanuel Todd dans Après l’empire, Essai sur la décomposition du système américain, un livre qui est un must pour comprendre le monde actuel.

Emmanuel Todd souligne que l’Amérique de Chomsky est intemporelle, toujours la même, puissante et impériale, et qu’on ne trouve chez Chomsky « aucune conscience de l’évolution du monde ».

Au contraire, Emmanuel Todd nous présente une Amérique de plus en plus dépendante économiquement et dont l’appareil militaire, même gonflé par les récents budgets, est sous-dimensionné pour contrôler un empire.

Le déclin de l’empire américain

Emmanuel Todd ressuscite le débat des années 1980 sur le déclin économique des États-Unis, un temps occulté par le développement de la soi-disant « nouvelle économie ». La donnée fondamentale de l’état de l’économie américaine est le gonflement énorme de son déficit commercial. Il est passé de 100 milliards en 1992 à 450 milliards en 2000. L’Amérique consomme ce que le reste du monde produit. Comment peut-elle le faire ? Avec les capitaux du monde entier dont le flux vers les États-Unis est passé de 88 milliards en 1990 à 865 milliards en 2001.

À l’aide de statistiques, Todd démontre que ce transfert de capitaux profite, depuis 1994, à toutes les classes de la société américaine en dépit de l’inégalité qui s’est creusée entre les classes depuis 1980. C’est le tribut impérial qui est prélevé sur les autres peuples du monde.

Cependant, le tribut est fragile. Le choix des États-Unis comme lieu de placement privilégié révélait une préférence pour la sécurité garanti par un système économique, politique, bancaire et monétaire sûr. Mais les choses ont changé par suite, non des attentats du 11 septembre, mais du scandale financier de Enron qui a vu les investisseurs perdre des milliards de dollars.

Todd prédit que les investisseurs européens, japonais et autres en auront bientôt assez de se faire plumer par Wall Street. Il pourrait en résulter une panique boursière d’une ampleur jamais vue suivie d’un effondrement du dollar, enchaînement qui aurait pour effet de mettre un terme au statut économique « impérial » des États-Unis.

Le centre de gravité se déplace vers l’Eurasie

La globalisation de l’économie fonctionne à un niveau mondial, mais également à un niveau régional par continent ou sous-continent, note Todd. Un des effets les plus profonds de la globalisation est le déplacement du centre de gravité économique du monde vers l’Eurasie, ce qui tend à isoler l’Amérique.

La guerre contre le terrorisme agit comme un révélateur d’un véritable antagonisme entre l’Europe et l’Amérique. La création de la zone euro a mis les pays européens à l’abri d’éventuelles représailles économiques ciblées des États-Unis. Le potentiel industriel européen, maintenant supérieure à celui de l’Amérique, explique la nouvelle configuration des forces, dont le rapprochement de la Russie du couple franco-allemand.

La stratégie américaine à l’égard de la Russie était sa désintégration et empêcher son rapprochement avec l’Europe. C’est un double échec. La Russie est en train de renaître au plan économique et a su maintenir son influence sur les pays de la Communauté des États indépendants.

Elle se rapproche de l’Europe avec laquelle ses échanges économiques sont de 7,5 fois supérieures à ce qu’ils sont avec les États-Unis. Todd rapporte ces propos significatifs de Vladimir Poutine prononcés dernièrement à Berlin : « Je pense que l’Europe consoliderait sa réputation en tant que puissance mondiale véritablement indépendante, si elle associait ses capacités à celles de la Russie, avec les ressources humaines, territoriales et naturelles, avec le potentiel économique, culturel et DE DÉFENSE de la Russie ».

La Russie offre donc à l’Europe la dissuasion nucléaire qui lui faisait défaut dans son affrontement avec l’Amérique.

La Turquie se trouve également dans la zone euro et le Japon sera aussi attiré dans l’orbite européenne. En 1993, les investissements japonais en Amérique étaient le double de ses investissements en Europe. Aujourd’hui, les proportions sont renversées.

Reste la Grande-Bretagne dont le choix ultime d’une entrée dans l’euro ou d’un refus de l’euro sera capital. Dans l’état actuel de déficience productive américaine, l’entrée de la City dans le système européen pourrait faire basculer l’équilibre du monde, prédit Todd.

L’obsession du pétrole

La chute de l’efficacité économique des États-Unis les mène, selon Todd, à une véritable obsession du pétrole arabe. Les États-Unis n’ont pas un besoin essentiel de ce pétrole, puisqu’ils produisent eux-mêmes la moitié du pétrole qu’ils consomment et peuvent s’approvisionner au Canada, au Mexique, au Venezuela et dans d’autres pays.

Mais ils veulent contrôler le pétrole du monde, particulièrement celui de l’Europe et du Japon, comme arme pour compenser leur faiblesse industrielle. Mais si le pétrole du Moyen-Orient n’est plus disponible, la Russie pourrait alimenter ses nouveaux alliés européens et japonais.

Une réputation militaire surfaite

Reste aux États-Unis à faire démonstration de leur puissance militaire pour intimider ses concurrents. Mais leur action est loin d’être concluante, d’après Todd. D’abord, parce que Washington s’en prend à des États insignifiants d’un point de vue militaire, comme l’Irak.

Ensuite, bien que bénéficiant d’une supériorité aréonavale indiscutable, ses forces terrestres sont d’une extrême faiblesse. Rien n’a changé depuis la Deuxième guerre mondiale remportée, rappelle Todd, par les troupes soviétiques. Une faiblesse confirmée lors des guerres de Corée et du Viet-nam, auquel s’ajoute le handicap de devoir gagner des guerres sans pertes humaines..

Les États-Unis ont déjà perdu la guerre qu’ils s’apprêtent à engager, selon Emmanuel Todd dont le livre Après l’empire est une mine de réflexions stimulantes et souvent inquiétantes sur l’avenir du monde.

Pierre Dubuc