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DROIT DE GREVE ET SERVICE PUBLIC

Publie le vendredi 6 février 2004 par Open-Publishing
2 commentaires

(Contribution de Patrick MIGNARD)

Lors de chaque mouvement de grève, dans les services publics, revient sur le
tapis la question du « service minimum ». Appelé de ses v ?ux par la droite, gênant
aux entournures la gauche, hérissant au delà du supportable les organisations
syndicales, souhaité par une partie des usagers qui trépignent sur les quais
de gare, les pouvoirs publics ne savent pas trop comment traiter le problème.

Coincée entre le droit de grève, qui est constitutionnel, et la continuité du
service public, qui l’est aussi, la garantie de l’un risque de limiter l’exercice
de l’autre. On ne voit pas très bien comment on pourrait assurer la continuité du
service public sans limiter le droit de grève, puisque la grève c’est justement
un « arrêt collectif du travail ayant pour but de faire pression sur l’employeur
en bloquant la production ». Il y a donc là, et le gouvernement actuel l’a bien
vu, un point de levier pour remettre en question le droit de grève, sinon totalement
et dans son principe, du moins dans certains cas ? ce qui peut évidemment constituer
un début.

Cette situation existe depuis 1945, date à laquelle ont été créés les grands
services publics mais, la situation a pris une réelle ampleur du fait, d’une
part du développement colossal des transports publics, lié à l’éloignement toujours
plus grand du lieu de travail par rapport au domicile mais aussi, du fait de
la dégradation importante des entreprises de services publics lié à la marchandisation
et rentabilisation de celles-ci. Une grève dans les chemins de fer ou le métro
est devenu un phénomène social tellement elle est perturbante.

L’attitude du gouvernement dans cette situation de conflit est parfaitement logique.
Il se doit de « gérer » le mécontentement des usagers (qui est une réalité que
l’on aurait tort de négliger ? je vais y revenir) qui sont les principaux gênés
et ce d’autant plus qu’il est le premier concerné puisque garant de la gestion
de ces entreprises il a des comptes à rendre sur les raisons du conflit, d’autant
plus également que ce sont des électeurs-trices. Mais, et là est l’astuce, en
mettant en avant le « mécontentement des usagers » il arrive à dévier le problème
et à ne braquer les projecteurs que sur les conséquences et jamais sur les causes
faisant ainsi assaut d’une démagogie d’une incontestable efficacité. Il en rajoute
même (et pourquoi se gêner ?) en montrant du doigt ces « salariés-privilégiés-qui-ont-un-emploi-et-la-sécurité-de-cet-emploi ».
Il peut ainsi dévier le coup porté par les grévistes et en faire une arme offensive
contre eux.

C’est dans ce contexte que se pose, qu’il pose, la question, non pas de la « limitation
du droit de grève » (vision négative), mais ce qui est, nous l’avons vu, de fait
la même chose, la « garantie d’un service minimum » (vision positive). Aucun gouvernement
n’avait osé s’attaquer de front à ce problème. La Droite par crainte d’une généralisation
et d’un durcissement du conflit. La Gauche, pour préserver son fond de commerce électoral
et pour ne pas être soupçonnée de faire une politique de Droite que la Droite
n’a d’ailleurs jamais fait ? jusqu’à présent.

Aujourd’hui le gouvernement C.R.S sait qu’il peut gagner sur des questions importantes
et sensibles ? l’exemple des « Retraites » a montré que la mobilisation sociale,
dans sa forme actuelle, ne faisait pas le poids face à sa politique ? et ce d’autant
plus que le front syndical est brisé, la Gauche est devenue sénile, quand elle
n’est pas « collabo », et que sur cette question (le « service minimum ») il aura
de son côté une partie de l’opinion publique. C’est donc, pour lui, le moment
ou jamais.

Les syndicats sont paraît-il décidés à aller au conflit dur sur cette question ? faudra
juger sur pièce !.. Ils sont il est vrai les premiers concernés, la grève, depuis
la fin du 19e siècle est leur principale modalité d’action., c’est même leur « fond
de commerce militant » ? s’ils ne peuvent plus in fine, dans un conflit, menacer
de la grève, on leur coupe les ailes ou on leur lime les dents.

Mais tout compte fait est ce si vrai que ça ? Méfions nous des évidences.

La grève c’est l’« arrêt collectif du travail pour faire pression sur l’employeur ».
Il est vrai qu’au 19e siècle, dans un système marchand qui se structure, cette
action est d’une efficacité qui peut-être, et qui est souvent, redoutable, surtout
si elle est générale et à fortiori insurrectionnelle ? et ce n’est pas un hasard
si le mouvement ouvrier à absolument tenu à en faire un droit ? c’était, et c’est
demeuré durant des décennies, une garantie pour les salariés. Durant le 20e siècle
c’est resté une arme efficace, surtout dans un système fondé sur des Etats-nation,
c’est-à-dire ayant une relative indépendance économique.

On peut légitimement se poser la question de savoir si, la mondialisation marchande,
telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’a pas modifié la donne, autrement
dit si de manière générale, les luttes traditionnelles des salariés et la grève
en particulier, sont adaptées aux nouveaux développements du système. La réduction
massive de la masse des salariés dans la production, l’élimination dans les pays
développés des secteurs à forte proportion de main d’ ?uvre et la tendance générale à la
délocalisation, relativisent grandement l’efficacité du recours à la grève.

Dans les services publics, le recours à la grève perturbe plus la masse des usagers
que l’Etat patron qui nous l’avons vu peut tactiquement utiliser la grève comme
moyen de pression sur les salariés, via les usagers. D’autre part, les marges
de man ?uvres de plus en plus étroites du patronat et de l’Etat du fait de la
concurrence mondiale les incitent à ne pas céder à ce genre de pression et à laisser
pourrir la situation ? ce qui est à peu prés le cas de tous les conflits actuels.
Enfin, la « précarisation de l’emploi » et sa probable institutionnalisation dans
les nouveaux contrats de travail conconctés par le gouvernement et le MEDEF sont
rendre le recours à la grève de plus en plus difficile.

Ceci veut dire qu’il faille, tout en défendant bien sûr le principe du droit
de grève qui est et demeure un acquis, « inventer » de nouvelles formes de luttes,
adaptées aux nouvelles conditions de fonctionnement du système marchand.

Les bureaucraties des organisations syndicales traditionnelles sont bien évidemment
incapables de « repenser » les formes de la lutte salariale. Totalement conservatrices
et archaïques dans leurs objectifs et plus ou moins compromises dans la gestion
du système, elles incitent et laissent se reproduire des formes de luttes qu’elles
savent inefficaces, déconsidérant par là même le mouvement syndical en perte
de vitesse dans tous les secteurs.

Quelles nouvelles formes pourraient prendre les luttes ?

Elles devraient répondre à deux objectifs : d’une part se référer aux mécanismes
actuels du fonctionnement du système, d’autre part intégrer une dimension de
changement social, enfin s’élaborer à l’échelle internationale.

1-Les mécanismes actuels du système : On assiste à une « marchandisation » généralisée,
en particulier concernant les services publics, c’est donc à ce niveau qu’il
faut agir. L’important n’est pas d’arrêter la production ? ce qui ne changera
rien, mais de rendre obsolète le statut de la marchandise en produisant non plus « pour
vendre » mais « pour son usage ». En d’autre terme mettre à disposition gratuitement
la production : dans les chemins de fer en faisans voyager gratuitement, avec
l’électricité en, par exemple, tarifant au tarif de nuit durant toute la journée, ? la
lutte sera populaire et posera le vrai problème de fond.

2- Une dimension de changement social : de telles formes de luttes augurent du
changement social en ce sens qu’elles remettent en question le « statut » marchandise
de la production autrement que dans des discours de principe. S’il s’agit de
lutter contre la marchandise c’est comme cela qu’il faut s’y prendre, pas en
la reproduisant mécaniquement suivant le modèle que l’on conteste.

3- Coordonner ce genre de lutte internationalement pour des raisons évidentes
liées à la mondialisation du système, au moins dans un premier temps à l’échelle
européenne.

Ces luttes, ces nouvelles formes de luttes, ne peuvent se mener qu’avec, solidairement,
les usagers, ce qui leur donne une dimension citoyenne nouvelle. Le rapport de
force est d’une autre nature et porteur de nouvelles perspectives ? y compris
sur le plan politique. C’est bien sûr à chaque secteur, à chaque branche de réfléchir
aux nouvelles modalités de luttes.

La mise en place de telles modalités de lutte ne se fera pas sans mal, du côté « syndical
officiel » qui dans sa myopie criera à l’aventurisme, mais aussi de l’Etat et
du patronat qui verra tout de suite le danger. Mais, de même que les salariés
ont du, au 19e siècle, lutter dur pour faire reconnaître le droit de grève, la
lutte sera dure pour imposer ces nouvelles formes de luttes sociales ? mais comme
nous venons de le dire, ce ne sera pas l’affaire des seuls salariés, mais une
véritable action citoyenne.

Ce n’est qu’à cette seule condition que nous pourrons dépasser les divisions
stériles et l’impuissance permanente du mouvement social. Alors oui, un autre
monde sera possible.

Patrick MIGNARD

05.02.2004
Collectif Bellaciao

Messages

  • J’ai lu avec intérêt votre cycle d’articles .

    Je pense que nous ne devons pas oublier que nous sommes des consommateurs de biens marchands, de biens communs dévoyés de leur but, et que nos modestes avoirs cumulés constituent par leur masse un pouvoir .

    Je pense aussi qu’internet est un lieu qui bien utilisé peut permettre une rapide information et une grande réactivité de groupes mobilisés sur un sujet . Je ne suis pas certaine que les "syndicats" n’aient pas leur rôle à jouer dans cette partie.

    Je tatonne très modestement de mon coté avec un site perso qui se tient à jour dans le domaine prud’homal car je suis conseillère avec l’aide d’un syndicat qui a bien voulu autoriser l’utilisation partielle de ses analyses. (www.prudhommes-isere.com , le seul .com qui ne vend rien mais qui essaye de rappeler aux salariés qu’ils ont aussi des droits collectivement et qu’il faut aussi passer de la défense des droits individuels aux droits collectifs, par les délégués du personnel notamment : petit à petit les équipes de terrain de toutes obédiences viennent à la "pêche" de ces informations, se battent je l’espère mieux aussi au quotidien , et si le patronat regarde ce site et plus encore s’il suit certains préceptes, ce n’est pas un mal.)

    Notre droit du travail aussi est un "bien commun" et ce n’est pas normal qu’on ne puisse s’informer sans bourse délier : j’espère que s’agrègeront un jour quelques volontaires pour améliorer ce travail.