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DROIT DE GREVE ET SERVICE PUBLIC (suite)

Publie le vendredi 6 février 2004 par Open-Publishing

(Contribution de Patrick MIGNARD)

Le premier texte a, sur quelques sites, entraîné un certain nombre de réactions.
Réactions, pour la plupart positives, mais qui, pour certaines, n’en posaient
pas moins des questions légitimes sur la faisabilité de telles actions, et les
problèmes liés à la légalité de telles formes de luttes. Je n’ai évidemment pas
la prétention d’avoir réponse à toutes les interrogations (c’est aussi et surtout
dans la lutte et collectivement que l’on élabore) et encore moins à proposer
un « modèle » d’action… l’Histoire a montré ce que valait ce type de d’ambition.

Ayant lancé la réflexion et le débat je me dois cependant d’apporter quelques
précisions et éléments de réponse qui n’ont pas d’autre prétention que d’être
les miennes et d’alimenter le débat.

Sur la légalité

C’est effectivement une question importante. Les luttes traditionnelles actuelles
sont généralement « codifiées ». fruits des luttes du mouvement ouvrier depuis
le 19e siècle, elles ont acquis un cadre légal. Certes des dérapages existent,
comme par exemple l’ »occupation des locaux », voire « séquestration de la direction »… Généralement
ces dérapages sont « tolérés » dans une certaine mesure, se négocient, voire
sont réprimés « en douceur » (généralement évacuation par les flics avec plus
ou moins de frictions). Dans ces formes d’actions illégales les pouvoirs publics
et le patronat, savent apprécier, la portée de telles actions et savent que,
dans la plupart des cas elles sont ponctuelles, syndicalement encadrées et… sans
issues… il n’est pas utile, pour lui , politiquement, de réprimer brutalement.

Dans le cas d’actions dont il est question dans le texte et qui portent atteinte
au fondement même de la marchandise, comme par exemple l’instauration de la gratuité dans
les transports publics, en lieu et place d’un arrêt du travail, autrement dit
de la grève classique, il est certains que les pouvoirs publics réagiront autrement.
Pourquoi ? Parce qu’il vont tout de suite sentir le danger politique de telles
actions, surtout si elles sont menées en concertation avec les usagers et de
manière unitaire avec les autres secteurs de l’activité économique (je reviendrai
sur ce point plus loin). Ces actions parfaitement pacifiques et ne portant absolument
pas atteinte à la continuité du service public, aux personnes et aux biens seront
et sont qualifiées de sabotage… rien que ça ! Ce qui en dit long sur les craintes
qu’elles inspirent aux gouvernements. Elles sont effectivement qualifiées d’illégales,
comme le fut la grève en son temps.

Se pose alors un problème de motivation à l’action… car il y a effectivement
des risques à prendre. Il est sûr que le gouvernement et le MEDEF, ne feront
aucun cadeau à celles et ceux qui luttent de cette manière. Tout sera fait pour
briser ce mode d’action… il est bien trop dangereux. Encore que la mobilisation
et le rapport de force vont jouer un rôle essentiel dans les marges de manœuvres
dont ils disposeront. C’est là qu’intervient la coordination et la solidarité des
autres salariés et des usagers. S’engager seuls dans cette voie est suicidaire… ce
qui est le cas pour toute lutte. Il est donc nécessaire de préparer collectivement
ce type d’action et de s’assurer des soutiens en vue de l’action… c’est ce que
l’on appelle créer un rapport de force… ce n’est pas nouveau, mais dans ce type
de configuration,… oui.

Sur la faisabilité

Il faut reconnaître que le problème n’est pas non plus simple techniquement puisque
les pouvoirs publics (de gauche comme de droite) ont (par exemple dans le cas
des chemins de fer), sectorisés les différentes parties de l’entreprise pour éviter
ce genre d’action.(diviser pour régner). L’action doit donc faire l’objet d’une
préparation minutieuse par les salariés de l’entreprise. Mais rien n’est impossible
en matière de luttes sociales.

Il est bien évident d’autre part qu’il n’y a pas qu’un seul modèle d’action.
Un enseignant ne peut pas agir comme une infirmière, une infirmière comme un
caissière de supermarché, ou comme un cheminot. A chaque branche à trouver ses
formes d’action, en sachant tout de même que nous sommes toutes et tous interconnectés
par nos activités et solidaires quand à nos revendications… et que donc la concertation
est la règle et la solidarité le moyen de vaincre. Là il y a une gros travail à fournir… qui
n’est aujourd’hui évidemment pas fait… chacun se démerdant dans son coin dans
la totale ignorance des autres.

Quant à l’unanimité que souhaiteraient certains ou, dit autrement, le fait qu’il
y ai des individus qui « ne marchent pas » dans ce genre d’action… c’est une évidence,
mais ça ce n’est pas nouveau et ça se pose toujours dés qu’il y a des combats à mener.
Ce ne sont pas ces cas qui empêcheront la marche de l’Histoire ou alors ce serait
nouveau…

Ce que veulent finalement les pouvoirs publics et le MEDEF, ce sont de bonnes
vieilles actions, bien classiques, bien maîtrisées par les syndicats et les directions,
qui donnent l’illusion aux grévistes d’être efficaces, qui emmerdent au maximum
les usagers et dont on sait quelles sont sans lendemain… ce qu’est effectivement
la grève aujourd’hui.

Si l’on veut qu’un autre monde soit possible (autrement que dans les discours
des forums et autres grandes messes médiatico militantes) il va bien falloir
innover dans notre manière de lutter et commencer dès à présent à s’en donner
les moyens.

Patrick MIGNARD

05.02.2004
Collectif Bellaciao