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Retour sur l’"Affiche rouge" Aimer la vie à en mourir

Publie le mercredi 25 février 2004 par Open-Publishing

Le 21 février 1944, 22 combattants des Francs-tireurs et partisans de la
Main-d’oeuvre immigrée (FTP-MOI) étaient fusillés. La mémoire de leur
participation à la Résistance est restée longtemps enfouie... notamment dans
les archives du Parti communiste français.

Il y a 60 ans, 22 résistants étaient fusillés. Parmi eux, Missak Manouchian.
Le plus jeune, Thomas Elek, avait 17 ans. La seule femme, Golda Bancic, fut
décapitée en mai. Le colonel-président du "procès" affirmait alors : "La
police française a fait preuve d’un grand dévouement." Il faisait référence,
en l’occurrence, à l’une des brigades spéciales des renseignements généraux
qui les arrêta après de multiples attaques de convois militaires et de
colonnes de troupes, hold-up, sabotages, attentats (entre autres contre le
commandant du Grand Paris et le responsable du Service du travail
obligatoire (STO) en Allemagne. Sur les 80 combattants des Francs-tireurs et
partisans de la Main-d’oeuvre immigrée (FTP-MOI) actifs en région parisienne
entre juin et novembre 1943 - auxquels appartenait le groupe -, huit
seulement n’ont pas été arrêtés ou tués. Il ne restait alors, dans la
région, déjà plus beaucoup d’autres FTP, suite à la répression et au départ
au maquis des jeunes requis par le STO. Il aura fallu du temps avant que
cette épopée ne figure dans les manuels du secondaire ; comme celle de
l’affiche des occupants - placardée à 15 000 exemplaires - dénonçant
"l’armée du crime", baptisée bien plus tard "L’Affiche rouge", dans un poème
d’Aragon chanté par Léo Ferré.

Le "procès" avait été monté pour alimenter la xénophobie et l’antisémitisme
du régime de Vichy. La Résistance était ainsi le fait d’une "tourbe
internationale" (Le Matin), de "terroristes judéo-communistes" (Paris-soir),
"l’activité d’étrangers et de Juifs abusant de l’hospitalité française pour
créer le désordre dans le pays qui les a recueillis", et dont "le but est
l’avènement du bolchevisme international" (1). Internationalistes
effectivement, ces Arméniens, Espagnols, Italiens, Hongrois, Polonais,
Roumains, dont les familles avaient été souvent exterminées, combattants
antifascistes dans leur pays ou/et dans les Brigades internationales de la
Révolution espagnole. Beaucoup étaient communistes, bien sûr. Et nombreux
étaient Juifs...

"- Vous étiez fait pour la lutte armée ?
 Je ne crois pas, j’étais normal. "
(Interview de Raymond, ex FTP-MOI, par Mosco).

Du côté de la résistance gaulliste, Radio Londres n’y fait allusion que deux
mois après : il faut se méfier des fausses nouvelles allemandes, les
résistants sont avant tout des fonctionnaires, de simples citoyens, des
anciens de Verdun. Le Conseil national de la résistance (CNR) va d’ailleurs
s’inquiéter de "l’activité des mouvements étrangers sur le territoire
français", qui "doit s’interdire toute attitude susceptible de compromettre
l’unité". Dans l’édition du Larousse en trois volumes de 1966, Missak
Manouchian est absent. Et il faudra attendre le 40e anniversaire pour un
hommage officiel, enfin, mais limité aux Arméniens. Le ministère des Anciens
Combattants appose des croix sur les tombes de combattants juifs tout autant
ignorés par les instances communautaires. Pour le PCF, les actes sont plus
facilement revendiqués que les personnes, ces résistants cosmopolites font
tache dans le tricolore. De même qu’on passera longtemps sous silence le
"travail allemand", dont le responsable était Arthur London et qui n’a pas
été le monopole de ceux auquel il a valu l’épithète d’"hitléro-trotskystes".

Officiellement, c’était "A chacun son boche !" (titre de l’Huma en 1944).
Tant pis si, sous l’uniforme, il y avait un travailleur, parfois un
communiste... L’heure était au Front national (créé par le PCF comme
organisation "large" des FTP, bientôt FTPF, avec un "F" comme Français, dont
le journal s’appelait France d’abord !). "Il fallait pouvoir chanter La
Marseillaise sans accent !" (2). André Marty, au bureau politique du PCF,
parle à la Libération de "chasser tous les "ski" des directions du parti "
(3). A la tête de la MOI, il n’y avait plus que des Français. A Claude Lévy,
qui écrit un livre sur son bataillon, Aragon, poète et éditeur, demande de
"changer les noms. On ne peut tout de même pas laisser croire que la
Résistance française a été faite par des étrangers". Le 1er mars 1944,
d’ailleurs, l’Huma avait consacré 15 lignes à l’exécution du groupe, sans
citer le nom d’un seul de ses membres. Il faudra attendre 1951 pour qu’un
deuxième article, intitulé "Pages de gloire des 23", sorte et pour que "le
poète du BP", Aragon, écrive Manouchian, en ajoutant certes sa touche
patriotarde aux derniers mots écrits par Missak à sa compagne, censurés de
1946 à 1965 de leurs allusions aux trahisons. Est-ce un hasard si, cette
année-là, un Comité Manouchian, indépendamment du PCF, s’était mis en place
et obtiendra une rue dans le XXe ?

Internationalistes, donc trotskystes ?

Après la Libération, une partie des survivants sont repartis dans leur pays
pour construire ce qu’ils pensaient être le socialisme. Beaucoup, comme les
anciens des Brigades internationales ou des maquis, ont connu la répression
stalinienne. Certains même ne quitteront un camp que pour un autre. Le
spectre d’une résistance dynamique, sociale, anticapitaliste, échappant aux
accords de Yalta (imposés par les impérialismes vainqueurs), mais aussi
celui du titisme - qui mènera à l’élimination politique du PCF, entre
autres, de Guingouin (responsable des maquis du Limousin), puis de Marty et
de Tillon (chefs des FTP) - est un angle d’éclairage pour comprendre
l’interrogatoire d’Arthur London. Ce dernier, premier responsable des
FTP-MOI, interrogé à Prague en 1951 par ses procureurs staliniens, s’entend
demander d’avouer que la MOI était une "section de la Quatrième
Internationale trotskyste".

Il est vrai que le mécanicien arménien Arben Dav’tian, bolchevik en Géorgie
en 1917, garde rouge puis officier commissaire politique dans l’armée rouge
pendant la guerre civile, exclu ensuite puis déporté comme membre de
l’Opposition de gauche, qui s’évade en Iran en 1934 sous le nom de
Manoukian, rejoint ensuite, sous le pseudonyme de Tarov, le groupe russe qui
travaillait à Paris avec le fils de Trotsky, avant d’être recruté pour son
groupe, en 1942, par Manouchian qui n’ignore pas son passé. "Il faut penser
également à Manoukian qui meurt avec moi", écrit-il à sa belle-soeur, deux
heures avant l’exécution. En août 1943, une note de la section des cadres
aurait avisé la direction du PCF que Manouchian était de tendance
trotskyste. Confusion de noms ? Quoi qu’il en soit, ils étaient "des
nôtres".

Jean-Pierre Debourdeau

1. Cité par le colonel-président du fameux "procès".
2. Comme le note ironiquement Maurice Rajsfus.
3. Lise London.