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La paix dans la guerre

Publie le vendredi 4 avril 2003 par Open-Publishing

Au moment précis où j’écris ces lignes, Bagdad est encerlée par les
troupes anglo-américaines.
L’événement majeur de la prise de la ville est entamé, et avec lui une
suite interrompu de
micro-événements qui nous conduisent, de situations exceptionnelles en
situations exceptionnelles.

Que les forces politiques anglo-américaines aient, de longue date,
choisi la guerre, de même que
Saddad, cela n’est pas à démontrer, ni même à exprimer dans le langage,
tant leurs actions parlent
d’elles-mêmes, depuis longtemps. Mais du peu que nous voyons et
entendons du peuple de Badgad, la
contre-effectuation de la paix s’exprime. Elle s’exprime dans la
tension extrême, bien
qu’apparamment encore calme, du présent. Le passé lointain de cette
ville et du peuple irakien,
toute la virtualité de sa lointaine et riche culture sont mis en scène
et montrés, visuellement,
auditivement, dans la puissance originale de vivre qu’ils manifestent,
en maintenant une vie normale
de cité orientale, au coin de chaque rue. La paix est maintenue dans le
moindre des comportements,
le moindre des gestes et des mouvements du visage, alors que tonnent le
bruit des bombes et des
bombardements des faubourgs, alors que l’étau se ressert et que chacun
le sait. Chaque habitant de
Badgad, chaque membre de ce peuple, qui souffre déjà depuis de
nombreuses années, affiche la fierté
de son apparente, mais réelle, tranquillité.
Certains commentateurs occidentaux, ces imbéciles, parlent
d’inconscience ou d’insouciance.
C’est au contraire à la pointe la plus avancée de la conscience que le
peuple de Bagdad choisit ce
comportement, et le fait avec courage. Les marchés restent emplis de
produits alimentaires frais
(par quelles prodigieuses astuces cela se fait ?), les rues restent
encore pleines, les individus
fument au pied des maisons, les cafés discutent. Mais dans ce même
présent, les habitants s’arment,
pleurent, crient, commencent à enterrer leurs morts, s’installent dans
la résistance armée, prient,
préparent l’affrontement. Ils ne le font pas comme les troupes
commandées par Saddam. lls le font
comme peuple résistant, qui dit non à l’occupant, qui contre-effectue,
par son armement, non pas la
guerre politique contre les anglo-américains, mais leur droit et leur
puissance de vivre de
l’après-guerre. Car chaque fusil, désuet à sa manière, mais porté par
le vrai courage, dit ceci :
"nous ne serons pas soumis". La puissance originale de notre pensée,
nos corps agissant dans
lesquels toute une histoire civilisationnelle vit et avance, tout un
apport à la richesse de la
communauté humaine se montre, résiste et résistera en nous.
Se soumettre serait installer la pseudo-paix de la guerre permanente.
Résister, c’est continuer le
passé tranquille, la fumée devant le café, les palabres, la chaleur
d’une manière de vivre, que rien
n’a pas pu dissoudre, ni l’embargo, ni la dictature de Saddad, sous une
autre forme.
Le futur est présent en tension. On sent qu’il va bientôt prendre
consistance, dans les armes, les
refuges dans les abris, les fuites hors de la ville pour se reprendre
ensuite. Ou bien se soumettre,
ou bien résister. Les habitants ont déjà, depuis plus de deux semaines
que la guerre a ouvertement
commencé, choisi clairement la résistance et l’ont montré au monde, dit
devant les caméras.
Militairement, ils finiront par perdre, mais dans le futur que leur
contre-effectuation installe,
ils gagnent, même si le prix humain en sera lourd. Derrière chaque
personne, il y a cette
impersonnalité d’un combat global qui relativise jusqu’à la vie
individuelle. Etre digne de toute
l’histoire passée, être digne du futur, voici les images, les mots et
les actes que les habitants de
Bagdad installent et développent dans la trame interrompue des
événements actuels. La paix lutte
dans la guerre.

Résister : c’est cela même le contenu le plus fort de cet événement, la
permanence et mutation
permanente qui s’y jouent. L’arrogance anglo-américaine, comme celle,
symétrique de Saddad,
apparaissent pour ce qu’elles sont : faibles et ridicules.

Les habitants de Badgad, je les admire, je me sens proche d’eux. Quoi
qu’il arrive, ils resteront
dans ma mémoire.