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Si on parlait politique culturelle

Publie le samedi 6 mars 2004 par Open-Publishing
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Etat, collectivités et entreprises doivent participer à l’assurance chômage
des intermittents.

François Chérèque, secrétaire national
de la CFDT

De victoires de la musique en césars, la question des intermittents
continue d’occuper le devant de la scène. La CFDT a, dans ce domaine, pris
ses responsabilités, face au patronat qui voulait supprimer le régime
spécifique des intermittents pour le remplacer par celui des intérimaires.
Elle les assume pleinement. Elle entend aussi le malaise qui persiste dans
le monde des intermittents et des acteurs de la culture. C’est pourquoi je
soumets aujourd’hui une proposition, afin de sortir du blocage dans lequel
tous les acteurs se sont enfermés. Il s’agirait de faire appel à de
nouvelles sources de financement pour compléter l’assurance chômage des
intermittents.

Nous nous trouvons en effet dans une situation intenable. L’Unedic ne peut
continuer à distribuer des ressources qu’elle n’a pas, et ce exclusivement
en faisant payer les salariés du privé qui ne constituent pas, à eux seuls,
le public de la culture. Rappelons tout de même que, si nous avons dû
procéder à une réforme du régime des intermittents, c’est parce que le
déficit avait atteint un niveau insupportable : une cotisation versée pour
huit prestations servies. Et pour cause : de 31 000 en 1985, le nombre
d’intermittents est passé à 100 000 en 2003, au fil d’une dérive libérale
qui a paupérisé la profession, avec des contrats de plus en plus courts et
de moins en moins bien rémunérés. Le turn-over de la profession atteint 50
%, car, à un noyau de professionnels, sont venus s’ajouter 360 000 personnes
qui aspirent au statut d’intermittents (1).

La réforme engagée ne réduira du reste qu’une partie modeste du déficit de
l’assurance chômage, et ce pour une raison simple : la CFDT, la CFE-CGC et
la CFTC ont été soucieuses de préserver ce régime et de trouver un compromis
entre les intérêts des différentes catégories de salariés. Soucieuses aussi
de rappeler aux autres acteurs leurs propres responsabilités : c’est aux
employeurs de négocier la liste des métiers éligibles au statut
d’intermittent et c’est au législateur de « faire la loi », au propre comme au
figuré, pour en finir avec les abus des employeurs publics et privés et de
leurs sous-traitants. L’Unedic n’a pas ce rôle, et encore moins ce pouvoir.
Elle n’est qu’une caisse d’assurance chômage. Elle n’a pas non plus la
responsabilité de la politique culturelle, comme le reconnaît Jacques
Peskine, président de la Fédération des entreprises du spectacle vivant de
la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (Fesac) : « La question de
l’assurance chômage n’est que la résultante de l’absence de financement de
la politique culturelle. Or, il est vain de s’attaquer à une résultante. »

Si nous voulons à la fois gérer correctement l’Unedic et améliorer la
protection des intermittents, il nous faut donc imaginer d’autres sources de
financement. Car, contrairement à ce que pensent certains, beaucoup d’entre
eux ne sont pas dans une situation privilégiée et nous devons penser en
priorité à tous ceux - les plus vulnérables, les plus précaires - qui se
trouveront en difficulté demain, victimes de l’hyperflexibilité qui règne
dans la plupart des entreprises culturelles aujourd’hui. C’est pourquoi je
propose aux intermittents, au gouvernement, au patronat et à l’ensemble des
acteurs publics que nous réfléchissions rapidement à la mise en place d’une
caisse complémentaire qui aurait vocation à compléter l’assurance chômage
des intermittents, mais avec des ressources distinctes de celles de
l’Unedic.

Il faut en effet cesser de considérer que les seuls salariés du privé
seraient comptables de cette protection. Si, comme nous le croyons, la
culture est un enjeu national, alors il serait juste que l’Etat y contribue
davantage. Si, comme il est avéré, les entreprises du secteur culturel, y
compris publiques, profitent largement du régime des intermittents, alors il
serait juste qu’elles y contribuent également. Si, comme il est amplement
démontré (cf. le coût local de la suppression des festivals de l’été), les
collectivités territoriales bénéficient d’une production culturelle
ambitieuse et de qualité, alors il serait juste qu’elles y contribuent elles
aussi. En définitive, il serait juste que ceux qui profitent de ce système
participent davantage à son financement.

Cette proposition permet de resituer le dossier des intermittents en
l’inscrivant dans le cadre plus large de la politique culturelle du pays, de
ses régions et de ses villes. Ce cadre est le bon. D’un côté, un régime
spécifique d’assurance chômage - qui reste unique au monde - financé par les
cotisations des salariés du privé. En cela, cette solidarité relève des
représentants de tous les salariés, et non de la seule catégorie des
intermittents. D’un autre côté, compte tenu des spécificités de la
production culturelle, cette solidarité serait complétée par les parties
prenantes du système : Etat, collectivités territoriales, entreprises de la
profession. Car le dispositif ne peut pas reposer exclusivement sur les
épaules des salariés du privé. Sauf à considérer que ceux-ci devraient payer
la note de l’exceptionnelle flexibilité dont profitent les employeurs
culturels, et des inégalités extraordinaires qu’ils génèrent dans ce
secteur. Employeurs qui, pour certains dans le cinéma, n’hésitent pas à
délocaliser à l’étranger une partie de leurs productions, avec la même
recherche de profit qu’ils dénoncent avec vigueur quand il s’agit des
emplois du textile ou de la métallurgie.

Je suis sûr que la plupart des intermittents comprendront que ce n’est pas
toujours et seulement aux mêmes de financer les contreparties aux facilités
que leur régime offre aux entreprises et aux patrons. Et je suis persuadé
qu’ils comprendront que la porte de l’Unedic, qui est celle de la solidarité
entre les salariés, n’est pas la seule à laquelle il faille frapper
aujourd’hui. Ne nous laissons pas enfermer dans un jeu de dupes où les
précaires du spectacle se voient renvoyés à la solidarité d’un salariat
privé où les précaires, là aussi, ne manquent pas. Cette solidarité purement
horizontale qui demande aux petits de payer pour les petits ne me semble pas
conforme à la justice sociale. La CFDT ne l’accepte pas. Et pourtant, c’est
ce pour quoi une coordination, dont tout le monde ignore la
représentativité, soutenue par une confédération syndicale, des chambres
patronales du secteur et certains artistes, eux-mêmes tour à tour
producteurs-employeurs-salariés, se mobilisent. Etonnante alliance entre
patrons et salariés qui, dans un conflit social, font cause commune pour
maintenir un état de précarité. Et curieuse mise en oeuvre de ce que
certains pourraient appeler une sécurité sociale professionnelle.

Il est temps que s’arrête cette formidable tromperie où règnent les postures
de procureur, les procès en trahison, la confusion des genres et la
collusion d’intérêts. Il est temps de ne plus se tromper de débat et
d’interlocuteurs. Pour que s’ouvre enfin, à travers les rencontres initiées
par le gouvernement, le temps du dialogue et de la responsabilité entre les
véritables acteurs de la politique culturelle.
(1) Enquête Insee présentée le 13 février devant la commission permanente du
Conseil national des professions du spectacle.

http://www.liberation.fr/page.php?Article=183640&AG

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