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Michel Serrault, l’acteur qui souriait au bon Dieu

Publie le mercredi 1er août 2007 par Open-Publishing

de Marie-José Sirach

Disparition . Michel Serrault, un des monstres sacrés du cinéma français, est mort dimanche soir. Une carrière impressionnante sur plus d’un demi-siècle.

Un physique passe-partout, de Français moyen serait-on tenté d’écrire, un regard pétillant de malice qui, à chaque instant, surprenait, impressionnait. Michel Serrault était un acteur de la trempe des plus grands, capable de pitreries comme d’exceller dans le registre dramatique. Comme tout clown, il avait une face cachée, sombre, que des réalisateurs ont su exploiter avec brio. En plus d’un demi-siècle devant la caméra ou sur les planches, il aura joué dans quelque 135 longs métrages (sans parler des téléfilms), sous la direction de Clouzot, Chabrol, Mocky, Lautner, Audiard, Blier, Zidi, Sautet ou Kassovitz. Cinq fois nominé, il a obtenu trois césars.

Insatiable touche-à-tout, Serrault était réputé pour son caractère fougueux, cabotin, un rien provocateur, toujours franc et chaleureux. Un regard lucide sur son métier dont le principal souci était de ne pas ennuyer le spectateur. Il osait tous les rôles, n’hésitait pas à jouer des personnages aux antipodes les uns des autres, se glissant avec la même passion et aisance dans la peau de personnages ambigus et dramatiques, du Dr Petiot à Zaza, l’homosexuel excentrique de la Cage aux folles, d’Harpagon à Nestor Burma.

Comme tous les clowns, Michel Serrault n’était pas homme à rire à tout bout de champ et parfois il passait un peu de cette fêlure qui constitue la marque des plus grands. On devinait un soupçon de mélancolie qu’un éclat de rire ou une pirouette vous faisait oublier l’instant d’après. Lui-même se définissait comme « l’âme de Chaplin sur un corps d’apothicaire ». Né le 24 janvier 1928 à Brunoy (Essonne) dans une famille modeste et chrétienne, il entre à quatorze ans au petit séminaire. Hésite entre devenir curé ou clown et choisit finalement le monde du spectacle. Il fréquente dès 1949 la troupe des Branquignols de Robert Dhéry et apparaît pour la première fois au cinéma en 1954 dans Ah ! les belles bacchantes ! de Jean Loubignac. Avec son complice et ami Jean Poiret (mort en 1992), il monte un fameux numéro de cabaret qui fait les beaux soirs de l’Alhambra, de Bobino ou de l’Olympia. Puis, pendant vingt ans, Michel Serrault accumule les rôles plus qu’il ne les choisit véritablement. Les navets, il les appelait « mes exercices de style ».

Au milieu des années soixante-dix, ses personnages s’étoffent

Il retrouve Poiret pour la Cage aux folles (pièce écrite par ce dernier, qui fera plus tard l’objet du film) qu’ils jouent plus de 1 500 fois. « Il n’était pas question de se vautrer dans une farce épaisse et vulgaire. Nous avons prouvé que l’ennui au théâtre n’était pas un mal nécessaire », disait-il. « Combien tu me manques, Jean. Toi, tu as su tout dissimuler sous le rire. Moi, j’y parviens de moins en moins », a-t-il aussi écrit dans un livre de souvenirs.

Au milieu des années soixante-dix, ses personnages s’étoffent et on le voit dans des rôles dramatiques comme dans Pile ou face (Enrico), Garde à vue (Miller), Nelly et monsieur Arnaud (Miller), l’Ibis rouge (Mocky, un de ses complices d’ami), où il étrangle des femmes. Jouer « les tordus » l’amuse, dit-il. Au théâtre, on le remarque notamment dans l’Avare (1986, dirigé par Roger Planchon) et dans Knock (1992, mise en scène de Pierre Mondy). « Si on n’a pas d’intention intérieure, les mots ne veulent rien dire. Je voudrais être un passeur, un messager. Je suis contre les acteurs qui se disent "humbles serviteurs de l’auteur" », disait-il de son métier.

Ces dernières années, Michel Serrault a tourné plusieurs téléfilms de prestige. L’Affaire Dominici, de Pierre Boutron en 2003 pour TF1, est sans doute celui qui a fait le plus couler d’encre. L’acteur y incarnait Gaston Dominici et défendait la thèse de son innocence. Le téléfilm avait été un énorme succès d’audience (plus de onze millions de personnes). Idem pour Monsieur Léon (toujours de Pierre Boutron, toujours pour TF1), qui lui a valu, en 2006, une pluie de récompenses. Pour France 3, Serrault avait joué sur un registre plus mesuré : en 2001, il incarnait le philosophe Fontenelle, tombé amoureux à quatre-vingt-dix ans, dans un film de Philippe Monnier. L’an dernier, il avait réussi le pari de la programmation de pièces classiques en prime time, en interprétant, pour France 3, l’Avare de Molière. L’acteur était aussi un habitué des plateaux télévisés, où il n’hésitait pas à jouer les trouble-fête.

Ses cheveux devenus blancs et sa silhouette plus ronde ne l’empêchaient pas d’intéresser de jeunes réalisateurs qui lui ont fait tourner Belphégor ou Une hirondelle a fait le printemps. Il avait signé trois livres de souvenirs : le Cri de la carotte (1996), Michel Serrault, vous avez dit Serrault ? (2001) et les Pieds dans le plat (2004).

Le père Alain de la Morandais, qui l’a assisté dans ses derniers instants à sa résidence de Honfleur dimanche soir, a raconté le dernier sourire du comédien sur Europe 1 : « Il n’était plus conscient. Je lui ai dit : "Allez, va faire rire le bon Dieu, il en a bien besoin parce que c’est un boulot pas facile" et il a fait un petit sourire. »

* Les obsèques de Michel Serrault auront lieu jeudi à 11 heures en l’église Sainte-Catherine de Honfleur (Calvados), où l’acteur possédait une propriété. La population devrait pouvoir se recueillir dès aujourd’hui devant la dépouille du comédien à son domicile normand.

http://www.humanite.fr/2007-07-31_C...