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LA CFDT TROUBLE-FÊTE CHEZ LES INTERMITTENTS ?

Publie le samedi 13 mars 2004 par Open-Publishing

A la veille de la manifestation du 13 mars, le syndicat suggère de créer une caisse complémentaire pour régler le déficit de l’assurance-chômage. Une proposition rejetée par le "comité de suivi".

C’est une idée ancienne qui revient sur le devant de la scène, au moment où le dossier des intermittents du spectacle traverse une nouvelle zone de turbulences, à la veille de la manifestation parisienne du samedi 13 mars : la création d’une "caisse complémentaire de solidarité". Cette caisse viendrait en complément des annexes 8 et 10 de l’Unedic qui régissent l’assurance-chômage de ces professionnels (artistes, techniciens). Le secrétaire général de la CFDT, François Chérèque, a lancé cette "proposition" le 2 mars sur RTL, en soulignant que cette caisse devait être financée par l’Etat, les collectivités locales, et aussi les employeurs.

"La CFDT ne revendique pas la paternité de cette piste. Elle est dans le débat depuis 1992, c’est-à-dire depuis que la profession est en colloque permanent sur les intermittents", explique Danièle Rived, secrétaire générale CFDT-culture et communication. L’idée fait son chemin chez les signataires de l’accord du 26 juin 2003 (Medef, CGPME, UPA, CFE-CGC, CFDT, CFTC), entré en vigueur le 1er janvier 2004. Michel Jalmain, vice-président de l’Unedic et secrétaire confédéral de la CFDT, Alain Lecanu, de la CGC-CFE, et Michel Coquillion, de la CFTC, viennent d’évoquer cette perspective lors de rencontres informelles.

Pour eux, comme pour Denis Gautier-Sauvagnac, responsable du Medef et président de l’Unedic, cette caisse complémentaire est "la seule solution" pour financer le "surplus" de protection sociale que l’Unedic ne saurait supporter, compte tenu du déficit des annexes 8 et 10 - 828 millions d’euros en 2002 selon l’Unedic (Le Monde du 11 mars).

MARGE DE MANŒUVRE ÉTROITE

Les opposants à la réforme estiment, eux, que M. Chérèque joue les "trouble-fête". Le numéro un de la CFDT a lancé son idée de caisse complémentaire le jour même où il a rejeté en bloc le contre-projet du comité de suivi - qui regroupe, entre autres, la Coordination nationale des intermittents, la CGT-spectacle, SUD, le Syndeac, la Société des réalisateurs de films, mais aussi des parlementaires de tous bords politiques.

"Il devient de plus en plus clair que l’échec annoncé de cette réforme n’aura servi qu’à légitimer la création d’une caisse autonome ou complémentaire proposée par M. Chérèque", a réagi le comité de suivi dans un communiqué qui réaffirme "unanimement son attachement au maintien du régime d’assurance-chômage dans le système interprofessionnel". Pour Jean-Claude Quentin, de FO, cette "caisse autonome" est le premier pas vers "la sortie des intermittents du régime général".

La CFDT s’en défend. "C’est un mauvais procès que l’on nous fait. En signant le protocole, on a pérennisé les annexes 8 et 10", déclare Mme Rived. "On a toujours dit que le financement de la culture devait reposer sur trois acteurs : d’abord l’Unedic, pour la solidarité interprofessionnelle. Cette étape franchie, il en reste deux autres : la participation de l’Etat et des collectivités locales, et la responsabilité des employeurs dans la lutte contre les abus", dit-elle.

Cette caisse pourrait jouer "trois rôles", selon Mme Rived : tout d’abord, "professionnaliser" le système, "en soutenant, par exemple, les jeunes qui sortent de l’école" ; ensuite, "prendre en compte les risques professionnels", c’est-à-dire indemniser les intermittents ayant des accidents de parcours ; enfin, la caisse aurait pour vocation de "maîtriser le déficit de l’Unedic", via l’engagement des employeurs. "Cette caisse pourrait être enfin l’occasion de redéfinir la liste des métiers éligibles au statut de l’intermittence", a déclaré Mme Rived.

Si le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, a déclaré, dans un entretien à Libération le 9 mars, qu’il étudiait avec "bienveillance" la proposition de M. Chérèque, son ministre de la culture reste prudent. Jean-Jacques Aillagon a rappelé plusieurs fois son attachement au maintien des intermittents dans le système interprofessionnel. Officiellement, le ministre attend d’en savoir plus sur cette caisse. "La proposition de la CFDT n’est pas claire. C’est comme dans un restaurant où il n’y a pas de prix sur la carte", souligne l’un de ses conseillers. Mais M. Aillagon ’"n’a pas dit non" à la proposition de la CDFT en recevant, mardi 9 mars, Mme Rived. "Le gouvernement a besoin de la CFDT pour mener d’autres réformes", a reconnu le ministre, le 2 mars, en recevant les membres du comité de suivi.

La marge est étroite pour le gouvernement. Le président de la CFE-CGC, Jean-Luc Cazettes, n’a-t-il pas menacé de "retirer [sa] signature" du protocole du 26 juin 2003 si le gouvernement demandait aux partenaires sociaux d’"examiner le contre-projet" "J’ai horreur d’être pris pour un con !", a-t-il lancé le 3 mars, lors d’un discours à Nantes, en soulignant que M. Aillagon "n’a tenu aucun des engagements (...) ni sur la chasse réelle aux fraudeurs ni sur les difficultés liées aux arrêts maladie et grossesse".

Le ministre doit faire face à un autre front : celui des parlementaires. Après avoir dressé un constat très critique de la réforme, deux mois après son entrée en vigueur (Le Monde du 12 mars), la mission d’information sur les métiers artistiques, présidée par Dominique Paillé (UMP), accueille fraîchement l’idée de la CFDT, qui vient par ailleurs télescoper la réflexion sur le financement de la culture que cette mission est censée mener. "La mission n’est pas a priori favorable à cette caisse complémentaire", note M. Paillé, qui ajoute toutefois : "On peut discuter de cette piste, au même titre que d’autres, si cela peut permettre à tous les acteurs de se retrouver autour de la table." Autrement dit, la caisse complémentaire pourrait être le levier, "mais non la base", de futures négociations.

Clarisse Fabre

LE MONDE