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Reperes chronologiques

Publie le vendredi 26 mars 2004 par Open-Publishing

CRIIRAD
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Communiqué CRIIRAD du 26 mars 2004 : Annexe

Reperes chronologiques

L’exploitation des gisements d’uranium du Limousin commence en 1949, d’abord sous la respon-sabilité du CEA, puis, à partir de 1976, sous celle de sa filiale, la COGEMA (compagnie générale des matières nucléaires). Au terme de plus de 40 ans d’exploitation, la division minière de la Crouzille comportait une quarantaine de sites miniers (incluant mines à ciel ouvert et galeries souterraines) ainsi qu’une usine d’extraction physico-chimique de l’uranium contenu dans le minerai. Implantée à Bessines, l’usine est exploitée par la SIMO, filiale 100% de COGEMA.

La CRIIRAD s’intéresse aux mines d’uranium

En 1990, à la demande d’associations de défense de l’environnement et de riverains des sites, la CRIIRAD commence à travailler sur le dossier des mines d’uranium, tant sur le plan juridique que radioécologique, Son laboratoire intervient d’abord en Loire-Atlantique (site de l’Ecarpière), puis en Haute-Vienne. Les mesures radiamétriques in situ et les analyses en laboratoire mettent en évidence un impact évident des activités minières. Des contrôles sont notamment effectués chez une famille habitant à Bessines, au bord d’une route utilisée pour le transport du minerai et des déchets d’extraction. Les résidus radioactifs tombaient des camions non bâchés, et s’infiltraient dans la propriété.

En 1991, dans le cadre de l’étude juridique réalisée pour la municipalité de Gétigné, la CRIIRAD découvre que les dépôts de résidus d’extraction de la Vendée et de la Haute-Vienne sont en situation illégale : absence totale de prise de compte de leur radioactivité dans le cas de la Vendée ; sous-évaluation considérable de l’activité réelle dans le cas de la Haute-Vienne. Exploitant et administration de contrôle se sont entendus pour escamoter la dangerosité réelle des déchets. La comptabilisation " administrative " de la radioactivité des résidus permet de diviser par 100, 1 000 ou plus les valeurs réelles. Ceci permet d’éviter le classement de certains sites miniers dans la catégorie des installations les plus dangereuses, les Installations Nucléaires de Base (INB). La CRIIRAD interpelle les autorités responsables : ministres de la Santé, de l’Environnement et de l’Industrie.

Saisi d’une demande officielle des 3 ministres sur le régime administratif applicable aux stockages de résidus radioactifs, le Conseil d’Etat rend un avis le 11 décembre 1991. Selon cet avis, l’administration est fondée : 1/ à ne prendre en compte que les déchets dont l’activité massique est supérieure à un seuil de 500 000 Bq/kg ; 2/ concernant ces derniers, à ne tenir compte que de l’activité de l’uranium à l’exclusion de celle de ses produits de filiation. Or, la principale caractéristique des résidus d’extraction de l’uranium est précisément que l’uranium a été extrait… mais qu’il reste par contre une quinzaine d’autres produits radioactifs dont certains sont d’ailleurs plus radiotoxiques que l’uranium. Un " détail " qui ne semble pas avoir gêné le Conseil d’Etat.

Une décision dite de Justice permet ainsi de légaliser une situation au mépris de la vérité, de la protection des personnes et de la préservation de l’environnement. Les implications de cet avis sont terribles : en France, des activités à risque peuvent se développer en marge des dispositifs réglementaires et ce grâce à la complicité de l’Etat et de la plus haute juridiction administrative.

Haute-Vienne : l’expertise indépendante de la CRIIRAD

La décision du Conseil d’Etat n’a fait qu’augmenter la détermination de la CRIIRAD à faire reconnaître la dangerosité réelle des quelques 50 millions de tonnes de résidus radioactifs présents sur le territoire français et à développer les investigations sur l’impact réel des activités minières de la COGEMA et de ses filiales.

Grâce à la forte mobilisation des associations du Limousin, un pas très important est franchi en 1992 : le Conseil régional du Limousin et le Conseil général de Haute-Vienne s’associent pour confier au laboratoire de la CRIIRAD la réalisation d’une expertise indépendante sur la division minière de la Crouzille. En dépit de fortes réticences, la COGEMA doit ouvrir ses sites aux scientifiques de la CRIIRAD.

Les mesures sur site et prélèvements sont effectués en 1993 et le rapport d’étude est rendu en 1994. Parmi les principales conclusions, plusieurs points concernaient la contamination des eaux et du milieu aquatique :

Les conditions de stockage des résidus d’extraction de l’uranium .

Plus de 20 millions de tonnes de résidus sont accumulés sur 3 sites principaux (Montmassacrot, Bellezane, et Bessines) dans des conditions qui ne seraient pas acceptées pour l’enfouissement des ordures ménagères. Or, il s’agit de déchets radioactifs de très longue période physique (75 000 ans pour le thorium 230, 1 600 ans pour le radium 226…) et de forte, voire très forte, radiotoxicité. A Bellezane, le transfert des polluants radioactifs de la mine à ciel ouvert (où ont été déversés les résidus radioactifs), vers les galeries et les eaux souterraines est manifeste.

Infractions répétées à la réglementation et laxisme de l’administration

Les analyses montrent que les eaux d’exhaure des mines polluées par différents isotopes radioactifs (uranium, radium, thorium, plomb..) n’étaient pas du tout, ou très insuffisamment, traitées avant rejet. Les contrôles ponctuels effectués alors que l’exploitant était prévenu des dates et lieux de prélèvement, ont montré que les normes étaient dépassées dans 2 cas sur 5.

De plus, l’examen des documents transmis à la DRIRE a montré que les dépassements étaient fréquents. Ainsi pour la mine de Puy de l’Age, les rejets de l’année 1991 dépassent la limite fixée pour le radium en mai, juin, août et septembre. La moyenne annuelle elle même est en dépassement.

3. Contamination des cours d’eau attestée par les mesures sur les sédiments et les plantes aquatiques

Les rejets radioactifs des mines et de l’usine d’extraction ont provoqué une contamination évidente des cours d’eau. Dans les ruisseaux situés en aval immédiat des mines de Puy de l’Age et de Bellezane, l’accumulation d’uranium et de radium était telle que l’on peut qualifier les plantes aquatiques et les sédiments de " déchets radioactifs ". Dans la rivière Gartempe, la contamination des sédiments et des plantes était détectable sur les 8 stations de contrôle et jusqu’au confluent avec la Brame, à plus de trente kilomètres de Bessines-sur-Gartempe.

Sur la base de ces constats, la CRIIRAD recommandait aux élus et à la population d’être vigilants et d’exiger un réaménagement rigoureux des anciennes mines : amélioration de la collecte, du traitement et de la gestion des eaux contaminées, réexamen des conditions de stockage des résidus, récupération des stériles radioactifs dispersés, etc. Par ailleurs, la CRIIRAD recommandait d’étendre les contrôles à l’ensemble de la division minière, les problèmes identifiés sur les sites contrôlés devant nécessairement concerner les autres secteurs.

De 1994 à 1997, l’Etat va s’efforcer de reprendre en main le dossier. Procédés dilatoires, affirmations mensongères, tout fut bon pour désamorcer les conclusions de l’étude. La Cogéma ayant obtenu que son laboratoire (Algade) effectue des mesures en parallèle avec la CRIIRAD, la Préfecture s’est d’abord souciée d’établir une synthèse du travail des laboratoires de la CRIIRAD et de l’exploitant, puis de faire procéder à des études complémentaires et à des validations par des experts universitaires. Ainsi passèrent les mois et les années. Le 30 avril 1997, la CRIIRAD recevait finalement un courrier officiel de la Préfecture (région Limousin et Haute-Vienne) présentant le résultat de tous ces travaux complémentaires.

" Les résultats de ces différents travaux permettent de conclure :

* A une bonne corrélation avec les résultats de l’auto-surveillance effectuée par COGEMA sous le contrôle de l’administration.

* Au respect des valeurs réglementaires en limite des sites miniers et dans les villages proches. "

Soit des conclusions exactement à l’opposé de celles données en 1994 par la CRIIRAD qui soulignait au contraire 1/ que l’auto-contrôle effectué par l’exploitant présentait de nombreuses anomalies et ne permettait pas de rendre compte de l’impact des activités minières ; 2/ que l’administration n’assumait pas son rôle d’autorité de contrôle, se contentant de réceptionner les rapports de l’industriels sans aucun regard critique.

A la fin des années 90, la CRIIRAD va continuer d’apporter son aide aux associations locales afin d’empêcher l’Administration de refermer le dossier. Signalons deux sites particulièrement concernés par les contrôles de radioactivité :

Alerte à la contamination : lac de Saint-Pardoux.

En 1998, l’attention des médias se porte sur le lac de Saint-Pardoux, contaminé par les rejets de plusieurs mines COGEMA situées en amont. Dans les années qui suivirent, la COGEMA, la DRIRE et certains scientifiques s’efforcent de présenter cette situation comme un phénomène inattendu et imprévisible. Le rapport de la CRIIRAD indiquait pourtant clairement que le problème pouvait concerner en théorie tous les ruisseaux, étangs, lacs, mares soumis directement ou indirectement aux écoulements issus des sites miniers.

De plus les études antérieures conduites par le CEA sur d’autres sites miniers uranifères avaient clairement montré dans les années 1980, ce phénomène d’accumulation de radionucléides dans les sédiments en aval des mines d’uranium du Lodévois.

La persistance de la contamination : l’exemple de l’ancienne mine de Puy de l’Age.

Avec l’aide de plusieurs associations du Limousin, la CRIIRAD est retournée à plusieurs reprises à Puy de l’Age, sur la commune de Bersac-sur-Rivalier, pour contrôler l’état radiologique du site et l’évolution du " réaménagement ".

Début 1996, la préfecture donne acte à COGEMA de " sa déclaration d’arrêt définitif des travaux et d’utilisation d’installations minières sur le secteur de Puy de l’Age " et prescrit un bilan radiologique sur 3 ans.

En septembre 1998, les analyses effectuées par le laboratoire de la CRIIRAD montrent que la radioactivité des sédiments du ruisseau en aval des rejets de la mine est toujours très élevée : 18 000 Bq/kg pour l’uranium 238 et 12 000 Bq/kg pour le radium 226, valeurs à comparer au niveau naturel mesuré dans la rivière Gartempe en amont des mines, soit de l’ordre de 40 à 120 Bq/kg.

Le niveau de radioactivité ambiant sur les chemins en bordure est également anormalement élevé. De plus, l’ancienne fosse de décantation des eaux contaminées, asséchée n’a pas été démantelée. Les boues radioactives sont en place, sans aucun grillage de protection ni panneau de mise en garde et les enfants du hameau voisin peuvent sans problème venir jouer dans la fosse.

Pourtant aux yeux de COGEMA et de l’administration l’état radiologique de l’environnement à Puy de l’Age est satisfaisant puisque en 1999, après examen du bilan de la surveillance de l’air et de l’eau, l’administration a autorisé COGEMA à s’affranchir de ces contrôles à Puy de l’Age (Arrêté N°99-266 du 17 mai 1999). Selon COGEMA : " ..ces résultats satisfaisants et stables montrent pour ces sites un retour à l’équilibre naturel .. ".

Lorsque la CRIIRAD retourne sur ce site en juin 2002, la fosse a été comblée. Mais aucun document ne semble préciser si les boues radioactives ont été retirées au préalable. Sur la route d’accès et le chemin, les débits de dose à 1 mètre du sol sont plus de 5 fois supérieurs à la normale. C’est ce que COGEMA appelle un "retour à l’équilibre naturel ".

Les sédiments du ruisseau présentent une forte contamination en uranium 238 (comprise entre 9 800 et 16 000 Bq/kg) et en radium 226 (entre 27 000 et 76 000 Bq/kg) alors que le niveau naturel est inférieur à 200 Bq/kg. Ces valeurs sont largement supérieures aux seuils d’exemption fixées pour les pratiques par la directive Euratom 96/29 et reprises par la réglementation française (décret 2002-460 du 4 avril 2002). Autrement dit, une entreprise qui souhaiterait exploiter ces sédiments pour en faire du mortier devrait déclarer son activité comme mettant en œuvre des substances radioactives et soumettre son personnel à des mesures de radioprotection. Cet exemple est d’ailleurs très théorique car il est évident que cette entreprise ne serait pas autorisée à utiliser des substances aussi contaminées pour la fabrication de matériaux de construction.

La plainte de Sources et rivières du Limousin

Le 18 mars 1999, l’association Sources et rivières du Limousin dépose plainte contre la COGEMA (groupe Aréva) avec constitution de partie civile pour : 1/ pollution des eaux douces et piscicoles ; 2/ mise en danger de la personne ; 3/ abandon de déchets contenant des substances radioactives. Elle était ensuite rejointe par France Nature Environnement.

Le 7 avril 1999, une information judiciaire est ouverte à l’encontre de la COGEMA.

En mars 2002, la fédération France Nature Environnement s’associe à la plainte.

Le 30 août 2002, après plus de 3 ans d’instruction, le Juge BIARDEAUX met la COGEMA en examen pour 1/ délit d’abandon de déchets et 2/ pollution des eaux ayant nui à la valeur nutritionnelle du poisson.

Le 13 mai 2003, le procureur de la République près le TGI de Limoges requiert un non-lieu général et l’abandon de toute poursuite à l’encontre de la COGEMA. L’analyse de son réquisitoire définitif montre qu’il s’appuie sur les positions de la DRIRE et reprend à son compte les arguments les plus contestables de la Cogéma, passant sous silence les références réglementaires pertinentes, triant dans les textes ceux qui permettent d’exonérer la responsabilité de l’exploitant.

Le 18 août 2003, le magistrat instructeur maintient sa décision et rend une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, estimant qu’il y avait suffisamment de charges contre la COGEMA pour qualifier :

1/ le délit d’abandon de déchets radioactifs (avec 5 cours d’eau reconnus comme pollués - le Ritord, les petites Magnelles, Bellezane, la Gartempe, le Marzet - sans compter un bassin de décantation de Puy de l’Age et une fosse de la mine des Gorces-Saignedresse.

2/ le délit de pollution des eaux ayant nui à la valeur alimentaire du poisson (notamment les eaux du lac de Saint-Pardoux et du Ritord).

Le jour même, le Procureur de la République fait appel de cette décision.

L’appel est jugé par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Limoges, au cours de l’audience du 11 décembre 2003, sous la présidence du juge Serge Bauzot, assisté de deux conseillers, les juges Philippe Nerve et Pierre-Louis Pugnet.

Le prononcé de l’arrêt est renvoyé à l’audience du 26 février 2004. A cette date, le délibéré est prorogé et le prononcé de l’arrêt renvoyé au 25 mars 2004.

Lors de l’audience du jeudi 25 mars 2004, la Chambre de l’Instruction de la Cour d’appel de Limoges rend un arrêt confirmant l’ordonnance du juge d’instruction qui renvoie la S.A. COGEMA devant le tribunal correctionnel de Limoges. Madame Anne LAUVERGEON, représentante légale de la Cogéma (groupe Areva) devra donc répondre devant cette juridiction des délits d’abandon de déchets radioactifs et de pollution des eaux.