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Arche de Zoe : la zone des silences

Publie le vendredi 30 novembre 2007 par Open-Publishing
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Le Nouvel Observateur

Détient-elle la clé de l’arche de zoé ?
L’ombre de la patronnesse
Numéro deux de l’ONG, Stéphanie Dhainaut-Lefebvre est une femme de réseaux. S’est-elle servie de ses relais politiques, scientifiques et humanitaires ? Enquête de Léna Mauger

Elle est introuvable. Sa ligne fixe est coupée. Son portable sur répondeur. Sa boîte mails aux abonnés absents. Depuis l’arrestation du commando humanitaire d’Eric Breteau, à l’aube du 25 octobre, à Abéché, Stéphanie Dhainaut-Lefebvre, la numéro deux de l’Arche de Zoé, est claquemurée dans son silence. Pourtant, ce personnage de l’ombre, cette bénévole discrète en sait beaucoup sur cette troublante affaire. Trop, peut-être. Salariée d’un institut biomédical, fille d’un grand médecin universitaire proche de l’UMP, elle possédait tout : les comptes de l’ONG, les papiers et, surtout, les contacts. La cheville ouvrière de l’Arche se situe à la croisée des pouvoirs politique, scientifique et humanitaire. S’en est-elle prévalue pour donner à l’Arche l’image d’une association sérieuse ? Les a-t-elle utilisés pour organiser « l’opération Darfour » ? Est-ce vers elle qu’il faut se tourner lorsque le pompier Breteau menace, du fond de sa prison tchadienne, de révéler ses « soutiens » ? Stéphanie la mutique serait-elle la clé de ce fiasco ?

Ses amis la décrivent comme une mère de famille pétillante, une quadra de caractère. Stéphanie rencontre Eric Breteau au début des années 1 990, via un ami commun, membre du club de 4x4 de Rueil-Malmaison Elle se reconnaît immédiatement dans l’enthousiasme du sapeur-pompier, dans son mélange d’idéalisme et de volontarisme. Lorsque celui-ci décide, après le tsunami, de créer une association humanitaire, elle le suit sans hésiter. Elle devient la trésorière de l’Arche de Zoé, une petite association humanitaire d’une dizaine de personnes. Avec Eric, ils forment un tandem parfait. Lui est l’homme de terrain, le rêveur fou. Elle, la gestionnaire, la femme de réseaux. Elle récolte par exemple 27 000 euros de dons auprès de la Fondation des Hôpitaux de Paris. Convaincue qu’une « petite ONG » a autant de légitimité à intervenir qu’une « grande », indignée par l’incapacité de la communauté internationale, elle approuve l’opération coup de poing au Darfour. Eric Breteau pilote la mission. Mais c’est Stéphanie le chef d’orchestre administratif. Elle centralise tous les documents. Elle tient le listing des familles d’accueil dans son ordinateur. Elle ouvre un compte bancaire de l’association au Crédit agricole de L’Haÿ-les-Roses, sa ville de résidence. Elle rencontre aussi les futurs parents d’« orphelins » pour leur expliquer les détails de l’opération.

Comme le charismatique pompier d’Argenteuil, Stéphanie inspire la confiance. C’est une « fille de ». Son père est un sexagénaire brillant. Un homme puissant, proche des pontes de l’UMP II préside l’université René-Descartes-Paris- V. Il a dirigé le comité scientifique d’une convention sur la « société du savoir », organisée le 4 octobre 2006 par Valérie Pécresse, l’actuelle ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, et Laurent Wauquiez, aujourd’hui porte-parole du gouvernement. Meux : le 1 1 juillet dernier, Nicolas Sarkozy l’a nommé président du conseil de l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement supérieur. Un poste clé, dont l’objectif est de faire gagner des places à l’université française dans le fameux classement de Shanghai. M. Dhainaut fait-il bénéficier sa fille de ses relations ?

Diplômée d’un DESS d’économie de la santé, Stéphanie occupe elle aussi un poste important. Elle est directrice adjointe de Paris Biotech, un prestigieux institut semi-public qui aide au lancement de start-up liées à la santé humaine, et dont les bureaux sont situés dans l’université de son père. Fait troublant : dans cette affaire à rallonge, les noms de Paris Biotech et de l’Arche de Zoé se croisent à plusieurs reprises.
Stéphanie Lefebvre mélange en effet ses différentes casquettes. Elle utilise son mail professionnel pour communiquer avec les membres de l’Arche. Elle domicilie le siège de l’ONG chez son père, dans le 14e arrondissement de Paris. Simple souci de commodité ? Habile stratagème pour gonfler l’importance de l’Arche ? Autre imbroglio : au coeur de l’été, le 17 juillet, Stéphanie organise une réunion d’information de l’ONG - plus de cent familles réunies autour de l’équipe humanitaire - dans un amphithéâtre de Cochin, où Paris Biotech dispose de bureaux. Une assemblée dont le secrétariat de l’hôpital dit n’avoir jamais été informé... Même réponse chez Paris Biotech. Contacté plusieurs fois par téléphone, son directeur, Olivier Amédée-Manesme, nie tout lien avec l’Arche de Zoé.

Il rappelle qu’il préside un institut sérieux, composé de membres compétents. Parmi eux, des médecins tels que François Sarkozy, le frère du président, des chercheurs de l’Inserm, des professeurs de l’Essec ou encore de l’Ecole centrale. « Les activités de notre association sont uniquement tournées vers les entreprises du secteur de la santé humaine, précise-t-il. Stéphanie a fait une erreur en utilisant son mail professionnel. Mais elle n’est secrétaire générale de l’Arche qu’à titre purement personnel. » L’homme renvoie à la page d’accueil de son site internet, où a été mise en ligne une attestation de son expert-comptable. Celui-ci certifie que Paris Biotech « n’a effectué ni don ni prestation en faveur d’organisations humanitaires depuis sa création à ce jour ». Qui croire ? Interrogé le 10 août par la brigade des mineurs, Eric Breteau avait déclaré aux policiers : les commissaires aux comptes de l’Arche « ont été choisis par Stéphanie, et je sais que ce sont les mêmes que pour Paris Biotech ».

Certains documents obtenus par « le Nouvel Observateur » établissent clairement un lien entre les deux institutions. Il y a d’abord cette lettre, datée du 14 avril 2005, dans laquelle Olivier Amédée-Manesme exprime le soutien de Paris Biotech à Eric Breteau. « Satisfait de la collaboration entre notre association et votre équipe depuis le début de cette année et soutenant le programme envisagé par les bénévoles de l’Arche de Zoé, je tenais à vous confirmer notre souhait de poursuivre notre collaboration en termes de moyens logistiques et de mise à disposition de réseaux dont vous pourriez avoir besoin dans ce programme », écrit-il. Autre pièce révélatrice : le bilan 2005 de l’Arche de Zoé, où figure un don de 4 500 euros de Paris Biotech à l’ONG. Cette collaboration remonte à l’époque du tsunami. Pourquoi la dissimuler aujourd’hui ? De quels « réseaux » Olivier Amédée-Manesme parle-t-il ?

A toutes ces questions, l’institut ne fournit aucune réponse. L endroit est une forteresse. Une sorte de bunker silencieux, situé au bout d’un couloir de l’université René-Descartes. Concrètement, Paris Biotech, c’est une porte blindée bleue, avec quelques sonnettes, dont celle de Stéphanie Lefebvre. Dans l’embrasure, on aperçoit un long couloir, avec d’autres lourdes portes fermées. Impossible d’en voir davantage. Le directeur, Olivier Amédée-Manesme, a des yeux partout. Il surgit en trombe et met dehors les curieux entrés sans sonner. « Si vous voulez attendre Stéphanie, je vous apporte un café et une chaise devant h porte, dit-il, avec une cordialité forcée. Mais vous savez, il y a quatre sorties différentes... Vous risquez de vous ennuyer. »

Stéphanie reste plus fuyante qu’une ombre. Les juges d’instruction ont perquisitionné à son domicile de LHay-les-Roses et à celui de son père, siège de l’association. « Us ont tout mis par terre, raconte un proche. Stéphanie est bouleversée. Elle veut garder le silence. C’est son choix. » Et puis, soudain, le 19 novembre, nouvelle surprise : on aimerait quelques explications, des informations sur la vie, le parcours de la trésorière ? Céline Lorenzon, l’avocate de l’Arche, lui demande une nouvelle fois par téléphone si elle accepte de parler à une journaliste. « Elle m’a répondu que vous pouviez appeler l’attachée de presse de Paris Biotech, transmet l’avocate. C’est elle qui répondra à vos questions. » Son nom ? Mary Sills, une vétérante de l’humanitaire. Elle est l’ancienne attachée de presse de Bernard Kouchner. Elle l’a suivi partout pendant près de dix ans, au ministère de la Santé, à Ingérence Santé, son association. En fait, Mary Sills appartient au premier cercle du French doctor, à ce petit groupe de fidèles soudés et solidaires. On s’étonne. Quelques jours auparavant encore, la seule personne de Paris Biotech habilitée à répondre aux journalistes était son directeur. « Mary Sills est chez nous depuis la rentrée, assure Olivier Amédée-Manesme. Mais elle était en vacances pendant la crise. Je la connais à travers des relations... »

Simple hasard ? Après tout, Mary Sills est une figure bien connue du milieu de la santé. Mais l’irruption d’une proche de Kouchner dans cet imbroglio risque de semer encore plus le trouble dans les esprits. Et si elle était intervenue, elle aussi, au profit de l’Arche ? « C’est une désagréable coïncidence. Car l’amalgame ne manquera pas d’être fait », reconnaît-on dans l’entourage du ministre. Mary Sills elle-même entretient la confusion. Assaillie de questions, elle annonce qu’une « conférence de presse de l’Arche de Zoé va être organisée », mais qu’il « faut attendre d’en savoir un peu plus sur le sort des ressortissants français ». Paris Biotech, Stéphanie Lefebvre, l’Arche de Zoé... Une fois de plus, tout se mélange.

Le Nouvel Observateur

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