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Zoé : l’arche des interrogations

Publie le vendredi 21 décembre 2007 par Open-Publishing

Du scandale aux mystères
SONIA ROLLEY (à N’Djamena) et CHRISTOPHE AYAD
QUOTIDIEN : vendredi 21 décembre 2007
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Quels étaient les buts de l’Arche ?

En France, l’Arche de Zoé ne cachait pas ses intentions. « [Nos] équipes, composées de médecins et d’infirmières, assureront une prise en charge complète des enfants depuis les zones de guerre jusqu’à leur arrivée dans la famille d’accueil », expliquent-ils sur leur site Web. Dans un premier temps, l’association avait parlé d’« adoption », ce qui avait attiré les foudres des autorités françaises. Dans l’impossibilité de mener leur opération au Soudan, où les humanitaires sont surveillés de près, l’Arche de Zoé a préféré mettre en œuvre son plan depuis le Tchad voisin. L’opération sera exécutée sous le nom de Children Rescue, une ONG française de sapeurs-pompiers. Celle-ci, qui n’existe que sur Internet, reste un fantôme administratif ; Eric Breteau, président de l’Arche de Zoé, devenant chef de mission de Children Rescue. Après un voyage exploratoire en août, lui et ses acolytes lancent l’opération à la mi-septembre. Ils installent un centre à Abéché et un poste avancé à Adré, à la frontière avec le Soudan. En six semaines, grâce à des intermédiaires tchadiens et soudanais, ils réunissent 103 enfants. Breteau annonce à son personnel tchadien la veille de « l’évacuation », le départ des enfants pour la France. Quelques heures plus tard, le 25 octobre, le convoi est intercepté à 4 heures du matin sur la route de l’aéroport par la police tchadienne. Des enquêtes révéleront par la suite que les enfants proviennent, dans leur grande majorité, du Tchad et ont au moins un membre de leur famille qu’ils considèrent comme un parent.

Quelles sont les complicités ?

A aucun moment l’instruction n’a réellement recherché d’éventuelles complicités au Tchad. Seuls quatre Tchadiens de Tiné et un Soudanais à Adré ont été mis en garde à vue pour complicité après l’arrestation des Français. Trois responsables locaux seront disculpés par Breteau lors d’une confrontation mais un seul, le sous-préfet de Tiné, bénéficiera d’un non-lieu. Le Soudanais, Souleymane Ibrahim Adam, reconnaît avoir emmené à Adré 63 enfants, dont les siens. Les membres de l’association accusent leurs traducteurs, Hassan Haroun et Moctar Fadul, de leur avoir menti sur l’origine et l’état civil des enfants, ainsi qu’un colonel tchadien, Mahamat Iretero. Jamais la responsabilité des autorités locales ou de l’aviation civile tchadienne qui a autorisé le décollage et l’atterrissage de l’avion, n’a été évoquée.

Comment Paris et N’Djamena ont géré l’affaire ?

Au lendemain des arrestations, le président tchadien, Idriss Déby, dénonce un trafic d’enfants à relents pédophiles. La condamnation côté français est unanime et forte pendant trois jours. L’ambassadeur de France ira jusqu’à confirmer qu’ils seront jugés au Tchad. Le ton change subitement. Sarkozy cherche à négocier avec Déby la libération des trois journalistes français et des quatre hôtesses de l’air espagnoles. La justice tchadienne, sous pression politique, s’exécute. Le 4 novembre, le président français vient les chercher. Mais le 6 novembre, il gaffe en affirmant qu’il reviendra chercher les autres quoi qu’ils aient fait. Déby lui répond : « La justice se fera au Tchad. » Huit jours après, une violente manifestation antifrançaise et surtout anti-Sarkozy, autorisée par le gouvernement tchadien, embrase la capitale. Des dizaines de véhicules d’Européens sont caillassés. Depuis, les deux capitales, très liées politiquement, ont calmé le jeu. Les négociations se poursuivent pour permettre un retour, d’ici la fin de l’année, des six Français, avec une possible extradition sous couvert de l’accord de coopération judiciaire franco-tchadien. La justice tchadienne suit le tempo imposé par les politiques.

Quelles sont les zones d’ombre ?

L’enquête au Tchad a été bouclée en un temps record, voire bâclée. Côté français, elle a été mise en veilleuse. De nombreux points n’ont pas été élucidés. Qu’en est-il des contacts que certains membres de l’Arche de Zoé disent avoir eus avec l’entourage de Kouchner et de Sarkozy ? Ils auraient été reçus par Laurent Contini, conseiller Afrique du premier (une lettre publiée par le Canard enchaîné l’atteste), et Catherine Pégard, conseillère politique du second, sans s’être vus signifier d’interdiction formelle. Quel rôle a joué la numéro 2 de l’Arche, Stéphanie Dhainaut-Lefebvre ? Fille d’un mandarin bien en cour à l’UMP, celle-ci est la directrice adjointe de Paris Biotech, un institut semi-public, dont François Sarkozy, le frère du Président, est membre du conseil de surveillance. Trésorière de l’ONG, elle a utilisé le commissaire aux comptes et le mail de Paris Biotech. Me Olivier Desandre-Navarre, un avocat de l’ONG, est aussi celui de Paris Biotech. Beaucoup de coïncidences…
http://www.liberation.fr/actualite/monde/299512.FR.php