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Controverse sur la pomme de terre génétiquement trafiquée.

Publie le samedi 29 décembre 2007 par Open-Publishing

Controverse sur la pomme de terre génétiquement trafiquée. Une affaire troublante ayant des implications pour la science d’aujourd’hui

Par le Dr Arpad Pusztai, le 15 décembre 2007

Deux ans après la sortie de la première plante génétiquement modifiée, la tomate FLAVR-SAVR aux États-Unis en 1995, il n’y avait toujours aucune publication approfondie dans les revues confirmées par spécialistes sur la sécurité des aliments génétiquement modifiés.

Comme il s’agissait de préoccupations publiques et scientifiques, le Bureau du Ministère de l’Agriculture, de l’Environnement et des Pêcheries Écossais (appelé alors le SOAEFD), a demandé des propositions d’études pour examiner la sécurité des récoltes OGM, leurs effets possibles sur l’environnement, le sol, les micro-organismes, les animaux, et voir si elles ne présentaient aucun risque pour les consommateurs humains.

Des 28 propositions reçues à l’origine par le SOAEFD, la nôtre fut acceptée comme scientifiquement la plus solide après examen des spécialistes du BBSRC (Comté de Recherche en Sciences Biologiques et biotechnologiques). Notre plan de recherche spécifiait en détail ce que nous voulions faire et comment, avec la conception de toutes les expériences, et de ce que nous allions faire et quand, etc.

Les tâches du projet étaient réparties entre les trois unités de recherche impliquées : l’Institut Écossais de Recherche sur les Cultures (SCRI), l’Université de Durham, le Département de Biologie et l’Institut Rowett d’Aberdeen. À la demande des scientifiques qui y participaient, je coordonnais le programme.

Lors de nos recherches pour trouver des méthodes adaptées à l’évaluation des risques des plantes OGM, nous utilisions des pommes de terre génétiquement modifiées comme modèles. Celles-ci furent mises au point à Durham par des scientifiques d’Axis Genetics, une compagnie de biotechnologie de Cambridge, et poussèrent pendant deux ans dans les champs de la station expérimentale de Rothamstead. Comme ces pommes de terre OGM devaient être commercialisées, Rowett avait un accord de partage des bénéfices avec Axis Genetics.

Les essais de l’alimentation artificielle avec les pucerons ont établi, à Durham et au SCRI, que le produit du gène, le GNA (lectine de bulbe de perce-neige), extrait de la pomme de terre interférait à la fois dans le développement et la mortalité de l’un des principaux ravageurs des pommes de terre, le puceron de la pomme de terre.

Ils avait été révélé aussi, à partir d’études nutritionnelles et physiologiques précédentes, que le GNA ne provoquerait aucun problèmes de santé sérieux chez animaux, même à 800 fois la concentration sécrétée par la pomme de terre. Nous avons donc commencé avec le gène codant de la lectine, qui semblait contrôler les dommages des insectes tout en ne faisant aucun mal aux rats.

Malgré tout, des problèmes ont bientôt apparu. Tout d’abord, aucune corrélation entre le niveau de GNA produit dans le plant de pomme de terre et la protection contre les pucerons n’a été trouvée. C’était inquiétant et difficile à comprendre. Il y avait aussi des signes troublants du fait que, non seulement les pommes de terre génétiquement modifiées nuisaient aux pucerons, mais aussi aux insectes utiles non visés, comme les coccinelles à deux taches qui contrôlent les populations de pucerons dans la nature.

Dans le même temps à Rowett, le résultat des études sur l’alimentation ne concordait pas aux idées de base du génie génétique. Ainsi, bien que le produit du gène était sain quand on l’aspergeait sur les aliments, il ne l’était pas quand il provenait des pommes de terre OGM. 

Celles-ci retardaient la croissance des rats, en particulier à long terme, interférant dans le développement normal des organes vitaux internes et diminuant l’efficacité du système immunitaire humoral. Tout cela suggérait qu’il devait y avoir quelque chose d’erroné dans cette soi-disant technologie de pointe, pour laquelle il a été affirmé que l’on pouvait changer le phénotype [*] en insérant un gène par l’intermédiaire d’une technique « neutre. » Nous avions deux lignées de pommes de terre génétiquement modifiées réussies, provenant d’un même épisode de transformation, faites à la même époque et dans le même récipient, qui étaient malgré tout différentes. Nous avons commencé à soupçonner que les problèmes étaient susceptibles de résulter de notre incapacité à insérer le transgène [**] en des endroits de l’ADN où il n’interférerait pas dans la fonction des propres gènes de la pomme de terre.

Cela a provoqué une controverse sur les idées à l’époque. Cependant, après mon interview télévisée de 150 secondes en août 1998, Rowett a tout d’abord été heureux de la publicité et le directeur m’a félicité. Les diffusions de presse de Rowett du 10 et du 11 août par le président du conseil d’administration de l’Institut, avec Jacques Santer et Frank Dobson, furent pleines d’éloges pour notre travail, « d’une importance stratégique pour notre pays et les consommateurs de l’Union Européenne. » « Un éventail d’études soigneusement contrôlées à l’origine des inquiétudes du Dr Pusztai. » « Les tests des produits modifiés par des implants de gènes doivent être effectués de manière approfondie dans les intestins des animaux et des humains pour éviter un désastre inconnu. »

Malheureusement, le directeur n’a pas respecté notre accord de ne divulguer aucun détails scientifiques aux médias et, de manière déplorable, je n’ai jamais vérifié l’exactitude des communiqués de presse.

Il s’est occupé de toutes les demandes de renseignements et toutes les interviews ont donné lieu à des erreurs. Apparemment, quand le gouvernement l’a informé dans l’après-midi du 11 août que nos conclusions allaient à l’encontre de sa politique pro-GM, qu’elles devraient être cachées et que je devais être réduit au silence, il a tenté de se dégager de sa responsabilité en disant au monde que les expériences n’avaient en fait jamais été faites. Il a prétendu que j’avais « embrouillé » ou « pris » les données d’un collègue absent. Dans une autre contorsion, il a laissé entendre que nous n’avions jamais fait d’expériences avec les pommes de terre OGM, mais juste rajouté un supplément toxique, la concanavaline A, à l’alimentation de pommes de terre ordinaires. Le directeur m’a suspendu le 12 août, m’a bâillonné et a lancé un audit illégal, bien que je n’ai pas été accusé de fraude scientifique. Toutes nos données ont été confisquées. Mon téléphone a été redirigé vers son bureau et mes courriels ont été interceptés. Le Directeur a ensuite écrit une série de lettres dans lesquelles il a m’a explicitement menacé de poursuites judiciaires si je parlais de notre travail à l’intérieur de Rowett ou à l’extérieur. Non seulement l’audit était illégal, mais, en plus, sans nutritionniste sur le tableau de composition du Comité d’audit, il était inadéquat pour évaluer un travail concernant essentiellement la nutrition des pommes de terre OGM. L’audit a duré environ 10 heures, et il ne m’a pas été donné l’occasion d’expliquer notre travail, ni à eux, ni au conseil d’administration, ni à mes collègues scientifiques de Rowett. Aucune donnée du rapport de l’audit n’était originelle et aucune analyse statistique n’a été effectuée par le Comité pour valider ces données.

Tout cela était si affligeant pour certains membres de la communauté scientifique internationale que 24 d’entre eux ont publié un mémorandum signé (sans trahir de données confidentielles), et demandé ma réintégration pour mener à bonne fin les travaux sur la sécurité des aliments OGM. Cette publication, en février 1999, ranima de manière spectaculaire le débat sur les OGM.

Après mon interview télévisée j’ai été violemment critiqué par l’establishment scientifique, notamment par la Royal Society, bien que je n’avais donné aucun détail expérimental dans les 14 phrases de l’interview. Mais, j’avais fait un vibrant appel pour une évaluation scientifique appropriée des risques, à faire avant que les cultures OGM soient disséminées, pour ne pas avoir besoin d’utiliser nos propres concitoyens comme cobayes. En dépit de ça, la principale ligne d’attaque de la Royal Society, était que nos résultats n’étaient pas fiables, obtenus par l’intermédiaire d’une conception expérimentale et d’une exécution défectueuse et, comme ils n’ont pas été confirmés par des spécialistes, ils ne pouvaient être « publiés » à la télévision. Soit dit en passant, la Royal Society n’a jamais eu la conception de nos expériences ni les méthodes que nous avions utilisées.

Elle a seulement eu un rapport interne rédigé à Rowett qui, contre ma volonté, lui a été transmis par le directeur. En tout cas, la Royal Society n’avait jamais avant fait confirmer des résultats scientifiques par des spécialistes. De plus, allant à l’encontre de l’équité normale, la Royal Society n’a pas publié nos données, mais juste la critique qu’ils en faisaient, ce que l’éditorial du Lancet appelait Une insolence incroyable contre un éminent scientifique. Comme aucun travail n’a été fait sur les pommes de terre OGM par la Royal Society ni par quelqu’un d’autre, son rapport doit être considéré comme un recueil d’opinions. Quoi qu’il en soit, dans la science des opinions, ce qui ne se base pas sur l’expérimentation et qui est publié après confirmation de spécialistes n’a aucune validité scientifique, même si ça provient du président de la Royal Society.

Notre document de travail a été accepté pour sa valeur scientifique et pour son intérêt public, comme l’explique l’éditeur du Lancet, après avoir été évalué par six arbitres à la place des deux l’habituels, et publiés dans le Lancet (Ewen et Pusztai, 1999).
Comme Rowett a toujours le droit de contrôler nos documents, la publication a été un peu retardée. Ce qui a donné l’occasion à des gens pro-GM d’essayer de l’arrêter.

L’establishment scientifique a dû se dégoter une raison pour escagasser le document afin de justifier son rejet de notre travail. C’est dont sans doute pourquoi le Président de la Royal Society a ergoté, « Nous ne pouvons toujours pas accepter cette publication, car le docteur Pusztai n’a pas utilisé le bon contrôle du niveau le plus bas de protéines. » Mais assurément, les six arbitres ne pouvait rater un truc aussi gros que ça ?

Vous n’avez pas besoin d’être Prix Nobel pour lire notre document et voir que tous les régimes contenaient la même quantité protéinique et énergétique. Selon le Guardian, le professeur affilié à la Royal Society qui est intervenu avec l’industrie de biotechnologie a téléphoné à Richard Horton et l’a menacé s’il osait publier notre document. De façon intéressante, quand c’est devenu public, la Royal Society s’est lavé les mains de l’affaire entière. Un autre membre de la Royal Society a dit au journal Independent que le directeur de publication du Lancet, Richard Horton, devait avoir des motifs politiques pour publier ce document, parce que « les arbitres » ne l’ont pas accepté. Bien que n’étant pas nutritionniste, il a prétendu que la conception de notre expérience était si nulle que, si l’un de ses étudiants la lui avait présentée, il l’aurait recalé « car, ce que nous avions fait, changer de chevaux au milieu du courant, était incorrect, » c’est-à-dire, commencer l’alimentation par le régime témoin puis changer par le régime OGM et vice versa. Il est difficile de juger s’il était scientifiquement incompétent ou s’il dénaturait sciemment notre expérience ? Il semble que l’attitude des gens change profondément quand leurs intérêts sont menacés ou mis en péril par quelques scientifiques.

L’éthique a hélas une faible priorité dans les sciences d’aujourd’hui. Les puissants comités scientifiques, comme le Nuffield Council on Bioethics prennent le parti de l’establishment la plupart du temps, sans se soucier du bien-fondé de la cause. Par ailleurs, la plupart des décisions importantes sont prises par les mauvais individus, retirés depuis longtemps de l’activité scientifique, et ayant peu de temps pour bien lire quoi que ce soit en travaillant dans des comités.

En plus, beaucoup d’entre eux sont payés directement ou indirectement par l’industrie et/ou par ses alliés scientifiques. Il n’est donc pas surprenant que l’ensemble du complexe industriel et politique soit tombé si lourdement sur moi et sur nos conclusions. Quoi qu’il en soit, il peut devenir évident à présent, même à ceux qui ont condamné notre travail à l’époque parce qu’il contrariait leurs intérêts, que la dissimulation des faits « déplaisants » mais vrais, découverts par des scientifiques indépendants, est non seulement contraire à l’intérêt de la société, mais aussi aux leurs à long terme.

Espérons maintenant que l’on prenne conscience de manière générale qu’en refusant la liberté académique aux scientifiques professionnels le progrès de la science devient impossible.

Page d’accueil du Dr. Pusztai :

http://www.freenetpages.co.uk/hp/a.pusztai/

Original :

http://www.rense.com/general79/hero.htm

Traduit au mieux par Pétrus Lombard pour Alter Info

* Le phénotype est l’ensemble des caractères somatiques apparents d’un individu (par opposition au génotype).

** Un transgène est un gène introduit dans une cellule pour en remplacer un autre.

 http://www.alterinfo.net/Controvers...