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Un spectre hante la finance

Publie le mercredi 16 janvier 2008 par Open-Publishing

Un spectre hante la finance

Publié par Paul Jorion

La première nouvelle du jour, ce sont bien sûr les pertes se montant à 9,83 milliards de dollars subies par Citigroup durant le dernier trimestre de 2007, un chiffre double de celui que citait la rumeur. Le trou obligera le numéro 2 du secteur bancaire américain (Bank of America est désormais le leader) à lever 14,5 milliards de dollars supplémentaires et à amputer de 41 % les dividendes accordés à ses actionnaires.

La deuxième nouvelle du jour, c’est que les fonds souverains chinois qui avaient annoncé initialement une prise de participation dans Citigroup, sont revenus sur leur décision. Le revirement est une mauvaise nouvelle pour la banque et ceci à deux titres : d’abord bien entendu parce qu’il lui faudra trouver l’argent ailleurs, ensuite parce que la volte–face signale une défiance – peut–être partagée par d’autres – quant à l’avenir de la banque américaine : les Chinois auraient voulu dire « une faillite n’est pas exclure », qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement.

Mais la troisième nouvelle du jour et à mon sens la plus significative sur le long terme, parce qu’elle pourrait créer un précédent dans la crise qui secoue actuellement le monde de la finance, vient d’Angleterre : il s’agit de la nationalisation éventuelle de Northern Rock, au cinquième rang des organismes de crédit britanniques, en crise depuis septembre de l’année dernière quand elle eut le triste privilège de la seule panique bancaire qu’ait connu le Royaume–Uni au cours du siècle écoulé. La banque centrale anglaise était intervenue en avançant à la firme 25 milliards de livres, ayant pris l’initiative inédite de garantir la totalité des fonds des déposants, alors que la garantie habituelle ne couvre que la totalité des premières 2.000 livres et 90 % des 33.000 livres suivantes.

L’actualité du jour, c’est la décision prise par deux actionnaires importants de Northern Rock, les fonds d’investissement SRM Global Master Fund et RAB Special Situations, de forcer une issue en convoquant aujourd’hui–même une assemblée d’actionnaires qui pourrait déboucher sur une nationalisation de la banque. Les deux candidats à une reprise privée, le groupe Virgin et le fonds d’investissement Olivant Advisers, peinent en effet à rassembler des fonds suffisants à rembourser la banque centrale de l’avance qu’elle consentie lors de son sauvetage au mois de septembre. La banque d’affaires américaine Goldman Sachs, qui conseille ici le ministère des finances britannique, a proposé une troisième voie qui n’a pas réussi à susciter l’enthousiasme : reconditionner les 25 milliards de livres de l’avance sous forme d’obligations revendues au public.

Le gouvernement britannique est prêt pour l’acte final : il a pressenti comme dirigeant de la future firme nationalisée une vedette : « Rocket Ron » Sandler qui avait réussi en 1995 à tirer d’affaire la vénérable Lloyd’s de Londres, fondée en 1688, le premier consortium dans l’histoire de la ré–assurance. Les États–Unis de leur côté, prévoient bien entendu une supervision gouvernementale en cas de faillite d’un organisme financier mais il s’agit alors d’une des phases du processus de redressement judiciaire, alors qu’il s’agirait dans le cas de Northern Rock d’une nationalisation proprement dite. On se rappellerait à cette occasion que l’Angleterre est la patrie d’un économiste fameux qui demeura toujours sceptique quant aux capacités du marché de s’auto–organiser : mon prédécesseur en ces matières, John Maynard Keynes.

Si la Chine se rebiffe, comme on vient de le constater avec Citigroup, le jour viendra peut–être où la Fed se trouvera elle aussi confrontée à une décision particulièrement anathème dans le contexte américain : de nationaliser ou non un établissement bancaire en difficulté. Les milieux financiers américains se préparent en tout cas pour ce type d’éventualité : Bill Gross, directeur de la Pacific Investment Management Company (PIMCO), dont j’ai déjà évoqué le franc–parler (Pour un nouveau New Deal) vient d’affirmer : « Le capitalisme de style américain, fondé sur le marché, allégé en matière de réglementation, en pleine ascendant après la folie des start–ups il y a près de dix ans, a découvert son maître dans les subprime et dans des produits dérivés maladroitement conçus et médiocrement contrôlés.

L’innovation en matière de finance reprendra sans doute un jour sa marche en avant, sinon sous des formes distinctes de celles d’aujourd’hui, du moins sur de nouveaux marchés de produits, voire même sur de nouveaux continents. Pour l’heure toutefois, l’élan qui était le sien est bel et bien brisé ».

 http://www.pauljorion.com/blog/?p=316