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Victor Hugo et Sarkozy

Publie le samedi 1er mars 2008 par Open-Publishing
2 commentaires

Vous semblez vous tenir très informé de l’actualité politique française. Quel regard portez-vous sur notre nouveau président ?

Victor Hugo : Depuis des mois, il s’étale ; il a harangué, triomphé, présidé des banquets, donné des bals, dansé, régné, paradé et fait la roue… Il a réussi. Il en résulte que les apothéoses ne lui manquent pas. Des panégyristes, il en a plus que Trajan. Une chose me frappe pourtant, c’est que dans toutes les qualités qu’on lui reconnaît, dans tous les éloges qu’on lui adresse, il n’y a pas un mot qui sorte de ceci : habilité, sang-froid, audace, adresse, affaire admirablement préparée et conduite, instant bien choisi, secret bien gardé, mesures bien prises. Fausses clés bien faites. Tout est là… Il ne reste pas un moment tranquille ; il sent autour de lui avec effroi la solitude et les ténèbres ; ceux qui ont peur la nuit chantent, lui il remue. Il fait rage, il touche à tout, il court après les projets ; ne pouvant créer, il décrète.

Derrière cette folle ambition personnelle décelez-vous une vision politique de la France, telle qu’on est en droit de l’attendre d’un élu à la magistrature suprême ?

Victor Hugo : Non, cet homme ne raisonne pas ; il a des besoins, il a des caprices, il faut qu’il les satisfasse. Ce sont des envies de dictateur. La toute-puissance serait fade si on ne l’assaisonnait de cette façon. Quand on mesure l’homme et qu’on le trouve si petit, et qu’ensuite on mesure le succès et qu’on le trouve si énorme, il est impossible que l’esprit n’éprouve quelque surprise. On se demande : comment a-t-il fait ? On décompose l’aventure et l’aventurier… On ne trouve au fond de l’homme et de son procédé que deux choses : la ruse et l’argent…Faites des affaires, gobergez-vous, prenez du ventre ; il n’est plus question d’être un grand peuple, d’être un puissant peuple, d’être une nation libre, d’être un foyer lumineux ; la France n’y voit plus clair. Voilà un succès.

Que penser de cette fascination pour les hommes d’affaires, ses proches ? Cette volonté de mener le pays comme on mène une grande entreprise ?

Victor Hugo : Il a pour lui désormais l’argent, l’agio, la banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort et tous les hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que la honte…Quelle misère que cette joie des intérêts et des cupidités… Ma foi, vivons, faisons des affaires, tripotons dans les actions de zinc ou de chemin de fer, gagnons de l’argent ; c’est ignoble, mais c’est excellent ; un scrupule en moins, un louis de plus ; vendons toute notre âme à ce taux ! On court, on se rue, on fait antichambre, on boit toute honte…une foule de dévouements intrépides assiègent l’Elysée et se groupent autour de l’homme… C’est un peu un brigand et beaucoup un coquin. On sent toujours en lui le pauvre prince d’industrie.

Et la liberté de la presse dans tout çà ?

Victor Hugo (pouffant de rire) : Et la liberté de la presse ! Qu’en dire ? N’est-il pas dérisoire seulement de prononcer ce mot ? Cette presse libre, honneur de l’esprit français, clarté de tous les points à la fois sur toutes les questions, éveil perpétuel de la nation, où est-elle ?


*Toutes les réponses de Victor Hugo proviennent de son ouvrage « Napoléon le Petit », le pamphlet républicain contre Napoléon III.

Messages

  • Certes, cela est bien dit, mais...

    « Il est des hugolâtres de bonne compagnie, monarchistes, voire même républicains, qui s’effarent aux engueulades des Châtiments : ils n’en parlent jamais ou si parfois ils les mentionnent, c’est avec des précautions oratoires et des réticences infinies. Leur pudibonderie
    les empêche de reconnaître les services que ce pamphlet enragé rendit et rend encore aux conservateurs de toute provenance. Hugo agonit d’insultes les Canrobert et les Saint-Arnaud de la troupe bonapartiste de décembre ; mais il ne décoche pas un seul vers aux Cavaignac, aux Bréa et aux Clément Thomas de la bande bourgeoise de juin. Massacrer les socialistes en blouse lui semble dans l’ordre des choses, mais charger sur le boulevard Montmartre, emporter d’assaut la maison Sallandrouze, canarder quelques bourgeois en frac et chapeau gibus ! Oh ! le plus abominable des crimes ! Les Châtiments ignorent Juin et ne dénoncent que Décembre : en concentrant les haines sur Décembre, ils jettent l’oubli sur Juin.

    Dans sa préface du 18 Brumaire, Karl Marx dit à propos de Napoléon le Petit : « Victor Hugo se borne à des invectives amères et spirituelles contre l’éditeur responsable du coup d’État. Dans son livre l’événement semble n’être qu’un coup de foudre dans un ciel serein, que l’acte de violence d’un seul individu. Il ne remarque pas qu’il grandit cet individu, au lieu de le rapetisser, en lui attribuant une force d’initiative propre, telle qu’elle serait sans exemple dans l’histoire du monde. »

    Mais en magnifiant, sans s’en douter, Napoléon le Petit en Napoléon le Grand, en empilant sur sa tête les crimes de la classe bourgeoise, Hugo disculpe les républicains bourgeois qui préparèrent l’Empire et innocente les institutions sociales qui créent l’antagonisme des classes, fomentent la guerre civile, nécessitent les coups de force contre les socialistes et permettent les coups d’Etat contre la bourgeoisie parlementaire. En accumulant les colères sur les individus, sur Napoléon et ses acolytes, il détourne l’attention populaire de la recherche des causes de la misère sociale, qui sont l’accaparement des richesses sociales par la classe capitaliste ; il détourne l’action populaire de son but révolutionnaire, qui est l’expropriation de la classe capitaliste et la socialisation des moyens de production. - Peu de livres ont été plus utiles à la classe possédante que Napoléon le Petit et Les Châtiments. »

    Paul Lafargue – La légende de Victor Hugo

  • Tout y est. C’est le plus effrayant essai de poussé en arrière qui ait jamais été tenté. Jamais un tel écroulement de la civilisation ne s’est vu. Tout ce qui était l’édifice est maintenant ruine ; le sol en est jonché... D’épouvantable remplacements ont eu lieu ; il y avait le serment, il y a le parjure, il y avait le drapeau, il y a le haillon ; il y avait l’armée, il ya une bande ; il y avait la justice, il y a forfaiture ; il y avait le code, il y a le sabre ; il y avait un gouvernement, il y a une escroquerie ; il y avait la France, il y a une caverne. Cela s’appelle la société sauvée.

    C’est le sauvetage du voyageur par le voleur...

    "Histoire d’un crime", Hugo Victor