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Babylone, un mythe sorti des sables (exposition au Louvre)

Publie le jeudi 27 mars 2008 par Open-Publishing

La Croix

Une passionnante exposition au Louvre confronte l’objectivité des découvertes archéologiques à la fécondité fabuleuse du mythe de Babylone


Il y a un paradoxe Babylone. Réputée dans l’antiquité pour être la plus splendide au monde, cette cité de briques n’est plus qu’un immense champ de ruines. Et pourtant, l’ancienne capitale de la Mésopotamie n’a cessé d’enflammer l’imaginaire des auteurs et des artistes.

C’est cette prospérité incroyable d’un mythe que le Musée du Louvre a choisi d’explorer en confrontant les rares vestiges archéologiques et documents écrits datant du faste de Babylone (entre le IIe et le Ier millénaire avant notre ère) avec le foisonnement de légendes auxquelles il a donné lieu.

Réalisée sans le concours de l’Irak en guerre et alors que le site est encore occupé par l’armée américaine, cette exposition – la première au monde – a bénéficié notamment des prêts du British Museum et des musées nationaux de Berlin, qui l’accueilleront ensuite.

À son apogée, elle s’étendait sur près de 1 000 hectares

Il faut se représenter la stupeur du voyageur de l’Antiquité arrivant aux portes de cette ville, bâtie sur un bras de l’Euphrate, à 90 kilomètres au sud de la Bagdad actuelle. À son apogée, sous le règne de Nabuchodonosor II (605-562), elle s’étendait sur près de 1 000 hectares, derrière trois rangées de colossales murailles dominées par une tour à étages, ou ziggourat, qui culmine à plus de 90 mètres.

Représentée par une maquette au Louvre, celle-ci était dédiée au souverain des dieux chaldéens : Mardouk. Pour l’atteindre, il fallait d’abord suivre la voie processionnelle et franchir l’écrasante porte d’Ishtar, avec ses 48 mètres de long, ses 25 mètres de haut et son décor de briques émaillées en bleu et or représentant des dragons cornus et des lions rugissants, dont certains, prêtés par Berlin, ont fait le voyage à Paris.

Mais on ne voit là que les quelques lambeaux d’une cité qui comportait à l’origine pas moins de huit portes, 43 temples et trois palais avec ces fameux jardins suspendus, restés parmi les « sept merveilles du monde », avec les murailles de Babylone et son pont.

C’est dire combien cette cité subjuguait tous ses visiteurs, y compris ses conquérants. Prenant la ville en 539, le Perse Cyrus le Grand en fit le joyau de son empire. Quant à Alexandre le Grand, entré dans Babylone en 331 av. J.-C., il fut tellement émerveillé qu’il tenta de la reconstruire avant de venir s’éteindre, en 323 av. J.-C., dans l’immense salle du trône de Nabuchodonosor.

Le Code d’Hammourabi, la monumentale stèle de basalte

L’aura de Babylone dans l’Antiquité ne se limitait d’ailleurs pas à son impressionnante architecture. Si les premiers vestiges de la grande cité, à partir du règne d’ Hammourabi (1792-1750 av. J.-C.), n’ont pu être fouillés en raison d’une élévation de la nappe phréatique, on a retrouvé dans tout le Proche-Orient de très nombreux écrits cunéiformes sur d’humbles tablettes d’argile témoignant de son rayonnement.

À commencer par le fameux Code d’Hammourabi, monumentale stèle de basalte détenue par le Louvre, dans lequel ce roi conquérant édicte les règles censées unifier l’administration de son nouvel empire, qu’il venait d’étendre sur tout le bassin mésopotamien, du golfe Persique jusqu’a la Djézireh.

« C’est avec lui que Babylone va s’affirmer comme le centre intellectuel de l’Orient à défaut d’en rester, toujours, le centre politique », souligne Béatrice André-Salvini, commissaire général de l’exposition. Inventé par les savants chaldéens, le système sexagésimal divisant le cercle en 360° et l’année en 12 mois se diffusera à tout l’Occident.

De même que certains des grands textes littéraires de ce royaume, tels l’épopée de Gilgamesh qui influença Homère ou le « récit de la Création » auquel a puisé la Bible. De nombreux thèmes comme celui du Déluge ou du désespoir de Job apparaissent ainsi directement empruntés à cette culture.

La Bible retournera comme un gant l’image de la cité idéale

Et pourtant, c’est la Bible qui retournera comme un gant l’image de cette cité idéale en faisant de « Babylone, la grande mère des prostituées et des abominations de la terre » (Apocalypse de Jean), en allusion peut-être aux hiérogamies (unions rituelles) qui accompagnaient le culte de la déesse Ishtar.


Derrière cet anathème, il y a bien sûr le souvenir cuisant de la double prise de Jérusalem (en 598 et 587 av. J.-C.) par Nabuchodonosor, suivie de la destruction du Temple et de la déportation des Hébreux qui participèrent à la construction de la « tour de Babel ».

Le cosmopolitisme de la ville issue du métissage de nombreux peuples (Sumériens, Akkadiens, puis Cananéens) suggérera la légende de sa confusion des langues. Et Babel deviendra dès lors dans l’imaginaire juif puis chrétien le symbole de l’orgueil démesuré des hommes cherchant à rivaliser avec Dieu, au prix d’un formidable contresens. Car, en réalité, la grande ziggourat n’était, pour les Chaldéens, que le piédestal permettant à la divinité de descendre auprès des hommes.

Du festin du dernier roi Balthazar au débauché Sardanapale (représenté par Delacroix) ou à la figure ambiguë de la reine Sémiramis (qui inspirera Voltaire, Rossini, Degas…), de nombreuses figures plus ou moins légendaires ne cesseront ainsi de se propager autour de Babylone, comme le montre la deuxième partie de l’exposition, la plus visuelle grâce à la richesse de ses représentations imaginaires (la ville ne sera réellement fouillée qu’en 1899). Symbole de destructions- (re)constructions, « la cité mythique resurgit à chaque période de troubles », note Sébastien Allard, commissaire associé.

Au moment de la Réforme, par exemple, Dürer grave La Prostituée de Babylone pour mieux dénoncer la Rome papale. Breughel peint une « Petite » Tour de Babel, qui s’inspire du Colisée. Après la révolution industrielle, inquiets de ses effets pervers, certains réformateurs comme le peintre et ingénieur John Martin représentent Babylone avec un gigantisme dramatisé. Griffith, reconstituant, d’après les premières découvertes archéologiques, l’incendie de la ville dans son film Intolérance en 1916, traduira un même climat angoissé. Et certaines photos de l’attentat du 11 septembre 2001 contre les Twin Towers reprendront le cadrage de la Tour de Breughel, réactivant une fois encore le fantasme de Babylone.

Sabine GIGNOUX

http://internationalnews.over-blog.com/article-17952979.html

http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2331769&rubId=5548#