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QU’EST-CE QUE CONSTRUIRE UNE ALTERNATIVE ? (1)

Publie le samedi 29 mars 2008 par Open-Publishing
4 commentaires

de Patrick MIGNARD

Constat d’un échec historique

Répondre à cette question est difficile, parce qu’elle renvoie à deux domaines complexes : la connaissance de l’Histoire et la place de l’Homme dans la "construction" de l’Histoire.

En vérité, nous ne savons pas ce qu’est construire une alternative, c’est-à-dire un passage radical d’un mode de production et de distribution des richesses, à un autre et comment s’y prendre… mais nous refusons de nous l’avouer.

Si l’on regarde l’Histoire, on ne peut que constater qu’il n’y a jamais eu de stratégie véritable en vue d’une alternative à un système et ce pour une raison simple : il n’y avait pas une connaissance de ce qu’est l’Histoire. Les actions entreprises tout au long des siècles n’étaient, en terme d’action, que de simples opportunités… y compris le passage l’Ancien Régime au capitalisme en Europe.

MECONNAISSANCE DE L’HISTOIRE ET OPPORTUNISME POLITIQUE

La tentative de compréhension de la dynamique des évènements historiques, de la recherche d’une logique dans le déroulement de l’Histoire, d’essayer de donner un sens à cette dernière, est tout à fait récente et peut-être datée du 19e siècle. Démarche héritière du Siècle des Lumières, elle se fonde sur la conception qui fait de l’Homme l’acteur de sa propre Histoire.

De fait, avant le 19e siècle, il n’y a aucune interprétation de l’Histoire qui, si j’ose dire, est laissée entre les mains de Dieu. C’est Dieu, ou les dieux, qui, pour nos ancêtres, fait/font l’Histoire. Conception, bien sûr, défendue par les possesseurs du pouvoir et les tenants des religions. Cette conception ayant l’avantage inestimable de prêcher, au sens propre, comme au sens figuré, la pérennité du système existant.

La plupart des changements politiques et sociaux, les vrais, ceux qui changent la nature des rapports sociaux, pas les évènements montés en épingle par l’Histoire officielle et qui n’ont vu que le triomphe d’arrivistes, assoiffés du pouvoir, ces changements radicaux donc, permettant de passer d’un mode de production à un autre, se sont fait sans plans, sans modèles, sans véritable volonté fondée sur une « science de l’Histoire ». De ce point de vue on peut dire, d’une certaine manière que l’Histoire s’est faite sans l’Homme-sujet, acteur de son Histoire.

De ce nouveau rôle, il a tout à apprendre et/ou à réapprendre, en ce début de 21e siècle, il se doit impérativement de faire le bilan de ces presque deux siècles d’erreurs.

Aujourd’hui, et jusqu’à aujourd’hui, on peut dire que l’Homme a été incapable d’assumer ce qu’il avait lui-même déclaré : être acteur de son Histoire. Il n’a maîtrisé ni le progrès technique issu de son cerveau – voir les questions d’environnement, les conditions de travail, -, ni l’organisation sociale qui devait être fondée sur une éthique respectueuse de toutes et tous présents et à venir,… et qui plus est fondée justement sur ce progrès technique.

Constat excessif diront certains. Pas du tout,… regardez le bilan du 20e siècle et ce que nous promet le 21e… et évaluez, l’efficacité et le résultat des stratégies de changements au siècle dernier et celles qui, aujourd’hui, existent.

Dans le premier cas, tout a échoué,…citez une seule expérience de dépassement du capitalisme qui ai réussi !...

Dans le second, « on ne sait plus comment s’y prendre »… les formations politiques qui ont la prétention de conduire le changement ne ressortent mécaniquement que les vieilles formules qui ont fait faillite.

UN FAUX DEPART

Dans la foulée des progrès de la Science, du développement du Progrès technique et scientifique, dans tous les domaines, des penseurs de l’Histoire, de l’Economie et disons, des Sciences Morales et Politiques, ont élaboré des théories, voire des « modèles scientifiques », ou déclarés comme tel, qui devaient tracer une bonne fois (foi ?) pour toutes, la manière de s’y prendre, d’agir, bref qui déterminaient la « juste stratégie » pour dépasser définitivement, et sans retour possible, le système marchand dominant.

Alliant la foi dans des valeurs proclamées et une rigueur « scientifique » empruntée aux sciences exactes, leurs ouvrages sont devenus plus que des ouvrages de références incontournables, mais carrément des textes sacrés, dont les adeptes ne pouvaient souffrir, et ne peuvent souffrir, la moindre critique – toute contestation étant considérée comme hérétique, antiscientifique ( ?) et pour couronner le tout « petite bourgeoise » ( ?).

La stratégie politique qui sort victorieuse de ce débat d’idées et qui se fonde sur un renversement radical du capitalisme par la classe la plus exploitée, a dominé, et domine la pensée politique depuis plus d’un siècle. C’est elle qui a inspiré, sous différentes formes, toutes les actions en vue d’une alternative au 20e siècle.

Avec le recul du temps, le bilan des analyses, prédications, et autres actions entreprises, est totalement négatif : toutes les tentatives ont échoué,… et pour celles qui avaient ouvert les plus grands espoirs, le retour en force du capitalisme – en principe définitivement vaincu -, dans sa phase la plus inhumaine, sonne le glas des théories qui les avaient fondé.

Malgré cela, et en dépit de toute logique, aucune véritable leçon n’a été tirée et n’est apparemment en passe de l’être, du moins de la part des organisations qui croient avoir le privilège du changement… des noms ?.

Les « théoriciens » et « stratèges », au lieu d’essayer de comprendre « où est l’erreur ? »… préfèrent triturer les textes sacrés pour leur faire justifier la situation présente et leur incapacité à penser une stratégie.

Mythifiant les expériences passées – et qui ont toutes échoué – ils les intègrent dans les fastes de leur liturgie politique. … leur redonnant une vie non plus comme exemple à suivre mais comme symboles de ce à quoi ils ont cru.

Le constat de l’échec théorique et des pratiques n’a jamais été fait sérieusement, il a été éludé au nom de la « mémoire » ( ?), du « respect de celles et ceux qui ont lutté » ( ?), en fait au nom d’une mythification quasi religieuse du passé. L’erreur commise et qui devrait être un facteur de progrès est devenue une pièce de musée que l’on refuse d’examiner et qui peu à peu se recouvre de poussière faisant disparaître ses formes.

La démarche philosophique qui se voulait à l’origine, critique, a sombré dans un intégrisme qui ne dit pas son nom mais qui révèle une pseudo pratique qui en dit long sur l’obscurantisme de la pensée et l’impuissance qu’elle produit. La rhétorique radicale tenant lieu de prêche incantatoire.
Incontestablement, et aussi dur que cela puisse être à admettre, la problématique de l’alternative – on n’employait pas ce mot à l’époque –posée dès le 19e siècle a été fausse.

Fausse dans ses prédictions : la classe ouvrière des pays industriels développés, n’a jamais renversé le capitalisme.

Fausse dans son application : dans les pays où cette théorie a été appliquée – essentiellement dans des pays sous développés, c’est-à-dire en contradiction avec la théorie – l’expérience s’est terminée dans un désastre économique, social et politique – avec retour au capitalisme.

C’est donc, à une révision radicale de la « dialectique de l’Histoire » qu’il faut procéder, et cela sans réticence et sans tabou… au risque, dans le cas contraire, à reproduire les mêmes erreurs et de se réduire à l’impuissance.

Mars 2008

Messages

  • J’ai lu le texte complet (sur le site "à l’encontre" me semble-t-il). Difficile de répondre à cette partie uniquement. Je dirais que tout n’est pas à jeter aux orties. Pour avancer il faut nécessairement valider des acquis issus du débat.

    Par ailleurs, la période oblige à trouver des éléments d’alternative. Et si nul n’a la vérité de l’alternative peut-être y a-il au moins le projet de construire un rapport de force qui ne se désagrège pas dès le premier affrontement.

    Voici une proposition qui intervient après un débat à Rennes sur le nouveau parti anticapitaliste - NPA .

    Christian DELARUE


    POUR UNE AUTRE FORCE POLITIQUE HEGEMONIQUE A GAUCHE

    Il s’agit de construire une force de contestation et de proposition qui soit hégémonique à gauche ce qui suppose qu’il soit à gauche et qu’il admette une variétée de positions . A gauche signifie le rejet du libéralisme et du socialibéralisme et donc de ce qui constitue le fond de commerce idéologique d’une grande partie du PS mais aussi des Verts . Un tel rejet ne signifie pas refus de participer à un gouvernement des sociolibéraux mais ceux-ci ne doivent pas être en position de donneur d’ordre. La gauche doit pouvoir faire valoir ses choix antilibéraux et anticapitaliste contre le PS et les Verts-roses qui doivent se contenter d’un strapontin. Une telle force, quelqu’en soit la forme -partidaire ou autre - , suppose une méthode de débat qui permette tout à la fois la libre ’expression des différents courants de pensée de la gauche, de l’écologie, de l’antiproductivisme, de l’anticapitalisme, etc.. et l’accord sur une base minimale qui fasse de cette force politique une vraie force qui ne succombe pas aux premières manoeuvres des sociaux-libéraux roses ou verts. Une telle force doit soutenir et prolonger politiquement les luttes contre le sexisme, le racisme, les discriminations, les dégâts écologiques en les articulant aux luttes des travailleurs pour fonder un nouveau un nouveau projet hégémonique à gauche. » La difficulté réside sans doute dans les modalités de cette articulation.

     Hégémonie difficile mais à conquérir.

    Je recours à Daniel BENSAID non pour l’argument d’autorité mais simplement pour ses compétences car on ne peut guère parler d’hégémonie de façon trop naïve, simplement en ressortant ce qu’en dit le Larrousse.

    Dans la gauche la notion d’hégémonie a été instrumentalisée à des fins diverses qui incitent à l’exploration non dogmatique. Reste qu’il ne s’agit pas pour autant de se taire. Il s’agit d’avancer en admettant de se tromper . Par ailleurs, point d’auteur fétiche, d’autres auteurs peuvent et doivent être sollicités sur cette question .En attendant voici donc ce que j’ai retenu de Daniel BENSAID sur l’hégémonie et Gramsci. Il s’agit d’extraits d’un exposé de formation à l’université d’été de la LCR conservés sous forme de thèses (ou de positions) dégagées des arguments qui les soutiennent.

     

     Au cours des années 1970, la notion d’hégémonie servit de prétexte théorique à l’abandon sans discussion sérieuse de la dictature du prolétariat par la plupart des partis « eurocommunistes ». Comme le rappelait alors Perry Anderson, elle n’élimine pourtant pas, chez Gramsci, la nécessaire rupture révolutionnaire et la transformation de la défensive stratégique (ou guerre d’usure) en offensive stratégique (ou guerre de mouvement).

     Gramsci élargit la question du front unique en lui fixant pour objectif la conquête de l’hégémonie politique et culturelle dans le processus de construction d’une nation moderne. Cette compréhension élargie de la notion d’hégémonie permet de préciser l’idée selon laquelle une situation révolutionnaire est irréductible à l’affrontement corporatif entre deux classes antagoniques.

     En opposant à la dictature du prolétariat une notion d’« hégémonie » réduite à une simple expansion de la démocratie parlementaire ou à une longue marche dans les institutions, les eurcommunisstes édulcoraient la portée des Cahiers de Prison.

     Elargissant le champ de la pensée stratégique, en amont et en aval de l’épreuve de force révolutionnaire, Gramsci articule la dictature du prolétariat à la problématique de l’hégémonie. Dans les sociétés « occidentales », la prise du pouvoir est inconcevable sans une conquête préalable de l’hégémonie, c’est-à-dire sans l’affirmation d’un rôle dominant/dirigeant au sein d’un nouveau bloc historique capable de défendre, non seulement les intérêts corporatifs d’une classe particulière, mais d’apporter une réponse d’ensemble à une crise globale des rapports sociaux.

    La notion d’hégémonie implique donc chez Gramsci

    * l’articulation d’un bloc historique autour d’une classe dirigeante, et non la simple addition indifférenciée de mécontentements catégoriels.

    * la formulation d’un projet politique capable de résoudre une crise historique de la nation et de l’ensemble des rapports sociaux.

    Ce sont ces deux idées qui tendent à disparaître aujourd’hui de certains usages peu rigoureux de la notion d’hégémonie.

     La lutte des classes n’est pas soluble dans le kaléidoscope des appartenances identitaires ou communautaires, et l’hégémonie n’est pas soluble dans un inventaire des équivalences à la Prévert.

     Les classes sont hétérogènes, déchirées par des antagonismes intérieurs, et n’arrivent à leurs fins communes que par la lutte des tendances, des groupements et des partis.

     Dans le discours léniniste, l’hégémonie désignait un leadership politique au sein d’une alliance de classes. Mais le champ politique restait conçu comme une représentation ou un reflet directs et univoques d’intérêts sociaux présupposés.

     L’ambiguïté du concept d’hégémonie doit être dénoué, soit dans le sens d’une radicalisation démocratique, soit dans celui d’une pratique autoritaire.

     Dans son acception démocratique, il permet de lier en gerbe une multiplicité d’antagonismes. Il faut alors admettre que les tâches démocratiques ne sont pas réservées à la seule étape bourgeoise du processus révolutionnaire. Dans l’acception autoritaire du concept d’hégémonie, la nature de classe de chaque revendication est au contraire fixée a priori (bourgeoise, petite-bourgeoise, ou prolétarienne) par l’infrastructure économique. La fonction de l’hégémonie se réduit alors à une tactique « opportuniste » d’alliances fluctuant et variant au gré des circonstances. La théorie du développement inégal et combiné obligerait en revanche à « une expansion incessante des tâches hégémoniques » au détriment d’un « socialisme pur ».

     La conception gramscienne de l’hégémonie jette les bases d’une pratique politique démocratique « compatible avec une pluralité de sujets historiques ».

     L’introduction du concept d’hégémonie modifie la vision du rapport entre le projet socialiste et les forces sociales susceptibles de le réaliser. Elle impose de renoncer au mythe d’un grand Sujet l’émancipation. Elle modifie aussi la conception des mouvements sociaux, qui ne sont plus des mouvements « périphériques » subordonnés à la « centralité ouvrière », , mais des acteurs à part entière, dont le rôle spécifiqyue dépend strictement de leur place dans une combinatoire (ou articulation hégémonique) de forces.

     Suivant une « logique de l’hégémonie », dans l’articulation entre anti-racisme, anti-sexisme, anti-capitalisme, les différents fronts sont censés s’épauler et se renforcer les uns les autres, pour construire une hégémonie.

     Pris dans un sens stratégique, le concept d’hégémonie est irréductible à un inventaire ou une à une somme d’antagonismes sociaux équivalents. Chez Gramsci, il est un principe de rassemblement des forces autour dans la lutte de classe. L’articulation des contradictions autour des rapports de classe n’implique pas pour autant leur classement hiérarchique en contradictions principales et secondaires, pas plus que la subordination de mouvements sociaux autonomes (féministes, écologistes, culturels) à la centralité prolétarienne.

    Le concept d’hégémonie est particulièrement utile aujourd’hui pour penser l’unité dans la pluralité de mouvement sociaux. Il devient problématique en revanche lorsqu’il s’agit de définir les espaces et les formes de pouvoir qu’il est censé aider à conquérir.

    Se reporter au texte intégral pour ne pas se contenter de l’os !

    http://www.prs12.com/article.php3?id_article=3954

  • Personne n"a su rien maîtriser effectivement : la mort du Roi Louis XVI fut presque un hasard, qui obligea la Révolution à aller vers son terme, c’est à dire en fin de compte le remplacement du pouvoir de l’aristocratie par celui de la Bourgeoisie qui se servit des serfs et des vilains, comme à la guerre de 14, comme sous le fascisme et le nazisme pour le maintenir à chaque crise. Si l’idéal judéo-chrétien a permis de rêver au partage, il nous a légué le fatalisme commun à toutes les religions : où est l’Homme Nouveau confiant en l’avenir qu’il bâtira de ses propres mains ? Il n’est pas dans ces populations craintives et divisées par la peur de la confiscation progressive, pragmatique de toutes ces concessions reprises sur l’oubli historique organisé, renforcé par l’illusion des couches les plus cultivées du salariat d’appartenir au clan des plus forts. Nous vivons dans un pays où le patron est employé de sa propre entreprise, où le financier joue sur les actions de centaines de milliers de petits boursicoteurs, où la Raison baillonnée par nos égoïsmes, nos pulsions, ne nous éclairera que dans la nuit d’un cataclysme.

  • C’est sur endehors@no-log-org que j’avais lu l’article. Qui, je l’avoue, m’a très intéressé. Il s’agit d’une approche différente de ce que l’on peut lire ou entendre ça et là. Où je suis complètement d’accord c’est sur le fait qu’il faut une révision dialectique de l’histoire. Mais pour cela il est essentiel de ne plus être engluer dans des concepts rigides qui pourtant ne demandait qu’à évoluer. Car lorsque l’on s’appuie sur l’histoire, il y a parfois lieu d’être plus critique en sortant de la sanctification des textes, je dirais même des idéaux, pour une analyse plus péremptoire.

  • Bonjour,

    Un texte intéressant qui appelle à la modestie des gens qui veulent bousculer les vieux schémas.
    Est-il légitime de parler d’avant-garde ? Comment doivent se comporter les premiers volontaires ?
    Faut-il attendre que la situation soit mûre ? Et comment accélérer les événements sans tomber dans le volontarisme ?
    La conquête du pouvoir en haut est l’objectif le plus facile à réaliser, mais après comment continuer et élargir ?

    Les grands engagements ont souvent lieu à l’occasion de situations exceptionnelles.
    Mais comment faire lorsque le système en place est piloté par des pouvoirs habiles et manipulateurs ?

    Le cadre de référence est souvent national. Est-il encore pertinent ?

    bref, beaucoup de questions qui ne doivent pas décourager.
    A+
    GB26100