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APRILE De Nanni Moretti dans la 5e Quinzaine du Cinéma Italien "CINEMA E POLITICA" du 3 au 15 mai

Publie le samedi 8 mai 2004 par Open-Publishing


Organisé par l’association Anteprima de Paolo Modugno pour le programme (ici)

APRILE De Nanni Moretti 78’, 1998 Sélection officielle au festival de Cannes
1998
SAMEDI 8 MAI 11h00 Entrée : 5,5 €
Cinéma du Panthéon. 13, rue Victor Cousin. 5e arrondissement. Métro : Luxembourg,
Cluny-Sorbonne
Films en V.O. sous-titré en français.

de Jean-Michel Frodon

Un printemps italien dans la caméra alerte de Nanni Moretti

Aprile. Film-miroir sur la difficulté de faire un film,
entre la naissance d’un
fils et la victoire de la gauche aux élections


On commence bille en tête avec la politique. Mars 1994 : Nanni Moretti, horrifié,
regarde à la télé l’annonce de la victoire de Berlusconi aux élections ; on rebondit
vers la famille : il est avec sa mère, et fume, en très gros plan, " le premier
pétard de [sa] vie ", dit son omniprésente voix off ; on bifurque vers le cinéma
 : furieux, il veut d’urgence s’engueuler avec quelqu’un, ce sera le pauvre Daniele
Luchetti, qui réalise une publicité - une publicité ! - et reçoit la visite de
son ombrageux confrère, producteur et ami. Virage sur l’aile, direction les projets
professionnels : notre héros décide de tourner enfin cette comédie musicale dont
le personnage principal est un pâtissier trotskiste et dont il nous rebat les
oreilles depuis des années.

Mais le voilà saisi par la nécessité de mettre sa caméra au service de la société.
Où est passée la gauche, confite de respectabilité frileuse ? Où est passé le
peuple, qu’il est allé filmer un jour de manif commémorative de la libération
du fascisme, au lendemain de la victoire électorale d’une alliance dont font
partie les néo-fascistes ? Est-ce seulement l’averse qui l’a dissous, ou y a-t-il
encore du monde, sous les parapluies (un des plus beaux plans véritablement politiques
de toute l’histoire du cinéma) ? Nanni Moretti doute, annule in extremis le tournage
de sa comédie musicale et, couard, n’ose pas le dire en face à son copain Silvio
Orlando, à qui il fait miroiter le rôle depuis sept ans.

Tout ça à toute vitesse, allegretto qui cache mal l’inquiétude. Inquiétude du
conformisme des médias, résumé en un fulgurant montage - la confection d’un journal
unique à partir d’exemplaires de toute la presse -, de sa propre incapacité à mener à bien
sa nouvelle réalisation - musicale et bariolée ou politique et réflexive ? Les
amis commencent à dire que ça fait un certain temps qu’il n’a pas tourné... Notre
cinéaste est terrifié par la perspective de devenir papa, lui qui était encore
tout imprégné d’enfance, malgré ses quarante et quelques piges. Mamma mia ! La
voilà, la mamma, Agata Apicella. Il lui pose directement la question : " Comment
tu as fait, toi, pour m’élever ? " Il vaut mieux être un grand metteur en scène
pour que ça fasse, comme ici, du grand cinéma. Enfin avril vint. Silvia eut le
bébé et la gauche gagna les élections. Le bébé se nomme Pietro, le président
du conseil Prodi.

Nanni Moretti va à Venise filmer la sécession de la Padanie et n’y parvient pas
 ; à Brindisi, où 89 immigrés clandestins albanais sont morts en essayant de débarquer
(c’est ça, la gauche au pouvoir ?), un ami lui démontre qu’il a déjà parcouru
plus de la moitié de son existence ; il roule dans Rome sur son scooter, ça va
mal ; heureusement il y a Pietro... Le rythme reste vif, la sensation souriante,
pourtant une ombre grandit. Lorsque le réalisateur-acteur s’enveloppe d’une longue
pèlerine, l’image revient d’une autre pèlerine, celle que portait le petit garçon
dans Amarcord.

UNE PROMESSE

Tout le début d’ Aprile faisait déjà penser à Huit et demi, autre film né de
l’impuissance à faire un film, raconté à la première personne. Plus " réaliste ",
le film-miroir de Moretti est aussi plus sombre que ne l’étaient ceux de Fellini.
Le mouvement, entre le moi qui filme et le moi filmé , est le même chez Federico
et chez Nanni, mais l’autre, le tiers, s’est perdu. Et du coup, c’est beaucoup
de solitude, trop. Le plus souvent, l’autre avait, chez Fellini, le visage de
Marcello Mastroianni, mais " l’autre ", c’était aussi le fourmillement du plus
beau cinéma d’Europe, aujourd’hui dépeuplé.

Que reste-t-il à Nanni Moretti, contraint par cette désertification à jouer ses
films (et il n’est pas seulement le meilleur cinéaste italien de son époque,
il est aussi le meilleur acteur), à les produire, à les distribuer, à les projeter
et, en plus, à s’occuper des autres. C’est trop d’isolement, contre lequel il
n’est pas certain que la famille constitue une échappatoire acceptable... Mais
Nanni grandira pourtant, car il est cinéaste. Entre sourire et désir de filmer,
il clôt par une promesse ce film, manifeste, à la fois modeste et éperdument
orgueilleux, des puissances du cinéma. Après Aprile, mai. Merci.

08.05.2004
Collectif Bellaciao