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Carlyle Group : anatomie d’une pieuvre

Publie le dimanche 27 avril 2003 par Open-Publishing

Le fonds d’investissement, proche de la famille Bush, serait une "CIA des affaires"

Infoguerre.com, le site d’informations édité par l’Ecole de guerre économique (EGE) publie une enquête sur Carlyle Group, l’un des fonds d’investissement privés les plus puissants de la planète, très proche de l’administration Bush.

On y apprend que Carlyle, déjà connu pour son emprise sur le complexe militaro-industriel américain et ses liens avec la famille Ben Laden, est de mieux en mieux implantée dans les nouvelles technologies.

L’auteur de l’enquête, Pascal Dallecoste, chercheur associé au LAREGE, le laboratoire de recherche de l’Ecole de guerre économique, travaille sur les logiques de puissance et de guerre de l’information.

Carlyle, c’est 70 000 salariés, 13 milliards de dollars d’actifs et des participations dans 164 sociétés. "L’un des premiers groupes d’investissement privés de la planète", souligne Pascal Dallecoste, pour qui il s’agit avant tout d’un "service de renseignement à part entière".

"Privatisation de la sécurité nationale"

Créé en 1987, Carlyle commence à se développer massivement en 1989, après la nomination à sa tête d’un certain Franck Carlucci. Après avoir dirigé la CIA de 1977 à 1981, Carlucci est nommé directeur de Wackenhut, une société de sécurité "communément décrite comme un paravent de la CIA, proche de l’extrême droite", d’après Dallecoste.

Wackenhut est spécialisée, entre autres, dans la sécurité des ambassades et des centrales nucléaires américaines, ainsi que dans "la mise au point de centres de recherche quasi-clandestins sur les armes biologiques et chimiques", précise Dallecoste.

Wackenhut fut également impliquée dans l’un des plus grands scandales d’espionnage industriel et technologique, l’affaire Promis : un logiciel commercialisé dans le monde entier auprès d’un grand nombre de forces de l’ordre, sociétés privées et services de renseignement, au profit du Pentagone, qui y avait préalablement installé une "porte dérobée". Et qui avait donc accès à des données "sécurisées" dès qu’il le jugeait nécessaire.

Conseiller pour la sécurité nationale de Ronald Reagan, Carlucci est nommé en 1987 secrétaire d’Etat à la Défense. Il en profite pour réformer les procédures d’appel d’offres de la Défense américaine. Fort de ses relations dans les milieux du renseignement, de la police et de l’armée, il passe, en 1989 à la tête de Carlyle Group, qui réalisera dès lors l’essentiel de son chiffre d’affaires dans l’industrie militaire.

"Le grand mouvement de privatisation de la sécurité nationale se met alors en marche", explique Dallecoste. "Au milieu des années 90, le Carlyle Group participe de manière très active à la reconstruction du complexe militaro-industriel américain", et devient une sorte de "CIA des affaires", affirme le chercheur.

"Carlyle est un proxy anonymisant"

Grâce à une très forte rentabilité financière, Carlyle attire rapidement les banques. Carlyle compte dans ses rangs des conseillers issus, pour bonne partie, des services de renseignements, de l’armée, "du gotha politique des Etats-Unis et des plus hauts dignitaires de l’administration Bush", dont Bush père en personne. Dans les années 90, le groupe se montre capable d’identifier les technologies émergentes à surveiller et les sociétés publiques qu’il convient de privatiser, sur fond de déréglementation des marchés.

"Carlyle est un proxy anonymisant : le groupe ne dévoile rien de ses investisseurs, ce qui permet à des sociétés ou à des pays d’accéder à des brevets sans se faire repérer", poursuit Dallecoste, qui note aussi son utilisation intensive des paradis fiscaux. "Chantre de la privatisation et du rôle des marchés financiers, Carlyle n’est pas coté en Bourse et n’est donc pas obligé de dévoiler l’identité de ses nombreux associés et actionnaires."

La société "montre une attention toute particulière envers les leaders d’opinion". L’ancien Premier ministre conservateur britannique John Major est par exemple le représentant européen du groupe.

En France, après avoir pris des parts dans Le Figaro en 1999, Carlyle a investi dans Vivendi Universal Publishing, dont les groupes Tests et Moniteur sont les leaders de la presse professionnelle informatique, BTP et marchés publics.

"Des postes d’observation essentiels : le laboratoire du groupe Tests figure parmi les premiers centres européens de tests informatiques", quand "l’annuaire France R&D" de L’Usine Nouvelle est "le premier annuaire des laboratoires et centres de recherche français".

L’ombre des Ben Laden

"Une oreille à Washington, une autre au Pentagone", la société profite financièrement de la menace terroriste : "Les postes budgétaires qui ont le plus augmenté après les attentats du 11 septembre (biodéfense, sécurité informatique et technologies de protection de pointe, sont au coeur de Carlyle", rappelle Dallecoste.

Ironie de l’histoire, le groupe a commencé à faire parler de lui après que l’on eut découvert que la famille Ben Laden avait investi deux millions de dollars en 1994 dans ce fonds, centré sur l’industrie de la défense et de l’aérospatial. Une somme considérée comme une "mise de départ" par plusieurs analystes : il se pourrait bien que la famille Ben Laden fasse encore partie des principaux investisseurs du groupe.

D’abord concentré sur les secteurs militaires et pétroliers, Carlyle prend position dans le domaine des nouvelles technologies dès le début des années 2000. En janvier 2003, Carlucci ayant mauvaise presse, Carlyle nomme à sa tête Louis Gerstner, le très médiatique ex-directeur d’IBM.

Colonne vertébrale du réseau

"Capable de répondre à n’importe quel appel d’offres, de l’aéronautique aux télécoms, de l’électronique de défense à la décontamination nucléaire, bactériologique et chimique, en passant par la production de chars, de canons, de missiles..., écrit Dallecoste en introduction de son enquête, les participations du Carlyle Group dans les nanotechnologies, les biotechnologies et les semi-conducteurs en font l’un des principaux centres de recherche et développement sur les infrastructures de l’information, le nucléaire et les programmes génétiques."

Mais, selon le chercheur, le pire reste à venir : "La plupart des câbles sous-marins, notamment asiatiques, appartiennent à Carlyle. La société contrôle une partie des ’backbones’ mondiales, capitalise les routeurs, l’internet tactique et militaire, les radiofréquences, contrôle à peu près l’ensemble de la chaîne, en amont et en aval... En cas de conflit, c’est hautement stratégique".

Depuis peu, Carlyle se concentre aussi sur les places de marché virtuelles et les solutions de commerce électronique, les systèmes de cryptage et les produits interbancaires : "Un accès aux flux d’informations les plus critiques de la planète le rendrait immensément riche et quasiment intouchable", prophétise Dallecoste.

Carlyle Group : un enjeu de sécurité pour l’Europe ? (Infoguerre) :

 http://infoguerre.com/article.php?sid=568&mode=threaded&order=0

Laboratoire de recherche de l’Ecole de guerre économique :

 http://www.ege.eslsca.fr/fr/larege/

Le site du Carlyle Group :

 http://www.thecarlylegroup.com/

Les États-Unis espionnent-ils grâce à un logiciel piégé ? (Zdnet) :

 http://news.zdnet.fr/story/0,,t118-s2061119,00.html