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Le filtrage des contenus s’invite dans la loi sur la riposte graduée

Publie le jeudi 19 juin 2008 par Open-Publishing
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Rédigée par Marc Rees

Un article discret de la loi Hadopi, surtout éclairée par la riposte graduée, instaure un régime de filtrage de contenus en France. Une vision inédite du contrôle des échanges sur le réseau.

Hier, lors de la présentation presse rue de Valois du projet de loi Création et Internet, Christine Albanel assurait au parterre de journalistes : « J’entends (...) parler de « filtrage généralisé des réseaux ». Il est évident que le projet du gouvernement ne prévoit rien de tel ! La diffusion des techniques de filtrage doit faire l’objet, aux termes des accords de l’Élysée, d’une expérimentation de bonne foi, sur une période de deux ans, entre les acteurs de la Culture et ceux de l’Internet. Il n’y a donc pas lieu, pour les pouvoirs publics, d’interférer sur ce point, dès lors que les parties respectent spontanément cet engagement ». Soulagement.

Après les URL, le filtrage des contenus

Si l’on examine le texte, miroir de cette déclaration d’intention, le discours prend une tournure plus floue. Et pour cause : Albanel et l’industrie de la Culture prévoient bien d’instaurer en France un système de filtrage. Pis, le filtrage est nettement plus incisif que celui envisagé récemment par Michèle Alliot Marie contre le contenu pédopornographique et qui déjà a provoqué des remous lors de la diffusion de la Charte sur la Confiance (notre actualité).

Alors que MAM était montée au front pour soutenir un intrépide et délicat filtrage d’URL contre ces contenus odieux, Albanel opte illico pour le filtrage de contenu. À côté, l’écrémage d’URL fait office de mesure de garde champêtre.

C’est un durcissement manifeste du texte. Le document initial, l’avant-projet concocté par le ministère, qui fut critiqué par la CNIL, l’AFA, L’Afoc, l’Asic… se contentait de confier la prévention des atteintes au droit d’auteur à l’autorité au centre de la loi Hadopi. Une interprétation large (ou paranoïaque) laissait entrevoir le filtrage dans l’ombre du texte, une interprétation serrée, non. Mais c’était avant l’avis « favorable » du Conseil d’État qui, attentif, torpilla le passage, en indiquant que la mesure devait être orchestrée seulement par un juge judiciaire, non une autorité indépendante.

Après cette correction, les artisans de la loi ont mis les bouchées doubles. Il faut se plonger dans la loi Création et Internet (ou Hadopi) jusqu’au bout pour découvrir tout en bas, à l’article 5, le futur article 336-2 du code :

En présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le tribunal de grande instance, statuant le cas échéant en la forme des référés, peut ordonner à la demande des [ayants-droit] ou des organismes de défense professionnelle [comme l’ALPA], toute mesure de suspension ou de filtrage des contenus portant atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, ainsi que toute mesure de restriction de l’accès à ces contenus, à l’encontre de toute personne en situation de contribuer à y remédier ou de contribuer à éviter son renouvellement.

Dans ces lignes, les accords de l’Elysée sont ignorés alors qu’ils prévoyaient pourtant des expérimentations sur deux ans.

Un texte très vaste, dépassant les limites de la LCEN

Le tribunal de grande instance, statuant en référé une procédure turbo, pourra donc demander à Free, Neuf ou Orange que soit filtré tel contenu sur les réseaux. Le texte est d’ailleurs très vaste puisqu’il ne vise pas seulement les FAI, mais également les hébergeurs, ou n’importe quel intermédiaire ou tuyau. En quelques lignes, il détricote donc l’équilibre de la loi sur l’économie numérique qui oppose pourtant hébergeurs et éditeurs.

Ici l’ayant droit peut obtenir un filtrage de Youtube, des newsgroups, des réseaux P2P, d’un site internet, des échanges de toute nature, sans le formalisme tatillon de la LCEN : on saisit le juge des référés, et dans l’instant, voilà le filtrage ordonné. Sauf erreur, c’est aussi la première fois que la mention de « filtrage » apparaît ainsi dans le droit de l’internet.

Bien sûr, techniquement, le filtrage des contenus est une autre paire de manches que le filtrage des URL. On pourra relire l’interview que nous a accordé un FAI français de première importance. Ces mesures doivent par exemple s’accompagner d’investissements faramineux : la somme de 40 000 euros par DSLAM nous fut citée, alors qu’il y a 20 000 DSLAM chez Orange, et environ 3600 chez Free et autant chez Neuf. Cette petite décision d’un juge de référé pourrait donc avoir des effets encombrants pour les budgets de l’acteur qui devra supporter cette charge.

L’exemple belge

Cette tentation du filtrage des données échangées, qui implique mécaniquement un contrôle approfondi de tout ce qui passe entre votre écran et le web, n’est pas une nouveauté en Europe. Chez nos proches voisins, dans un jugement du 29 juin 2007, le tribunal de première instance de Bruxelles a exigé du FAI Tiscali (propriété de Scarlet) « qu’il adopte une des mesures techniques avancées (…) pour empêcher les internautes de télécharger illégalement le répertoire musical de la SABAM via les logiciels P2P » (notre actualité). La mesure fut considérée comme une véritable trappe puisque le juge ne donne aucune indication technique. Au FAI de se débrouiller, mais ce qui est sûr c’est qu’il s’expose à une astreinte importante au cas où les mesures prises s’avéreraient insuffisantes ou dépassées par la technique.

« Il ne s’agit (…) bien évidemment ni de « fliquer », ni de « criminaliser », ni de supprimer des libertés fondamentales – à moins que l’on considère le vol comme une liberté fondamentale » a tambouriné Christine Albanel avant donc de lancer cet engrenage, pièce discrète, mais maîtresse de l’arrivée du filtrage de masse de l’Internet en France.

http://www.pcinpact.com/actu/news/4...

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