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Europe : un problème existentiel

Publie le mardi 8 juillet 2008 par Open-Publishing
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par Bernard Cassen (pour Mémoires des luttes)

Dans des propos rapportés par le quotidien britannique The Daily Telegraph daté du 15 novembre 2007, M. Nicolas Sarkozy affirmait que « des référendums sur le nouveau traité européen seraient dangereux, et un tel référendum en France serait perdu, de même qu’au Royaume-Uni et dans d’autres pays ». Les électeurs irlandais – les seuls, au sein de l’Union européenne (UE), ayant eu le droit de s’exprimer par référendum – lui ont donné raison le 12 juin dernier !

Ce « non » pose un problème existentiel à l’UE. Non pas parce qu’elle se trouverait paralysée : elle fonctionne en effet sans difficulté particulière dans le cadre du traité de Nice entré en vigueur en 2001. La question de fond est de savoir qui doit « faire » l’Europe : l’ensemble de ses citoyens ou seulement ses élites ? Or tout se passe comme si ces dernières avaient ouvertement décidé de se passer des peuples – faute de pouvoir les dissoudre - afin d’« aller de l’avant », comme elles le disent. Mais vers quelle destination finale, sinon vers toujours plus de marché, toujours plus de concurrence, toujours plus de dumping fiscal, social et environnemental, donc toujours moins de solidarité, de droits sociaux et de services publics ?

Quelques épisodes de la courte histoire du traité de Lisbonne sont à cet égard édifiants. Déjà, ce qui constitue un abus de confiance, il a été d’emblée officiellement qualifié de « simplifié », alors qu’il comporte 356 modifications des traités de Rome et de Maastricht, 34 protocoles et 65 déclarations. Il a été signé en décembre 2007 par l’ensemble des gouvernements, mais à la condition expresse que sa ratification se fasse par la voie parlementaire, donc que les peuples soient tenus à l’écart. C’est le sens des propos cyniques, mais réalistes, de M. Sarkozy.

Ensuite, le 20 février 2008, le Parlement européen a rejeté par 499 voix contre 129 un amendement du groupe de la Gauche unitaire européenne (GUE) dans lequel il lui était demandé de s’engager par avance à respecter le résultat du référendum irlandais. Un tel vote disqualifie cette assemblée qui viole le cadre institutionnel dans lequel elle a été élue. Il n’est en effet dit nulle part dans les traités que la volonté du Parlement européen avait préséance sur les actes souverains de chacun des Etats qui composent l’Union, dès lors que ces actes s’exercent dans le cadre de ces mêmes traités. Par ailleurs, le traité de Lisbonne stipule qu’il peut seulement entrer en vigueur s’il est ratifié par les 27 Etats membres. Pas 26, mais bien 27. Le traité devrait donc être remisé au placard.

Ce n’est pas le cas, et les stratégies de contournement de la décision des Irlandais sont à l’œuvre. A Bruxelles, comme dans d’autres capitales, on laisse entendre que 865 000 électeurs d’un pays de 4 millions d’habitants ne vont pas imposer leur loi à 495 millions d’Européens. Mais 865 000 électeurs, c’est au moins 100 fois plus que le nombre total de parlementaires qui, dans les autres pays, ont voté ou vont voter « oui » à la ratification du traité en sachant pertinemment qu’ils seraient désavoués par leurs propres électeurs si la question leur était posée. Pour le vérifier, il suffirait d’organiser un référendum dans les 26 pays qui s’y sont refusés… Cette épreuve de vérité est un préalable à la refondation d’ « une Europe qui intéresse les peuples », et pas seulement ses élites, pour reprendre une formule du général de Gaulle qui reste d’une parfaite actualité.

http://www.medelu.org/spip.php?article93

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