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Vouloir un monde nouveau, le construire au quotidien

Publie le mercredi 9 juillet 2008 par Open-Publishing
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Contribution de Marie George Buffet suite à l’appel lancé au dernier Conseil national du PCF

Notre congrès a à son ordre du jour : « La construction d’une alternative en France, en Europe et dans le monde ; l’avenir de la gauche, du communisme, du PCF et les transformations de celui-ci.

Répondant à l’appel à contribution du Conseil national, je souhaite donner mon opinion aux adhérentes et adhérents et ainsi contribuer à un débat clair.

D’abord, ne faut-il pas s’interroger sur l’ordre du jour ?

Franchement, au regard de l’état de la gauche française, des forces de progrès européennes, du PCF lui-même, se fixer aujourd’hui pour objectif « la construction d’une alternative en France, en Europe et dans le monde », n’est-ce pas se payer de mots ? Je ne le pense pas. Certes, je n’ignore pas qu’à travers la crise existentielle de notre parti, dont je porte une responsabilité, se joue pour une grande part l’avenir de l’idée et de la possible mise en œuvre d’un projet de changement réel dans notre pays. Nous avons à évaluer tous nos choix passés, examiner leur mise en œuvre, mais les causes de cette crise et les moyens de la surmonter doivent à mon avis être examinés dans une perspective plus vaste.

Celle de notre propre raison d’être dans les conditions concrètes de notre temps.

J’affirme pour ma part que le combat pour l’émancipation humaine est un combat d’actualité, parce que c’est le combat nécessaire de l’époque dans laquelle nous sommes entrés.

Une nouvelle époque

Et quand j’évoque un changement d’époque, je ne pense pas à celle de l’avant-1989, avant la chute du mur de Berlin. C’est vrai qu’on n’en finirait pas de faire la liste de ce qui différencie, tellement radicalement, les réalités et les aspirations d’aujourd’hui de celles du soviétisme et de la « coexistence entre deux systèmes sociaux différents ». Libertés, démocratie, droits pour chaque individu, reconnaissance de la domination patriarcale, conception du développement…

Mais presque deux décennies se sont écoulées depuis lors.

C’est, cette période des années 1990 qui est en train de s’achever, et une autre qui s’ouvre : celle de la mondialisation réalisée. Celle-ci est en effet devenue notre quotidien. Elle peut donner espoir ou effrayer, mais elle est et elle sera notre réalité. On ne reviendra pas en arrière. On ne peut plus concevoir d’activité humaine, quelle qu’elle soit, hors de ce processus. Le travail, la culture, les modes de production et de consommation, le comportement de chacune et de chacun à l’égard de l’autre et de la nature sont désormais inscrits dans cette dimension avec la force de l’évidence. Et déjà, de l’habitude.

C’est une chance de progrès immense pour notre civilisation.

Pour la première fois de son histoire, l’humanité a les moyens concrets, à la portée de chaque individu, de prendre conscience de sa communauté de destin. La « révolution numérique », qui offre de telles possibilités d’information et d’échanges qu’on a pu parler de l’émergence d’une « société de la connaissance », l’élévation des qualifications et du niveau culturel, l’allongement de la durée de la vie, la réduction des distances construisent des être humains à la fois plus autonomes et plus proches, plus informés et conscients et donc plus responsables à l’égard des autres et de la planète.

J’ai bien conscience, en écrivant ces lignes, de la distance qui sépare ces potentiels des réalités.

Car le processus de mondialisation a été et demeure piloté par le capitalisme, devenu le système social dominant de par le monde. Le capitalisme s’est engouffré dans les possibilités d’accumulation sans précédent de profits, notamment financiers, que lui ouvrait la mondialisation. Il s’est lui-même mondialisé et financiarisé et a ouvert l’ère de la marchandisation universelle.

On en mesure aujourd’hui les résultats. Ces années 1990-2000 devaient être celles de la « fin de l’histoire ». Elles devaient être celles d’une évolution tranquille, pacifiée, prospère. Mais la « thérapie de choc » appliquée au monde entier, à l’Est, au Sud, au Nord, pour en faire un espace ouvert à la liberté totale de circulation des capitaux, à la mise en concurrence des travailleurs et des peuples et en définitive à la loi barbare du plus riche et du plus fort, la politique de guerre aux peuples menée au nom de la « guerre contre le terrorisme » ont entraîné une spirale de violences, d’injustices, de souffrances insupportables.

Ces années ont aussi été, au final, celles de véritables reculs de civilisation.

Aujourd’hui, dans notre monde, les inégalités sont partout : entre les individus, les classes sociales, les genres, les peuples, les continents.

Constater que jamais les plus riches n’ont été aussi riches à l’heure des émeutes de la faim et des migrations de la misère est devenu une banalité. La logique folle du profit partout, le plus vite possible, dans n’importe quelles conditions et le productivisme irresponsable qui l’accompagne mettent en péril l’avenir même de la planète et des générations futures. Et voilà que ce système lui-même plonge dans la crise avec l’aggravation de la crise financière annonciatrice d’une crise économique globale majeure. Voilà que ce qui en faisait sa force, sa capacité à impulser une croissance mondiale soutenue (à quel prix humain et écologique !) et à permettre à certains de « gagner » (aux dépens de tous ceux qui « perdent ») est en train de se gripper. Voilà que le consensus réalisé sur la « pensée unique » néolibérale se lézarde. De plus en plus d’experts mettent en garde contre une application jusqu’au-boutiste des principes libéraux. On évoque même une nécessaire « moralisation » du capitalisme ou encore de nouveaux processus de régulation faisant appel au « retour de l’État ».

En fait, aujourd’hui, la cause du capitalisme mondialisé et financiarisé est de plus en plus indéfendable au regard des intérêts les plus élémentaires et les plus vitaux de l’humanité. Les tenants de l’ordre actuel du monde et de la société, les avocats de la pseudo-« modernité » néolibérale mènent un combat passéiste.
Un combat d’actualité

On ne peut pas continuer dans cette voie. D’autres solutions, d’autres logiques de développement humain, économique, social, écologique sont indispensables.

Voilà pourquoi, je le redis, le combat pour l’émancipation humaine est un combat d’une brûlante actualité. Il y a urgence pour garantir l’avenir de l’humanité et de la planète, de parvenir à dégager des voies, des solutions nouvelles qui permettent aux hommes et aux femmes, aux peuples de s’émanciper en tout domaine des dominations et des logiques du capitalisme.

Ce combat a un nouveau rendez vous avec l’histoire !

Bien sûr, personne ne s’imagine que ce combat a un boulevard ; les tenants de l’ordre actuel ne sont pas à la veille de céder leurs pouvoirs !

Leur puissance, ils le savent, est aujourd’hui sans commune mesure avec celle des forces de résistance et de changement en France, en Europe et de par le monde ! Mais c’est ce combat-là qu’il est vital d’engager pour la planète et ses habitants. C’est dans ce combat-là que nous, communistes français, nous nous situons. Toutes les images du monde nous mobilisent ! A nous de le changer !

Un impératif de résistance.

Comment mener ce combat ?

D’abord en résistant. En contribuant à unir le plus largement contre tout coup porté, sur tous les terrains.

Je sais qu’en écrivant ces lignes, j’encours le reproche d’en rester à un point de vue quasiment conservateur. Se dresser « contre », n’est-ce pas s’entêter à refuser de voir que tout bouge ? Il devient même de bon ton, à gauche, d’expliquer que la place des militantes et militants politiques ne serait pas dans les luttes et les manifestations ou, à l’inverse, que ce serait à eux de redresser les choses puisque les syndicalistes se comporteraient en « traîne-savates ».

Eh bien non : refuser, s’opposer, résister, ce ne sont pas des gros mots. C’est la dignité, la liberté de chaque individu, c’est la solidarité.

Et si il est vrai que le mouvement social et démocratique n’est pas au niveau nécessaire, il n’est pas atone. Faut-il rappeler les mobilisations des cheminots, des fonctionnaires, des enseignants, des lycéens et étudiants, des dockers, des usagers contre les franchises médicales, des professionnels de l’audiovisuel public et de tant d’autres depuis l’élection de Nicolas Sarkozy ? Le pouvoir et le grand patronat leur répondent par une intransigeance absolue, souvent provocatrice. Cette arrogance, ce mépris, ce mur opposé aux exigences populaires sont pour eux une stratégie essentielle. Un véritable bras de fer se mène, dans l’entreprise et la commune jusqu’aux niveaux européen et mondial, entre les individus, les peuples et les tenants de l’ordre capitaliste. Ceux-ci ne s’arrêtent et ne s’arrêteront pas, parce que leur logique même de domination et de profit est celle d’un engrenage sans fin vers davantage de domination et de profit. On le voit bien avec la droite au pouvoir : chaque « réforme » accomplie en annonce aussitôt une autre, qui aurait été inconcevable avant la première ; chaque point marqué n’est à leurs yeux qu’un appui supplémentaire pour en marquer d’autres. Affirmer qu’on ne cédera pas quoi qu’il arrive, qu’aucune autre politique n’est possible, réprimer ceux qui relèvent la tête, défier ouvertement les syndicats et les associations, tenter ainsi de créer un sentiment de renoncement et de défaitisme constituent la condition politique de cette entreprise.

C’est pourquoi il est absolument décisif, oui, absolument décisif pour faire reculer la barrière des possibles de riposter de toutes ses forces, personnellement et collectivement, à cette offensive, de créer des rapports de forces, par les luttes et par les votes, qui permettent d’obtenir des succès. Grands ou partiels : il n’y en a pas de petits, de négligeables. Tous contribuent à relever le défi lancé par la classe dominante. C’est pourquoi les communistes considèrent comme leur devoir de contribuer activement à toutes les ripostes et de prendre eux-mêmes des initiatives : je pense à nos campagnes « La Bourse ou la vie », pour un nouveau traité fondateur de l’Union Européenne après le non irlandais, pour des institutions démocratiques. Et je propose de décider à la rentrée une initiative plus ample pour faire entendre la protestation contre la politique de Sarkozy.

J’ajoute : ce combat quotidien des élus qui s’opposent pied à pied à la politique du pouvoir, du grand patronat, des dirigeants européens, ces luttes de toutes celles et tous ceux qui, ensemble, se battent pour les salaires, l’emploi, les retraites, la Sécu et la santé, les services publics, l’école et l’Université, la recherche, l’éducation sans frontières, les droits des sans-papiers, la culture, la paix, ces combats féministes, ces marches des fiertés, ces manifestations de solidarité avec le peuple palestinien, avec les peuples opprimés – toutes ces ripostes, ces mobilisations contribuent à « la construction de l’alternative ».

Parce que celle-ci ne peut se concevoir qu’à partir d’une intervention populaire, citoyenne, pas avec des femmes et des hommes résignés et revenus de tout.
Le PCF. Une force au service de l’alternative ?

Ce sont ces hommes et ces femmes qui ne se résignent pas qui nous interrogent, interrogent la gauche, le doute au cœur, « peut-on faire autrement ? ». Ce sont des syndicalistes français ou européens, des militantes et militants qui, face à la mise en œuvre d’un projet global des forces de droite et capitalistes, interpellent les forces de gauche sur leurs réponses et leurs objectifs politiques ?

Et sur ces deux demandes, comment est perçu le PCF ?

Coincé dans le « ni ni » ? ou vécu en « Monsieur Plus » ? Cette réponse est caricaturale et nous savons que d’autres liens bien plus forts se sont tissés avec nos concitoyens. Mais cela dit, sommes-nous perçus comme une force utile donnant sens à une espérance révolutionnaire ? Sommes-nous positionnés de façon positive, c’est-à-dire comme une force ayant la volonté de concevoir et de mettre en œuvre, par l’exercice du pouvoir et l’intervention populaire, un projet identifiable, crédible et moderne de progrès social ?

Etre le parti incarnant cet objectif. Voilà pour moi le chantier de notre congrès.

Quand je fais part de cette conviction, il arrive que des camarades me disent : « Mais nous avons des propositions ! Est-ce que le problème ne vient pas du fait que nous ne savons pas les mettre suffisamment en valeur ? »

J’ai pour ma part consacré l’essentiel de ma campagne en vue de l’élection présidentielle à exposer ces propositions. Je n’ai aucune raison de rougir de leur contenu. Qu’il s’agisse de celles-ci ou de bien d’autres que nous défendons, nous sommes loin d’avoir tout à inventer.

Mais la question est-elle là ? Combien de femmes et d’hommes me tiennent à peu près le même discours : « Ce que vous proposez est très bien, mais… » Et derrière ce « mais », j’entends un très fort doute quant à la possibilité de réaliser de tels objectifs parce que, fondamentalement pour eux, le « cours des choses » ne va pas dans ce sens-là. Et nos propositions, aussi légitimes soient-elles, ne sont pas perçues comme s’inscrivant dans le contexte actuel, dans un proche avenir possible. Alors que les « réformes » de Nicolas Sarkozy sont, elles, perçues comme en conformité avec le reste du monde ! Est-ce que nous n’apparaissons pas, à notre corps défendant davantage comme les défenseurs des acquis d’un monde perdu que porteurs des potentiels du monde nouveau qui est en train de s’installer ? Et est-ce que ce problème n’est pas seulement celui du PCF, mais celui de la gauche tout entière et de toutes les forces politiques de transformation en Europe ?
Sur le communisme

D’autres camarades, face au constat que le capitalisme fait aujourd’hui la démonstration de son incapacité à résoudre les plus graves problèmes de notre temps, en concluent que le communisme n’a jamais été plus actuel qu’aujourd’hui. En quoi ils ont raison. Sauf si on en reste là.

Je ne vais pas développer cette question dans le cadre de cette contribution. Je pense que nous devons encore beaucoup pousser l’analyse des différentes dimensions de ce que nous appelons la « crise du communisme » et des raisons qui nous conduisent à continuer de faire du communisme une référence fondamentale de notre action. Il nous faut parvenir à en affirmer une conception neuve afin qu’elle ne renvoie pas quasi instantanément dans la conscience commune au passé, et à des échecs terribles. Pour cela, je crois qu’il nous faut partir d’une espérance révolutionnaire, car rien ne changera durablement au quotidien sans qu’on s’attache à l’ordre établi et qu’on porte une visée communiste. Et il ne faut pas en rester aux mots. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, « anticapitalisme », « communisme », « antilibéral » cela a un sens pour nous, mais nous avons le devoir d’aller aux réalités derrière les mots. Dépasser le capitalisme ne relève pas pour moi d’un slogan, cela demande constructions et prise de responsabilités. Le communisme n’est pas un acte de foi ou un idéal hors du temps, il n’a de sens que par la qualité des analyses du réel et de l’action pour le transformer qu’il doit permettre.

Je partage, de ce point de vue, ce qui est écrit dans le texte de l’atelier qui a traité de la conception du projet : « Ce projet d’avenir n’est pas la description d’un monde ayant dépassé tous les systèmes d’exploitation et de domination, réalisant la visée d’émancipation humaine que nous nommons le communisme. Mais sa démarche, qui consiste à partir des réalités sans jamais s’en détacher, du vécu de millions d’hommes et de femmes, des rapports de forces réels ; qui travaille à identifier les principales contradictions de notre époque, les moyens concrets de les surmonter, les forces capables de se mettre en mouvement et de se rassembler pour y parvenir ; qui se donne pour ambition de donner à voir le sens dans lequel il est possible de transformer la société, l’Europe, le monde – cette démarche est au sens véritable du terme la démarche communiste. »
Le besoin d’un projet politique de notre temps

Aussi quand nous parlons de projet politique, nous parlons donc des grandes réformes à la hauteur des défis sociaux, économiques, politiques, écologiques de notre époque qu’il serait possible de mettre en œuvre dans les cinq à dix années à venir. Et nous parlons indissociablement des moyens politiques de réalisation de ces objectifs. C’est-à-dire du type de rassemblements à perspective majoritaire qui les rendraient réalisables, et du parti politique qui soit porteur de ce projet, animateur de dynamiques unitaires transformatrices.

Grands traits de contenu et rassemblement politique sont inséparables : énoncer des propositions de réformes n’a pas de sens si cela ne permet pas de rassembler suffisamment largement pour faire force politique ; un rassemblement est impossible sans objet et ne se renouvellera pas si la déception et l’échec sont au bout. La responsabilité de notre parti est donc de dire tout à la fois ce qu’il propose, comment en créer les conditions et quelles conséquences il en tire pour lui-même.

Sans énoncer aujourd’hui dans le détail ce que pourraient être ces grandes réformes, on peut formuler ce qu’on pourrait nommer la « feuille de route » de ce travail : la logique politique qui doit l’animer, dont il ne doit pas dévier. Il ne s’agit pas de décrire une perspective lointaine que nous remettons sans cesse à plus tard. Encore moins un idéal inaccessible, fût-il paré du qualificatif de « communiste ». Nous voulons transformer la réalité ici et maintenant. Donc, pas de construction abstraite, mais une prise en compte la plus précise possible des problèmes posés et, sur cette base, des issues possibles pour relever les défis de notre temps.

Les obstacles auxquels se heurte cette recherche de solutions neuves sont considérables. Le rouleau compresseur des réformes correspondant aux exigences du capitalisme mondialisé s’est frayé son chemin grâce à une concentration inouïe des pouvoirs, à la constitution d’organisations internationales et d’ensembles continentaux qui en assurent la mise en œuvre.

Près de 80% des lois votées par le Parlement français sont des transpositions de directives de l’Union européenne dont les institutions sont les bras armés des tenants de l’orthodoxie néolibérale.

Aucune barrière n’endigue la liberté totale de circulation des capitaux et les spéculations qui se portent un jour sur l’immobilier, un autre sur le pétrole et aujourd’hui sur les matières premières alimentaires.

L’apparition de nouveaux géants, la Chine, l’Inde, le Brésil, le retour de la Russie introduisent des données totalement inédites tout en s’effectuant dans le cadre de la loi de la « concurrence libre et non faussée ». L’OTAN, qui ne devrait plus avoir de raison d’être, joue un rôle accru de défense du « camp occidental » en englobant ce qui aurait dû être la défense européenne. Et tout le monde sait aujourd’hui que le risque de délocalisation et plus généralement les formes accrues d’exploitation, de précarité et de casse sociale obéissent à une logique de dumping social, fiscal et salarial à l’échelle du monde.

On touche là, évidemment, à une question politique essentielle, qui doit être traitée comme telle : Quels sont, dans ce monde, les changements à la portée de l’intervention et de la décision des individus, des peuples, des États ? Si le capitalisme mondialisé a tout verrouillé, la conclusion s’impose d’elle-même : il faut ou bien se limiter à l’aménager ou bien renoncer à toute réforme, nécessairement illusoire hors de la révolution mondiale.

Ces deux faces du même fatalisme veulent ignorer que ces blocages ne sont pas le fruit du destin, mais le résultat de choix économiques, financiers et en dernière instance politiques. Il n’est pas vrai qu’on ne peut rien changer en France et que la France ne peut pas contribuer à changer en Europe et dans le monde. Il n’est pas vrai que les instruments de domination et d’expansion du capitalisme mondialisé soient tout-puissants pour l’éternité. Ce qui est vrai, par contre, c’est qu’il n’y a pas de solutions simplistes aux problèmes posés, qui négligeraient ces données, qui ne se situeraient pas au niveau où se prennent les décisions, en France, en Europe, dans le monde.

Il nous faut donc être capable d’avancer des propositions de politiques nouvelles en faveur de la solidarité, de la paix, de l’avenir de la planète, de transformations des institutions et des pouvoirs dans l’Union européenne et les grandes instances internationales. Des propositions qui, pour être crédibles, ne peuvent pas être celles du seul PCF, ni même uniquement franco-françaises ! Notre réflexion s’inscrit dans les nombreuses recherches en ce sens de partis progressistes, de syndicats, de mouvements altermondialistes, féministes, écologistes, elle se nourrit de toutes les expériences visant à s’émanciper des politiques de guerre et de pillage des ressources, en Amérique latine, au Proche-Orient, en Afrique… Je le redis, cette question des transformations possibles à l’heure de la globalisation est primordiale. Elle conditionne la conception de toute politique se donnant pour objectif de changer. C’est pourquoi j’ai proposé récemment aux autres partis de gauche de confronter publiquement, à la rentrée, leurs analyses sur ce point et les conclusions qu’ils en tirent.
Les grands traits de ce projet. Un développement durable

J’ai insisté au début de ce texte sur la contradiction explosive entre les potentiels de notre époque et les exploitations, pillages, dominations sur lesquels prospère le capitalisme mondialisé. Un axe essentiel de tout projet d’avenir est donc de proposer d’ouvrir une autre voie : un nouveau mode de développement à la fois soutenable écologiquement ; générateur de progrès social, d’avancées dans les connaissances, d’épanouissement personnel ; démocratique et citoyen dans la gestion des villes et des territoires, aux niveaux national et européen, sur les lieux de production comme de consommation et de services.

Si les mots n’étaient pas chez nous tellement chargés de sens, on pourrait parler d’une véritable révolution. Cette transformation du mode de développement ouvre en effet de nombreuses pistes :

Il s’agit d’abord de dépasser la confrontation productivisme/décroissance, d’affirmer la nécessité d’un nouveau type de croissance qui repense les contenus de celle-ci : comment produire, en faveur de qui et pour répondre à quels besoins ? La France a besoin d’une politique industrielle et énergétique qui, appuyée sur une grande politique publique de recherche, mette l’innovation au service de productions nouvelles, utiles socialement, capables de relever les défis d’un développement écologiquement durable. Ce qui devrait impliquer une nouvelle ambition pour des services publics modernisés ; une maîtrise sociale des marchés ; une maîtrise publique des grands organismes financiers, la création de pôles publics bancaires et de fonds d’investissements décentralisés ; un investissement massif en faveur de l’éducation et de la formation, de la recherche, de la culture.

Cet autre mode de développement appelle aussi une nouvelle conception du progrès social, construit sur l’exercice effectif des droits à l’emploi et à la formation, aux salaires, au logement. Elle appelle une nouvelle conception du travail, moins aliénante, plus créatrice, où la finalité du travail puisse être discutée ; une protection sociale étendue à tous les âges de la vie ; une reconnaissance des droits des jeunes à l’autonomie dans l’accès à la formation, au logement, à l’emploi, à la culture.

Enfin, une autre piste est celle du droit à la ville et à des territoires solidaires, qui englobe tous les aspects d’une nouvelle qualité de vie pour tous, logements, transports, équipements scolaires, culturels, sportifs, de santé, de loisirs, espaces verts, qualité de l’air, de l’eau, de l’urbanisme. À quoi est liée une autre conception de la consommation, moins inégale, plus responsable socialement, moins soumise à la rentabilité ; une alimentation de qualité appuyée sur des agricultures assurant la sécurité et la souveraineté alimentaires ; un rapport plus équilibré et plus maîtrisé avec la nature ; l’affirmation de l’existence de « biens communs » de l’humanité tel que l’énergie.
Les grands traits de ce projet. Une société d’épanouissement individuel

Le second grand trait d’un projet d’avenir devrait s’en prendre à ce qui est le cœur des politiques néolibérales : l’encadrement autoritaire des individus et des peuples et leur mise en concurrence généralisée. Notre projet est celui d’une société d’épanouissement individuel, de liberté et de solidarité.

Nous croyons à la pleine égalité des droits et refusons toutes les dominations. L’émancipation des femmes, gravement remise en cause en ce début de 21e siècle, fait du féminisme un de nos combats existentiels. Nous croyons à la diversité et refusons toutes les discriminations. Nous croyons à la fraternité et refusons tous les racismes. Nous croyons à la culture, à son potentiel d’émancipation, d’ouverture à l’autre et refusons toutes les censures. Nous croyons aux potentiels de la révolution numérique qui peut mettre en partage les savoirs, la culture, l’information et refusons les prétentions capitalistes à les enfermer dans les logiques de marchandisation. Nous croyons à une société de liberté parce qu’elle est le chemin d’une émancipation partagée.

Notre projet, c’est donc l’exercice de pouvoirs nouveaux pour une nouvelle démocratie. La présidentialisation et la pipolisation de la vie politique ne sont pas seulement dangereuses, elles sont profondément archaïques à l’heure du progrès des connaissances, de la diffusion des savoirs et de la circulation accélérée de l’information. Et il en est de même de l’exclusion des salariés des principaux pouvoirs de décision de leur entreprise au profit d’actionnaires qui se moquent de l’intérêt général.

On peut donc penser à trois grandes réformes pour promouvoir l’exigence démocratique :

1) La démocratisation des institutions, des modes d’élection, du rôle du Parlement, de l’élaboration des lois ; la création d’un statut de l’élu qui permette dans toutes les assemblées de démocratiser l’accès à la fonction d’élu et de revaloriser son rôle.

2) La promotion à tous les niveaux d’une démocratie participative dotée de pouvoirs réels d’intervention accessibles en permanence à tous les citoyens.

3) La création d’une véritable démocratie sociale qui développe de nouveaux droits et pouvoirs pour les salariés dans les entreprises et les territoires. Nous avons l’occasion de développer et d’enrichir ces idées à l’occasion de la bataille qui se mène pour refuser la réforme actuelle d’accentuation du présidentialisme et de la campagne que nous avons engagée pour la démocratisation des institutions. Aussi, je veux encore une fois appeler tous les parlementaires de gauche à être présents au prochain Congrès à Versailles et à voter contre le projet de Nicolas Sarkozy.
Les grands traits de ce projet. Refonder l’Union européenne

Je l’ai souligné, pour être crédibles, adaptées aux réalités, ces axes de transformations, ce nouveau mode de développement et cette promotion de la liberté et de la démocratie doivent avoir une dimension européenne et mondiale.

Cela dit, à l’évidence, la question de l’Union européenne constitue une question en tant que telle pour la France et pour son peuple. Aussi le troisième grand trait d’un projet d’avenir devrait être la refondation de l’Union européenne.

Jamais, depuis son lancement, la construction européenne n’a suscité un tel désenchantement, si ce n’est un tel rejet, parmi les peuples qui la composent. Le non irlandais, trois ans après celui des Français et des Néerlandais, est une nouvelle illustration du fossé qui ne cesse de s’élargir entre les aspirations des citoyens et la structure économique libérale, le mode de fonctionnement centralisé, opaque, autoritaire et la conception du rôle de l’Europe dans le monde à l’œuvre aujourd’hui.

Cette crise de légitimité de l’actuel modèle européen peut susciter et suscite un désir de repli sur le seul cadre national. Pour nous, la nation est loin d’être dépassée. Mais son avenir n’est pas dans l’isolement et l’hostilité à l’étranger. Nous choisissons la voie inverse de celle du nationalisme : l’ouverture résolue vers les autres peuples européens. Ils se heurtent aux mêmes problèmes. Ils aspirent eux aussi au changement. Ce n’est qu’ensemble que nous pouvons espérer mener avec succès le combat pour une finalité radicalement autre de la construction européenne.

Le traité de Lisbonne ne sera pas ratifié. Dès lors, la question à l’ordre du jour ne peut pas être le simple statu quo dans le cadre actuel en crise, mais l’élaboration d’un traité véritablement nouveau. Nous voulons agir pour une Europe qui permette aux peuples et aux nations qui la composent d’unir leurs compétences et leurs moyens pour porter un modèle social et environnemental avancé dans la mondialisation. Pour une Europe qui use de son poids et de son influence pour faire émerger d’autres règles dans les relations internationales, plus équitables, plus démocratiques, plus pacifiques. Pour une Europe qui offre à tout autre peuple du monde qui le souhaite la chance de développer des coopérations sans domination, dans l’esprit des principes de la Charte des Nations unies.

Il s’agit d’un projet ambitieux et exigeant, à mille lieux des simples incantations protestataires. Mais c’est seulement s’il est conçu ainsi que l’engagement européen sera à même de susciter l’envie d’agir ensemble et la créativité qui font si cruellement défaut à l’Union européenne aujourd’hui. J’ai la conviction que nous devons nous engager sur cette voie : changer l’Europe est un des grands défis révolutionnaires de notre temps.
Quels moyens politiques pour réaliser ces objectifs ? Quels types de rassemblements populaires, quelles alliances entre forces politiques pour aller en ce sens ?

Pour chacune et chacun de nous, aborder cette question est devenu une épreuve. Car elle renvoie à des échecs successifs. Échecs du programme commun, du gouvernement d’union de la gauche de 1981-1984, de celui de la gauche plurielle ; échec du « rassemblement antilibéral » ; échec de la gauche à la présidentielle, de niveau historique pour notre parti.

Il nous faut tirer lucidement les leçons de ces expériences. Nous y avons déjà beaucoup réfléchi lors de nos précédents congrès et depuis l’élection du printemps 2007. Qui défendrait aujourd’hui l’idée que tout ce que nous avons fait, nous avons eu raison de le faire et nous l’avons bien fait ? La critique sérieuse, rigoureuse, sévère s’il le faut est indispensable pour avancer ; c’est mon état d’esprit et je prends ma part de responsabilité. Mais je combattrais l’idée sommaire que l’échec de ces tentatives successives signifierait automatiquement que les motivations sur lesquelles elles se fondaient doivent être rejetées.

Quels sont en effet ce qu’on pourrait appeler les acquis politiques du Parti communiste français en la matière, sur lesquels, à mon avis, rien ne saurait nous faire revenir ?
Quelle conscience de classe aujourd’hui pour quel changement politique ?

Le premier est celui qui nous constitue depuis l’origine – et je ne parle pas même de 1920, mais du principe fondateur des premières Internationales ouvrières, de l’appel par lequel Marx conclut le Manifeste du Parti communiste en 1848 : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ». Nous savons de quel côté nous sommes, en faveur des besoins de qui et contre les intérêts de qui nous agissons. Nous combattons toute forme d’exploitation, d’oppression, de domination et notre objectif, que nous poursuivons inlassablement, est de rassembler toutes celles et tous ceux qui en sont victimes, dans la lutte, pour s’en libérer.

Les conditions de cette lutte se sont considérablement modifiées. Le renouvellement du monde du travail avec le doublement du nombre des femmes salariées depuis les années soixante et le développement du secteur des services, les nouveaux modes d’organisation du travail rendus possibles par les nouvelles technologies de l’information, l’explosion de la précarité, de la parcellisation, des emplois à temps partiels ont brouillé les repères anciens. On ne retrouvera pas la « conscience de classe » telle qu’elle s’exprimait sous la forme de la culture ouvrière d’antan.

Mais ce qui est bien présent dans la réalité, par contre, c’est la domination du capitalisme mondialisé. Ce système ne vient pas de nulle part. Il est celui d’une classe sociale, celle des grands capitalistes, de ces milliardaires qui prospèrent par la financiarisation, une classe qui a conscience d’elle-même, au profit de qui ce système est conçu et qui exerce son pouvoir sur l’immense majorité par des choix politiques. Il nous faut sans aucun doute travailler à donner à la notion de lutte des classes son contenu contemporain. En nous aidant du repère qui a constamment été celui du PCF depuis les années trente du siècle dernier : non pas l’isolement et la défaite assurée des plus exploités au nom d’une lutte « classe contre classe », mais le déploiement de tous les efforts possibles afin que toutes les forces sociales qui se heurtent au capitalisme fassent front, pour aujourd’hui et pour demain. Il nous faut contribuer à construire l’unité politique de celles et ceux qui, non pas malgré mais à partir de leurs différences de situation – ouvriers, employés, femmes et hommes salariés de toutes catégories, précaires, intellectuels, travailleurs sans papiers, sans-emploi, paysans, étudiants, retraités –, ont pour intérêt commun de s’émanciper des dominations qui les frappent toutes et tous. C’est un défi difficile à relever car tout est mis en œuvre par la droite et le patronat pour diviser voir opposer les salariés, les individus. Mettre en chantier l’élaboration d’un projet politique permettant à chaque composante sociale de trouver des réponses d’avenir pour elles- mêmes, tout en répondant aux enjeux de société, est un moyen de contribuer à cette unité politique.

Et je tiens à insister sur le fait que notre démarche doit considérer le combat féministe comme allant de pair avec celui contre le capitalisme. L’un ne se réduit pas à l’autre. Nous voulons les mener de front, avec leurs objectifs propres, parce que nous voulons libérer les femmes et les hommes des rapports de domination en tant que tels et permettre à la société de franchir une nouvelle avancée de civilisation.
Quel rassemblement politique pour réussir le changement ?

Un autre acquis essentiel pour notre parti, depuis également les années trente et la très grande innovation politique que fut le Front populaire, est l’objectif de rassemblements politiques à vocation majoritaire permettant de disputer démocratiquement le pouvoir aux forces qui soutiennent le capital. Cette expérience a fortement inspiré, au début des années soixante, notre proposition d’unir les partis de gauche autour d’un programme commun de gouvernement. L’incapacité dans laquelle nous nous sommes trouvés en 1977 de garantir le contenu de ce programme puis le « tournant de la rigueur » en 1983 suivi du retour de la droite trois ans après nous a conduits à remettre en cause l’idée d’accords exclusivement de sommet entre les forces de gauche et à travailler à impliquer les citoyens. L’idée de « primauté au mouvement populaire » s’est imposée à nous comme une condition nécessaire.

Enfin, nos expériences de rassemblement, notamment les plus récentes, nous ont rappelé le caractère indispensable, à tout moment, de l’absolue autonomie de parole, de décision et d’action de notre parti. Nous ne nous concevons plus comme les généraux d’une union dont l’autorité serait portée par le sens de l’histoire, mais nous n’acceptons pas non plus de nous concevoir comme les petits soldats d’une union dirigée tout aussi naturellement par d’autres puisqu’ils ne sont pas communistes. Nous voulons jouer pleinement le rôle qui est celui de tout parti politique qui tient à la représentation de ses idées dans la société.

Je crois que nous n’avons pas à revenir sur ces idées qui, pour notre parti, ne sont pas « tactiques » mais de principe : battre la droite et gagner une alternative de changement implique nécessairement un rassemblement de la majorité de notre peuple se traduisant par l’élection d’une majorité de gauche. Et vu la pénétration des idées de renoncement dans l’opinion, un tel rassemblement n’est imaginable que par l’intervention populaire dans les luttes, les confrontations d’idées, les votes. Et celle-ci a besoin de l’action autonome et unitaire de notre parti.

Tout cela rappelé et posé, comment comprendre que nous ayons échoué ? Et, surtout, quelles leçons en tirer pour tenter de sortir de la grande difficulté dans laquelle nous demeurons ?

Je ne veux pas procéder ici à un rappel détaillé de ce que nous avons fait ces dernières années. De notre participation au gouvernement de la gauche plurielle dont la politique n’a pas répondu aux attentes populaires et que notre électorat a ressentie comme un abandon de notre part. De notre appel à « révolutionner » la gauche qui n’a pas été suivi d’effets. Du « rassemblement antilibéral » qui n’a jamais pu rassembler qu’une fraction des forces de gauche et d’extrême gauche qui s’étaient mobilisés ensemble pour le non en 2005 et qui a finalement buté sur les différences profondes de conceptions que lui donnaient notre parti et ses autres composantes.

Au fond, au travers de toutes ces expériences, malgré nos efforts (et, je le répète, je ne prétends pas que tous aient été exemplaires ; la critique de ce qui doit l’être est nécessaire), notre parti n’a pas été perçu comme moteur, ni même porteur d’une alternative politique crédible. Les électrices et électeurs communistes ont ainsi opté de plus en plus pour un vote « utile » destiné avant tout à battre la droite, ou pour l’abstention, ou pour un vote de déception et de colère. Notre influence électorale n’a ainsi pas cessé de baisser pour atteindre, lors de la dernière élection présidentielle, un niveau catastrophiquement bas.

À l’inverse, lors du référendum de 2005, nous avons su proposer aux salariés, aux jeunes, aux électrices et électeurs de gauche un objectif précis et atteignable qui les a rassemblés majoritairement. Et, lors des municipales et cantonales de 2008, nos candidates et candidats, par leur bilan et leurs projets, ont représenté un choix crédible, efficace pour un grand nombre d’électrices et d’électeurs.

C’est bien à cette question de la crédibilité, de l’utile, du réalisable que nous nous heurtons lorsqu’il s’agit de décider des grandes orientations du pays. Au sentiment de plus en plus ressenti que ce ne serait pas du côté du Parti communiste qu’il faut chercher la possibilité d’une alternative politique porteuse de changements réels – car cette perspective serait elle-même chimérique.
Comment rouvrir une perspective de changement ?

C’est pour nous, bien évidemment, un obstacle considérable. Mais il n’y a pas que nous qui le rencontrons. Toute la gauche, tout le peuple de gauche s’y heurtent. Il y a aujourd’hui une véritable crise d’alternative à gauche. 2007 aura été son troisième échec successif à l’élection présidentielle. Les élections locales ont été favorables à la gauche. Mais personne ne peut penser qu’elle serait aujourd’hui en état de diriger la France.

Pour rompre avec la spirale de l’échec, il lui faut tourner la page. Mais pour faire quoi ?

S’aligner sur le choix que tant de partis socialistes et Verts européens ont déjà fait : être candidat à aménager le capitalisme mondialisé en appliquant ses normes, ce qu’on appelle le social-libéralisme ? En France, cela signifie utiliser toutes les ressources institutionnelles qui poussent au bipartisme et renoncer à mener une politique de gauche afin de « s’élargir » à la droite centriste. C’est une option qui existe, comme on le sait. Prévaudra-t-elle dans les mois, les années qui viennent ? L’extrême gauche fait comme si elle était déjà irrémédiable : c’est son principal argument pour expliquer que plus rien n’est possible ni avec le PS ni avec le PCF. Lequel (faut-il le préciser ?) ne saurait aller dans une voie du renoncement au changement que ce soit par la participation à un gouvernement porteur d’une politique de renoncement ou par une attitude de repli contestataire !

Le choix social-libéral est une impasse pour la gauche. Il la divise. Il rend hautement improbable sa victoire sur une droite mobilisée et rassemblée. Il la condamne aux yeux de notre peuple en lui bouchant toute possibilité de changement possible.

Quelle autre issue à cette crise d’alternative à gauche ? Il ne dépend pas seulement de notre parti de l’ouvrir, mais notre responsabilité est engagée pour y contribuer. C’est notre devoir de dire clairement dans quelle perspective politique nous nous inscrivons et de proposer des initiatives qui permettent de construire des dynamiques politiques en ce sens.

L’atonie et la passivité de la gauche, le sectarisme de l’extrême gauche face à l’offensive antisociale et antidémocratique inouïe de Nicolas Sarkozy constituent un handicap considérable pour le mouvement populaire. Je pense, malgré les difficultés notoires qu’on découvre dossier après dossier, que nous devons continuer à tout faire pour que, en riposte à chaque attaque du pouvoir, les formations de gauche, sur le terrain et au Parlement, puissent faire front ensemble.

Et je pense que nous devons dire clairement que notre objectif est une présidence de la République, une majorité, un gouvernement qui impulsent une politique de gauche porteuse des grandes réformes transformatrices correspondant à notre temps.

Le débat d’idées à gauche est au point mort. Même parvenir à se réunir autour d’une table entre responsables nationaux est devenu une course d’obstacles ! Or, la discussion publique du contenu des analyses et des objectifs des uns et des autres pour constater les points communs et les différences, la confrontation entre les conceptions d’aménagement et celles de transformation du capitalisme mondialisé sont des conditions impératives pour avancer et pour que le peuple s’empare des termes de ce débat.

C’est de son intervention que tout dépend et dépendra. C’est pourquoi, je l’ai indiqué, j’ai proposé que se tiennent de telles initiatives publiques entre les formations de gauche sur des thèmes précis. Surtout, je pense que l’élaboration du projet politique d’avenir que nous voulons promouvoir, pour tous ses objectifs ou seulement pour certains d’entre eux, doit combiner le travail créateur de notre parti et l’apport de tous les intéressés.

Il s’agit donc d’ouvrir partout où c’est possible, dans les quartiers et sur les lieux de travail, à partir des luttes ou des exigences populaires, des espaces où les citoyens, les salariés, avec toutes les forces politiques et sociales qui le souhaitent, avec des intellectuels, des créateurs, puissent se rencontrer, débattre, se confronter et construire ensemble les fronts les plus larges possibles visant des objectifs politiques précis. Travailler à tisser ces mobilisations jusqu’à leur donner la capacité de faire naître une véritable dynamique politique nationale porteuse d’un nouveau projet politique de transformation ; ce qui implique des étapes, des rendez-vous pour ce travail, qui devront être définis.

Des camarades appellent à prendre une initiative à gauche, je viens d’en proposer deux à l’instant, elles demandent temps et détermination, mais il n’y a pour moi pas de raccourci possible !

Nous devons prendre des initiatives à l’échelle de l’Union européenne. Je l’ai indiqué, la question posée par le rejet du traité de Lisbonne est celle de l’élaboration d’un nouveau traité par et pour les peuples européens. Les élections européennes de l’an prochain, en juin 2009, devraient être l’occasion de lui donner sa pleine ampleur. Un travail est engagé par le Parti de la gauche européenne, dont nous sommes un des membres fondateurs, pour mener une campagne sur des objectifs communs de transformations de l’Union européenne, ce qui ne corsèterait évidemment pas le programme et les listes que chaque parti présentera dans son propre pays. Nous devrons, compte tenu du calendrier, discuter collectivement de cette échéance dès la rentrée.

Je souhaite faire part dès maintenant de mon avis. Nous avons besoin d’une campagne véritablement européenne tant dans son contenu que dans la composition des listes ; aussi, ne devrions-nous pas donner visibilité à celles-ci en les construisant comme une liste nationale avec des acteurs et actrices des mouvements sociaux et démocratiques en France et en Europe ? Et faire cela en coopération avec des partis progressistes de toute l’Europe, du PGE et du groupe de la GUE-NGL au Parlement européen ? Et ces propositions, pourquoi ne pas les présenter publiquement et inviter tous ceux et celles qui les partagent à venir les construire avec nous ?
Les transformations du Parti communiste

Enfin, se pose naturellement la question du parti porteur de ce projet, des pratiques et des initiatives politiques que celui-ci implique et impliquera.

Alors , ce parti est ce le PCF rénové, suffit-il d’améliorer ce que nous faisons, de militer davantage ? Faut il inventer un nouveau parti ? Et avec qui ? Et faudrait-il dépasser le PCF pour construire du neuf ?

Ce débat n’est pas qu’interne. A gauche certains proposent un parti à la gauche de la gauche, d’autres préconisent : « un grand parti de toute la gauche ». Comme beaucoup de communistes, j’ai étudié ces propositions et j’ai eu le sentiment soit qu’elles relevaient de constructions très aléatoires dans l’état actuel de la gauche soit de projets bien différents de ce que je crois être les objectifs politiques des communistes.

Pour ma part, je pense qu’il faut s’appuyer sur les potentiels que porte le PCF, notre collectif humain, notre histoire comme nos innovations, nos erreurs comme nos apports à notre peuple pour lever tout ce qui nous entrave dans notre culture, nos pratiques, notre fonctionnement et élargir le champ de notre intervention, notre enracinement dans toutes les révoltes et exigences, notre capacité à produire des idées neuves. Le PCF doit se transformer pour cela.

La discussion qui s’engage va permettre à toutes les opinions de se confronter jusqu’au bout et je suis persuadée que les camarades auront à cœur de les préciser. Et de me contredire.

Je crois que tout le panorama de la situation politique à gauche appelle à redynamiser l’atout que représente le Parti communiste français. Mais cette conviction n’a de sens que si nous donnons les moyens à notre parti d’être ou de redevenir un grand parti de gauche, un grand parti populaire qui compte en France et joue son rôle en Europe et dans le monde.

Je pense que le projet de base commune devrait s’engager, sur ce point comme sur les autres, et proposer un choix clair et cohérent à la discussion du Congrès.

Y a-t-il un parti politique, actuel ou virtuel, qui puisse porter le projet de changement correspondant à notre époque ? J’ai la conviction, en examinant ce qu’est, en France, en 2008, le potentiel militant de désintéressement, de combativité, d’intelligence qui est celui du Parti communiste, son ancrage populaire, ses liens noués dans les luttes et la solidarité, sa place dans la gauche et la vie politique nationale, l’efficacité reconnue de ses élus confirmée lors des élections du printemps dernier, que notre parti peut devenir le parti de cette ambition. J’écris intentionnellement : il peut le devenir.

Je me suis expliquée lors de la rencontre nationale de Tours sur la nature de changements de notre organisation et de notre vie qui devraient en découler. On peut s’y référer. Cela m’évite de m’en expliquer longuement.

Je les résumerais en trois mots : démocratie, efficacité, ouverture.
Démocratie

C’est le maître mot de notre politique. Nous voulons sans attendre, je l’ai indiqué, procéder à une innovation politique fondamentale : ouvrir aux citoyens des espaces nouveaux d’information, de confrontation, de construction d’objectifs politiques précis, de l’entreprise et du quartier jusqu’aux niveaux national, européen et mondial. Et ainsi leur donner la capacité d’être en pleine maîtrise de tous les choix déterminant leur vie. Comment pourrions-nous être ces militantes et militants d’une démocratie créative inédite sans être nous-mêmes les membres d’un parti reposant sur la créativité et la prise en compte réelle de l’opinion de chacune et de chacun de ses adhérents ? Il suffit d’énoncer cette nécessité pour mesurer le chemin à faire.

Il y a à ce sujet une insatisfaction massive au sein de notre parti. Elle est légitime. Et la réponse ne tient pas d’abord, à mon avis, à une question de structures. Ces dernières années, nous avons procédé à plusieurs réformes de nos statuts, avec à chaque fois pour but l’accroissement de la souveraineté des adhérents. Reconnaissons-le : ces innovations ont plutôt tendu à compliquer qu’à résoudre le problème. Plusieurs consultations directes ont eu lieu pour prendre telle ou telle décision importante. Elles ont souvent été vécues comme des ratifications jouées d’avance. Et le problème posé demeure. Quelle déperdition entre l’extraordinaire richesse de ces dizaines de milliers d’intelligences qui constituent le collectif communiste et leur apport réel à la réflexion et aux décisions de notre parti ! Quelle déperdition entre ce potentiel immense et le rayonnement personnel de chaque adhérente et adhérent, leur capacité concrète de faire bien avancer nos idées dans la société ?

Il n’y a pas de démocratie sans organisation de la démocratie, sans travail suivi, sérieux, volontaire pour la faire vivre et en tirer tous les bénéfices. Et sans, je dirais, état d’esprit démocratique. Il est vraiment temps d’imaginer et d’instituer, à tous les niveaux de la vie de notre parti, des dispositions précises, permanentes qui donnent véritablement le moyen à chaque communiste d’être écouté ; de vérifier que son opinion compte réellement, même si elle ne l’emporte pas en définitive ; d’être sollicité pour contribuer, en général ou sur le sujet qui l’intéresse, à l’activité de son parti ; d’être en pleine maîtrise de nos débats, de nos analyses et de ce que porte le PCF. Bref, que partout et à tous les niveaux, notre collectif devienne un meilleur réservoir à idées, un meilleur démultiplicateur de l’action militante.
Efficacité

Il y a sur ce point aussi une insatisfaction majeure qui est aussi la mienne. Nous ne pouvons pas continuer avec la situation actuelle où des décisions sont prises majoritairement par nos congrès, par nos directions à chaque niveau, par les votes de désignation de nos candidates et candidats et où ensuite, comme dit la chanson, chacun fait ce qu’il lui plaît… La condition minimale, élémentaire de la confiance que les citoyens peuvent accorder à notre parti est ainsi entamée.

Je ne pense pas du tout qu’il puisse y avoir de solutions autoritaires, disciplinaires à cette situation. Ni non plus qu’elle doive nous conduire à la structuration de notre parti en courants organisés dont les influences respectives détermineraient la « synthèse » définissant la politique du parti et la composition de ses directions, comme cela se pratique ailleurs. Cela, alors que la grande majorité des communistes ne souhaite nullement se ranger derrière la bannière de tel ou tel.

Si la diversité entre nous, que nous avons définie avec raison comme une richesse, se traduit par des luttes internes aux enjeux plus ou moins opaques pour les adhérents et par des coups de canif à l’unité d’action du parti qui est pourtant un impératif non négociable, c’est qu’elle a du mal à irriguer réellement nos débats et nos choix. L’unité politique ne peut procéder que d’un véritable débat de fond, dans la confrontation loyale débouchant sur notre progression commune et des choix clairs. Les dispositions que je viens d’évoquer ne devraient-elles pas avoir aussi pour objectif de repérer les différences d’opinion qui s’expriment au sein du parti et permettre ainsi à nos différentes instances, de l’assemblée de section au Conseil national, d’en débattre « cartes sur tables », de décider en toute connaissance de cause et ainsi de mettre en œuvre ensemble, loyalement ?

J’ajoute que notre souci d’efficacité devrait nous conduire, en ce qui concerne le Conseil national, à un renouvellement et à une diminution de ses membres. C’est aussi, me semble-t-il, une question dont devraient être saisis les communistes. Je l’ai dit à Tours, nous avons besoin, pour notre efficacité et aussi pour notre image, qui n’est pas une question seconde, d’un souffle nouveau.
Ouverture

Pour moi, c’est peut-être la question essentielle. Devenir ce grand parti porteur de ce projet, c’est devenir un bien plus grand parti en nombre de forces militantes, en nombre d’adhérentes et d’adhérents.

Le souhaitons-nous ? Je veux dire : voulons-nous créer réellement les conditions pour que notre parti soit fort de toutes celles et tous ceux qui sont prêts à s’engager pour réussir enfin à changer dans les conditions de notre époque ? Il ne suffira pas d’un appel au bas d’un tract ou d’une campagne de renforcement. Il nous faut décider, ensemble, en en mesurant les conséquences, en donnant à cette décision le sens d’une initiative politique majeure, d’ouvrir le Parti communiste français aux femmes et aux hommes de gauche, aux jeunes, aux salariés dans leur diversité d’aujourd’hui, à toutes celles et tous ceux qui veulent transformer l’ordre actuel et qui n’ont pas la même histoire, les mêmes références, la même culture que nous. Et faire en sorte que ces adhérentes et adhérents, à égalité avec tous les autres, dans le même respect de leur diversité, soient à l’aise pour construire le grand parti porteur d’un nouvel espoir populaire que doit devenir le Parti communiste.
Conclusion

Voilà au travers de cette contribution je veux dire toute mon ambition pour cette espérance révolutionnaire et le combat politique que nous avons à porter. J’espère qu’elle sera un élément parmi d’autres pour l’élaboration d’une base commune construite non comme le texte de la direction mais bien comme le fruit commun des communistes.

Par Buffet Marie-George
Secrétaire nationale du Parti communiste français

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Messages

  • Quand la première dirigeante d’un parti doit s’exprimer au travers d’une contribution dès l’ouverture des débats, cela signifie qu’elle n’est rien de plus que la porte-parole d’une tendance, une chef de faction.

    • En fait dès que les débats sont ouverts, il n’y a plus de dirigeant(e)s, tout le monde est à égalité, enfin, sur le papier. A moins, qu’elle (il) ne soit pas à jour de ses cotise !

      CN46400

    • OUI !

      C’est comme l’intervention de l’"adhérent" Robert Hue au milieu du congrès de Martigues en 2000 (en présence d’une foule de médias qui ont ensuite disparu ) et qui a duré environ 45 mn alors que les autres intervenants avaient droit à 10mn !
      (Et il a même trouvé le moyen d’y annoncer une initiative du PCF dont personne n’avait discuté pendant le congrès !).

      Ça continue...et "on" nous explique " comment il faut comprendre..."

  • Ouf, ça y est MGB a enlevé le haut ! On attend que les autres suivent l’exemple...

    En attendant, je viens de relire MGB, c’est pas encore parfais, mais y-a du mieux. Je note qu’elle a retrouvé, dans les greniers de Fabien, le Manifeste et qu’une page y était encore lisible, la dernière avec son magnifique :"Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !".

    Si je suis d’accord avec la ligne générale de ce document, je conteste un certain nombre de points :

     1-Mgb met sur le même plan les échecs du programme commun, de la gauche plurielle et des collectifs de 2006. C’est mal poser le problème parcequ’ainsi on fait l’impasse sur les circonstances, sur le décor. Les collectifs de 2006 portaient une critique du PS qui n’existait ni dans le PCG, ni dans la gauche plurielle, deux démarches qui, in fine, ont servit de ravalement de façade au PS. Si les raisons ces deux échecs sont, pour l’essentiel, dans la soupe mijotée par le PS, celles de l’échec de 2006 sont à chercher chez nous, dans notre direction. L’alliance objective de ceux, anti PS + pro PS, qui ont exigé, et obtenu, dans de manoeuvres de couloir, la candidature MGB n’est pas critiquée. Le fait que le PC n’ait pas proposé de prendre le pb par les législatives quand il est devenu évident que les présidentielles achoppaient trés dur n’est même pas noté. Alors je comprends bien que MGB, responsable, et victime N°1 de ces erreurs de conduite, n’aient pas envie de revenir sur cette douloureuse période, mais le courage politique, comme le courage tout court grandit toujours ceux qui en font preuve.

     2- Mgb parle de la démocratie dans le parti, c’est a dire, du système qui existe dans tous les autres partis : le centralisme démocratique ! Elle évite de prononcer le mot, mais moi le dis. Si on veut que le PC cesse d’être assimilé à une amicale bouliste, il faut réintroduire l’idée que dans ce parti, comme dans les autres, et jusqu’au vote suivant, c’est la majorité qui gouverne, et qui est responsable. Ensuite puisqu’il a été décidé que les adhérents seraient appelés à trancher certaines situations, il faut organiser et contrôler sérieusement ces votes. Il n’est pas sérieux de remplacer les votes contrôlés dans les organismes, par des votes généraux non contrôlés.

     3- MGB se prononce contre les tendances, elle a raison. Je n’ai pas envie d’être catalogué dans une quelconque coterie. Par contre je suis disponible pour, avant chaque congrés, signer, ou collaborer à la rédaction d’un texte alternatif, ce qui, à mon sens, présente l’avantage de matérialiser l’etendue des diverses sensibilités qui coexistent dans ce parti.

     4- MGB parle des "impératifs de résistance", elle a raison. Toutefois la bourgeoisie a partiellement réussi faire assimiler à une partie des prolos cette résistance à un conservatisme. Donc pas de résistance sans contre proposition.

     5- MGB fait l’impasse sur la menace américaine. J’espère que c’est plutôt la volonté de faire court avant d’y revenir ultérieurement qui l’a emporté que la timidité d’avoir à appeler les choses par leur nom. Oui Lénine est mort mais "l’impérialisme, stade suprème du capitalisme" est bien vivant. Et, pour l’espèce humaine, de plus en plus menaçant !

    CN46400