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L’affaire Siné, par Bernard Langlois.

Publie le jeudi 24 juillet 2008 par Open-Publishing
2 commentaires

Mes lecteurs réguliers savent tout le bien que je pense du sieur Philippe Val, ancien chansonnier très moyennement doué, devenu par d’obscures manœuvres directeur d’un titre satirique qui fut longtemps glorieux, Charlie Hebdo. On ne va pas revenir sur toutes les vilenies par ce monsieur dispensées chaque semaine, le long d’éditoriaux filandreux à prétentions philosophiques (qui lui ont valu le surnom de Spinoval, tant il fait usage, à grands coups de citations, de l’œuvre du philsophe marrane Spinoza), ni sur la patiente épuration conduite, dans une rédaction menée à la schlague, de tous éléments ayant osé contester la dérive avérée du journal vers des horizons quasi néoconservateurs (atlantisme, libéralisme, sionisme, islamophobie…) à l’opposé de ce que fut le vrai Charlie Hebdo d’antan : passons.

Le renvoi de Siné, dernière saloperie en date, est une grosse bêtise, dont (peut-être) ce petit arriviste de Val ne se remettra pas ; le prétexte en est dégueulasse et grotesque.

Grosse bêtise, car Siné, à près de 80 balais, est une des grandes figures du journal et du dessin anar en général, au talent iconoclaste et au courage politique (notamment pendant la guerre d’Algérie) très largement reconnus. La nouvelle de son licenciement a provoqué une levée de boucliers et la manifestation d’un soutien qui doivent lui faire chaud au cœur.

Prétexte, car la vraie raison n’est pas du tout la crainte d’un procès qu’aurait envisagé de lui faire le fils Sarkozy, que Siné épinglait dans sa dernière planche avec son sens habituel de la nuance : en vérité, Siné était un des rares auteurs de Charlie qui se permettait encore de contester publiquement le patron, et qui lui était encore ¬rentré dans le lard récemment à propos d’une autre saloperie, dirigée ce coup-là contre Denis Robert.

Prétexte dégueulasse, parce qu’il n’y a pas d’injure plus grave, au regard de l’Histoire et de ce qu’elle nous a appris du sort du peuple juif, que de traiter quelqu’un d’antisémite : aux yeux d’un Siné (aux miens aussi du reste), il n’est pas incongru, dans un espace public aseptisé, de polémiquer à grands renforts de noms d’oiseaux, c’est même recommandé – c’est sain, ça fouette le sang, ça réveille, ça ravigote –, mais il est des limites à ne pas franchir, l’accusation d’antisémitisme en est une, qui porte atteinte à l’honneur.

Prétexte grotesque, enfin, car qui connaît Siné (l’homme et l’œuvre), ses goûts interlopes, son internationalisme de principe, sa phobie de toute idéologie cocardière, de tous sectarismes, de toutes religions, de tous interdits en général, et son goût immodéré pour les provocations en tous genres – au demeurant, le meilleur des hommes, des époux, des pères et des amis des chats (qui le lui ont bien rendu !) –, qui le lit et rigole de ses pochades depuis des lustres sait qu’il n’a rien d’un raciste en général, ni d’un antisémite en particulier. Mais voilà : comme quelques autres, qui ont subi la même accusation gratuite, il soutient sans barguigner le peuple palestinien, depuis un demi-siècle sous le joug d’un État qui l’est, lui, raciste. Sinon dans ses principes, du moins dans sa politique ordinaire. Vous savez bien que s’en prendre à Israël est, dans ce pays, LA faute impardon¬nable, celle qui vous met au ban de la société, vous traîne au banc d’infamie. Ce qui est arrivé à Siné est somme toute banal. L’accusation a été d’abord portée sur une radio par un agent d’influence israélien coutumier du fait (comment s’appelle-t-il, déjà ? Sarkolovitch, un nom comme ça). Siné, fort naturellement, traîne ce peigne-cul en justice.

Mais le plus triste, à mes yeux, est l’absence de réaction de la plupart des rédacteurs de Charlie, les collègues de Bob : les vieux de la vieille se retournent, gênés, dans leur couche ; ou font mine de ne pas comprendre ; ou, pour les plus fringants, toussent un peu en tétant leur havane : ils ont l’excuse d’être vieux, amortis, décorés, malades, voire déjà morts (seul Willem, à l’heure où je rédige, a signé la pétition de soutien). Les jeunes, eux, n’ont aucune excuse, sauf de préserver leur carrière (mais vu le barouf que provoque l’affaire, on va peut-être trouver des résistants de la dernière heure…). Autrefois, c’était surtout la page 3 qui salissait les semelles quand par mégarde on marchait dessus ; aujourd’hui, c’est tout le journal qu’il vaut mieux contourner, quand on le croise sur un trottoir. À la rigueur, si l’on est superstitieux, on peut y mettre le pied gauche.

Bernard LANGLOIS.

http://www.politis.fr/L-affaire-Sine,4287.html

Pour signer la pétition pour soutenir Siné :

http://www.soutenir-sine.org/

Messages

  • Langlois n’y va pas mollo ! Il met en évidence le fond de l’affaire sur lequel même Siné est resté discret : il est interdit en France de critiquer l’Etat raciste Israélien.
    Espérons qu’il ne va pas se retrouver avec un proçès en antisémitisme initié par la LICRA et SOS RACISME.

  • Merci à Bernard Langlois pour ce texte si juste.

    L’instrumentalisation du mot antisémitisme non seulement par les sionistes, mais aussi par les réactionaires et libéraux de tout poil et les défenseurs du colonialisme et de l’impérialisme au Moyen-Orient, est une abjection qu’il faut combattre. Un exemple en est donné à nouveau dans un autre torchon : Libé,
    *Libé d’aujourd’hui, qui commence par 4 pages de décervelage sur l’Obamania pour finir par deux tribunes défendant Val en présupposant la culpabilité de Siné.
    *Libé qui ne s’est jamais excusé d’avoir essayer, à tort, d’accuser Chávez de la même infamie.

    Plus que jamais les religions sont l’opium du peuple. Qu’en 2008 un fils à papa se déclare accroc à un stupéfiant, on a le droit de l’écrire.

    Jean-François