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France : le mouvement anti-guerre se cherche

Publie le mercredi 30 avril 2003 par Open-Publishing

26 avril 2002

par Naima Bouteldja

Dans un article publié en janvier dernier dans Socialist Review, « The Wrong Attack » (La mauvaise cible) Chris Harman, l’un des représentants du SWP (Socialist Worker Party) tente d’expliquer les raisons de l’inexistence d’un mouvement contre la guerre en France.

L’émergence de mouvements anti-guerre dans « la plupart des pays d’Europe résulte dela manière dont les figures les plus connues du mouvement ont identifié cette guerre au visage militaire de la mondialisation », » estime Chris Harman dans The Wrong Attack. Et de poursuit son analyse par l’étude d’un article écrit par la vice-présidente d’Attac France, Susan George, dans Sand on the Wheels en novembre 2001 : « Clusters of Crisis and a planetary contract ». Celui-ci a pour toile de fond l’opposition anti-capitaliste/réformiste (« néo-keynésienne »).

La position de Susan George au sujet de la guerre peut se résumer ainsi. « Mes positions sur le sujet sont claires. Je dis qu’il faut être non-aligné : ni les Etats-Unis, ni Ben Laden et qu’il ne sert à rien d’ajouter des massacres aux massacres. » [1] « Dans Attac, nous condamnons les méthodes de Bush dans la présumée guerre contre le terrorisme » [2]. Inapproprié et dangereux

Lors de la première réunion de la coalition anti-guerre en Angleterre, les intervenants, suite à un débat prolongé, ont jugé que le slogan « Non à la Guerre, non au Terrorisme » était aussi inapproprié que dangereux. Cette décision explique Rob Ferguson, responsable de la coalition anti-guerre pour le Sud de Londres, a été prise face à l’opacité et à l’hypocrisie du terme terrorisme, ainsi qu’au refus d’opposer sur une même échelle la violence des deux superpuissances militaires (celle des USA et de l’Europe) à celle des groupuscules extrémistes. « Le slogan Non à la Guerre, non au Terrorisme », poursuit Rob Ferguson, « risquait de diminuer la capacité de construire un mouvement unifié s’opposant aux véritables sources d’instabilités et de disparités dans le monde qui dans une logique interne engendrent la multiplication des actes de violence aveugles tels que celui du 11 septembre. »

Trois mots d’ordre ont finalement été retenus : « Non à la Guerre, Non à ses répercussions racistes, Non aux atteintes contre les libertés civiles ». Leitmotivs qui ont permis de rallier le soutien d’une partie importante de la communauté musulmane anglaise, dans un contexte de communautarisme où celle-ci, bien plus qu’en France peut-être, était restée à l’écart des grandes mobilisations sociales du pays. L’invasion, un choix politique

Sur le lien entre la guerre en Afghanistan et la mondialisation néolibérale, Susan George, interrogée lors d’une conférence organisée par Attac LSE (London School of Economics) le 14 février, devait declarer. « Je pense qu’après l’attaque contre les tours et le traumatisme américain, Bush n’a pas pu faire un choix politique autre, vis à vis de son électorat, que l’invasion... Je crois que c’était politiquement déterminé par le contexte et par l’attaque contre New-York et Washington, que politiquement cela aurait été très difficile de faire autrement dans ce contexte-là. Mais que ce soit en relation avec la mondialisation telle que nous allons la décrire ce soir je ne le crois pas spécialement, il y a la connexion pétrole et reste à savoir s’ils vont reprendre cette connexion. » [2]

L’intervention militaire américaine ne trouvant pas dans cette interprétation sa source dans la logique de la mondialisation néolibérale (qui n’est, comme le dit Chris Harman, qu’une variante du capitalisme), la nécessité de la construction d’un mouvement contre la guerre n’a plus lieu d’être considérée ici comme partie intégrante des luttes contre le néolibéralisme.

Quoi qu’il en soit, il est pour le moins surprenant de considérer que la position de la vice-présidente d’Attac ait été en elle-même capable d’annihiler l’élan mobilisateur pour la construction d’un mouvement anti-guerre, comme le soutient Chris Harman, dans son article. À supposer que cette opinion ait fait l’unanimité au sein d’Attac France (ce qui restait à démontrer), elle aurait dû être insérée dans le contexte socio-politique spécifique dans lequel elle a emergé. Cela aurait permis de donner corps à une analyse plus globale et moins partisanne, destinée à « comprendre pourquoi le mouvement anti-guerre en France n’a pas été en adéquation avec [celui des voisins européens] ». L’effet OTAN

Sans prétention d’exhaustivité, à l’échelle européenne, on peut dégager deux lignes générales de la problématique du lien entre mouvement contre la mondialisation néolibérale et mouvement anti-guerre.

La première est l’existence dans certains pays d’Europe de mouvements pacifists traditionnellement influents pour des raisons historiques et/ou géopolitiques. En Italie, et dans une moindre mesure en Espagne, les bases américaines de l’OTAN ont dessiné depuis plus d’un demi-siècle les contours de revendications pacifistes et anti-impérialistes plus soutenues que chez celles du voisin français.

Dans un entretien réalisé par Julien Lusson durant le second Forum Social Mondial de Porto Alegre, Claudio Jampaglia l’un des principaux animateurs d’ATTAC Italie, a ainsi fait un parallèle entre l’OTAN et l’OMC. Une analyse faisant echo à celle d’une grande partie du mouvement constestataire anglais. « En Italie, l’OTAN gère la vie publique de plusieurs villes dont celle de Naples (où se trouve la plus grande base militaire méditerranéenne). Tout autant que l’OMC, cette organisation est illégitime, diminue la marge de manoeuvre des comités locaux, des comités nationaux, des gouvernements... sur leurs choix alternatifs et militaries en usant de méthodes de harcèlements indépendantes et contraires au reste du débat démocratique pour concrétiser ses objectifs. »

Et de conclure : « Nous [Attac Italie] pensons que toutes nos mobilisations d’ici un an seront contre le néolibéralisme et contre la guerre... »

Attac Italie s’engage ainsi non seulement à mobiliser massivement autour du thème de la guerre mais aussi à insister pour que cette résolution fasse partie de l’agenda des différentes branches nationales Attac.

Dans un entretien personnel, Claudio s’explique plus en détails. « La tradition pacifiste italienne lie le mouvement contre l’armement nucléaire du début des années 80 (les Italiens interrogés par voie de référendum s’étaient opposés à l’énergie nucléaire) aux manifestations et mobilisations nationales très importantes contre les nombreuses bases de l’OTAN implantées sur le territoire national qui sont elles-mêmes dotées de missiles nucléaires. Le mouvement pacifiste remonte plus loin à deux traditions antérieures, celle de la gauche qui s’oppose depuis 1945 a l’idée que l’Italie soit un pays à souveraineté limitée et la deuxième, de source catholique, bien implantée, avec des ramifications chez les scouts et dans différentes associations qui travaillent dans le social, contre la militarisation... Ces deux mondes se rencontrent souvent, soit dans les campagnes pour l’objection de conscience au service militaire ou l’objection fiscale aux dépenses militaires, soit dans les grands rendez-vous sur la paix... Le mouvement contestataire italien connaît très bien la militarisation, les dérives sécuritaires et les discours de sécurités militaires (qui visent aujourd’hui les immigrés) ainsi que leurs conséquences sur l’ensemble de la société. »

En septembre 2001, 350.000 personnes se sont ainsi rassemblées lors de la marche Perugia-Assisi (qui est un rendez-vous annuel traditionnel des mouvements pacifistes), pour protester contre la guerre. En novembre 2001, ce sont 130.000 manifestants qui ont défilé dans les rues de Rome alors que 25.000 personnes se retrouvaient dans un rassemblement « d’amitiés avec le peuple américain » organisé par le gouvernement italienŠ Spécificité française Š

En Angleterre, selon Philippe Marliere, maître de conférence en sciences politiques à l’UCL, l’existence traditionnelle d’un mouvement de paix et notamment l’ancrage du CND (Campaign for Nuclear Desarmement) dans différents courants de la gauche britannique a permis au SWP de greffer le combat anti-capitaliste et anti-mondialisation néolibérale sur le rejet de la guerre impériale américaine.

Sur la spécificité française, Philippe Marliere apporte un autre élément de réponse : « la raison politique la plus importante [de l’inexistence du mouvement anti-guerre] est l’effondrement en France d’une gauche à la fois anti-capitaliste et anti-américaine. Après la seconde guerre mondiale au sein de la gauche française le courant anti-capitaliste et anti-fasciste était majoritaire et cela se cimentait autour du parti communiste. Cela ne veut pas dire que toute la gauche était communiste mais l’influence de cette dernière était déterminante, c’était elle qui posait les termes du débat. Le parti communiste a été extrêmement influent jusque dans les années 70 et il avait une ligne anti-capitaliste assez claire et, partant, anti-américaine, à cause du rapport guerre froide. Cela a permis de cimenter un mouvement de la paix et toute une partie de la gauche se retrouvait ainsi dans un mouvement pacifiste, qui était également anti-américain... Tout cela s’est effondré, progressivement... et n’a pas été remplacé par autre chose. » [3]

Š Et climat de suspicion

Il existe probablement plusieurs autres raisons de fond plus complexes qui expliquent, la structure actuelle du mouvement contestataire en France.

La France est probablement le pays européen où la communauté musulmane a rencontré le plus de difficultés au cours de cette dernière décennie. À la fin des années 80, ce que l’on a appelé « l’affaire » du foulard islamique (suite à l’expulsion d’un collège de trois jeunes étudiantes musulmanes qui refusaient d’ôter leur voile) a occupé une part importante de l’actualité, sans qu’aucun soutien véritable, à de rares exceptions, n’émane des diverses composantes du mouvement social français et notamment des syndicats enseignants et des militants des droits de l’homme. Les discriminations importantes face à l’emploi, au logement, ainsi que les récurrentes « violences policières impunies » [4] auxquelles sont soumis les jeunes issus de l’immigration dans les banlieues, tout ceci lié à une actualité internationale mouvementée, et traité comme ailleurs de manière très sélective, ont parachevé de créer un climat de suspicion réciproque entre les citoyens musulmans français et l’ensemble de la classe politique.

En Angleterre, les répercussions des attaques du 11 septembre ont donné naissance à une association composée principalement de jeunes musulmans, « Just Peace », qui s’est ralliée à la coalition anti-guerre (cette dernière regroupe une multitude d’organisations : divers partis de gauche, des syndicalistes, des pacifistes, le CND, une organisation kurde, irakienne, plusieurs organisations musulmanes...). Une des représentantes de Just Peace, Shahedah Vawda, explique les motivations de son organisation : « Nous sommes las de porter l’étiquette de terroristes, nous sommes citoyens britanniques et musulmans et le but de notre organisation est de jeter des ponts entre la communauté musulmane et les différentes organisations qui ont condamné les bombardements américains et avec lesquelles nous partageons de nombreux points communs... Les musulmans doivent s’investir de manière plus active dans le champ social de leur pays s’ils ne veulent pas être marginalisés et ne jamais avoir aucune voix. »

La réussite de cette implication repose sur le soutien unanime des différentes composantes de la coalition anti-guerre, et aux refus des dérives et amalgames nés sous le règne des mesures sécuritaires. Le 2 mars dernier, 20 000 personnes défilaient à nouveau dans les rues Londoniennes à l’appel de la coalition.

Reste maintenant à déterminer le devenir et l’orientation de cette alliance car elle représente d’ores et déjà une opportunité et une expérience unique (en terme de diversité). Seul un mouvement uni et diversifié pourrait relever le défi de la légitimité, du bien fondé et même de l’inéluctabilité des propositions alternatives au néolibéralisme.

Naima Bouteldja

[1] Voir Le Nouvel Observateur .
[2] ibid.
[3] ibid.
[4] Voir Le Monde Diplomatique, novembre 2001 et l’article d’Olivier Cyran.

 http://www.terredescale.net/article.php3?id_article=137