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La prison ne doit pas être un lieu de mise à mort

Publie le vendredi 12 septembre 2008 par Open-Publishing
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de Georgia Bechlivanou-Moreau

Juriste, auteur d’une thèse de doctorat en droit sur "Le sens juridique de la peine privative de liberté au regard de l’application des droits de l’Homme dans la prison", Université Paris 1, juillet 2008.

A propos du meurtre d’un détenu par son compagnon de cellule à Rouen, le 11/09/08, il faut rappeler que la prison ne doit être qu’un lieu de privation de liberté d’aller et venir : pas un lieu de mise à mort de la personne.

Parce qu’il arrive malheureusement que des personnes en détention soient agressées et même tuées par des codétenus, que l’on considère consciemment ou inconsciemment que cela fait partie des risques inhérents à la détention et des suites logiques de la répression pénale des infractions.

Or il est temps d’affirmer haut et fort que cela fait longtemps, depuis la suppression de la peine de mort, que la justice pénale n’inclut plus dans sa répression la mise à mort de la personne.

La peine ou mesure préventive la plus lourde est la privation de liberté physique, à savoir celle d’aller et venir. Pour les autorités responsables de l’exécution des peines et donc pour l’Etat, aller au-delà de cette conséquence, c’est d’entrer dans la sphère d’illégitimité et dans l’illégalité de la répression.

Cela signifie qu’une agression d’un détenu de la part d’un codétenu, à plus forte raison sa mort, engage la responsabilité de l’administration pénitentiaire. Celle-ci a un devoir de garde, mais aussi de sécurité et de protection de l’intégrité des détenus. Ni les manquements aux soins, ni les conditions matérielles de la détention, ni les agissements du personnel ni celui des codétenus ne doivent mettre en danger la vie des personnes en détention. Une personne va en prison pour être simplement privée de sa liberté d’aller et venir ; pas pour mettre sa vie en danger.

Le droit européen exige de garantir aux personnes détenues en France et en Europe entière le droit à un environnement carcéral sûr : « La Cour estime que les obligations des Etats contractants prennent une dimension particulière à l’égard des détenus, ceux-ci se trouvant entièrement sous le contrôle des autorités : vu leur vulnérabilité, les autorités ont le devoir de les protéger » ; les Etats doivent « déployer les plus grands efforts pour veiller à ce que tous les détenus se trouvent dans un environnement carcéral sûr ».

Si de tels risques peuvent exister lors des activités communes, car une certaine vie sociale doit être organisée à l’intérieur des prisons, en revanche la responsabilité doit être totale lorsque de tels dangers interviennent dans des cellules.

Parmi les moyens d’assurer cette garantie, il est temps d’affirmer le principe que la personne en prison a droit à être détenue seule dans sa cellule. Aussi, la surpopulation carcérale ne doit-elle pas être une raison de justification de la pratique systématique de « co-cellulage » (mettre dans une cellule plus d’une personne). L’Etat ne doit pas incarcérer plus des personnes que le nombre de places disponibles en prison. Sous l’ère des exigences européennes et internationales de protection des droits de la personne, la condamnation à la privation de liberté ne signifie pas, en tout cas ne doit plus signifier, condamnation à la cohabitation forcée.

C’est à la demande réciproque de deux détenus que le co-cellulage peut être autorisé par l’Administration pénitentiaire. Même dans ce cadre, celle-ci doit prendre toutes les précautions possibles : s’assurer que la demande ait été faite sans pression subie de la part du codétenu ; étudier le profil de deux codétenus (passé pénal, passé pénitentiaire, santé mentale etc).

Ainsi selon encore les exigences du droit européen applicable en France, les mesures raisonnables impliquent, d’une part, l’obligation d’un « examen médical de filtrage », au moment de l’écrou, sérieux et profond, propre à détecter les détenus dangereux pour autrui ou pour eux-mêmes, effectué par des personnes compétentes. Elles impliquent, d’autre part, des moyens techniques : pas d’encellulement commun, installation d’alarmes dans chaque cellule en état de marche, des rondes régulières, et des rondes rapprochées en cas de risque prévisible Constituent des éléments de prévisibilité de tels risques, d’après la Cour, le passé pénal (déjà arrêté ou condamné pour des actes violents), l’état de santé mentale, mais aussi le comportement général durant la détention et à l’égard de personnes précises .

S’agissant de l’auteur du meurtre à la maison d’arrêt de Rouen, l’on ne peut pas dire d’une personne qui s’automutile les bras, tente régulièrement de se pendre et de s’autostranguler, qu’il « maîtrisait ses pulsions » et qu’il ne présentait « aucune raison médicale majeure » (entretien du Procureur général de Rouen, www.Lepost.fr, 11/09).

La pratique de co-cellulage comme moyen de prévenir des actes de suicide de certains détenus doit être mise en cause : la tâche de cette prévention incombe à l’administration pénitentiaire : les détenus ne sont pas tenus d’assumer un tel rôle ; ils ne sont pas formés pour venir à l’aide des personnes lorsque celles-ci entrent en crise ; et ils peuvent être piégés à l’intérieur de la cellule puisque, y étant enfermés à clé, en cas de telle crise ils ne peuvent pas s’échapper.

Ce fait tragique soulève par ailleurs d’autres questions connexes.

Il soulève, en premier, la question de la présence en détention des personnes souffrant des troubles mentaux (alors que ces lieux ne sont pas adaptés pour leur prise en charge). En 2003, le rapport Terra estimait à 55 % le pourcentage des détenus entrants présentant des troubles psychologiques . En juin 2006, dans son « cri d’alarme », le chef médecin de la prison de Fresnes faisait état d’un taux de pathologies vingt fois supérieur à la population générale et dénonçait cette politique proche de celle du XIXe siècle qui consiste à « incarcérer à l’hôpital psychiatrique » ou « à hospitaliser en prison ». De telles personnes devraient être placées dans des lieux hospitaliers et sous la surveillance étroite du personnel médical.

Il pose, ensuite, la question de la surpopulation carcérale. Si dans le fait tragique en question le recours au co-cellulage a été décidé pour des raisons d’aide de l’un de deux détenus, le plus souvent de tels actes sont à l’origine du co-cellulage forcé pour des raisons de manque de places. Depuis 2002, le dépassement du nombre de détenus par rapport au nombre de places s’aggrave. En 2003, 60.963 détenus partageaient 48.603 et le 1er juillet 2008, ils étaient 64 250 pour un total de 50 806 places opérationnelles .

Il pose en fin la question de la banalisation du recours à la prison. Alors qu’actuellement les prisons ne peuvent accueillir les personnes condamnées ou mises en cause au pénal dans de conditions sûres, bref dans de conditions conformes au droit, on continue à y envoyer des personnes sans pour autant être en mesure de garantir leur intégrité et sécurité : conduire en état d’ivresse et posséder une arme de 6e catégorie, (ex. une lacrymogène), mérite-t-il d’envoyer la personne en prison et mettre ainsi sa vie en danger ?

Etant donné que les prisons ne sont pas sûres, on ne peut y avoir recours que lorsque cela s’avère être une mesure absolument nécessaire : c’est à dire lorsqu’il s’agit de personnes très dangereuses et incontrôlables pour l’intégrité physique d’autrui ne présentant pas de troubles mentaux.

Georgia Bechlivanou-Moreau,
Juriste, auteur d’une thèse de doctorat en droit sur « Le sens juridique de la peine privative de liberté au regard de l’application des droits de l’Homme dans la prison », Université Paris 1, juillet 2008.

Paris, 12 septembre 2008

Le sens juridique de la peine privative de liberté au regard de l’application des droits de l’Homme dans la prison

Messages

  • Si le sort qu’on réserve aux détenus est à l’image du niveau d’humanité d’une société, c’est effrayant. Cela fait des années que j’entends tous les professionnels réagir contre les conditions de détention, qu’il s’agisse d’ avocats, de gardiens, et même de magistrats. Pourtant rien n’est fait. Comment comprendre ce refus de régler les conditions déplorables dans lesquelles des personnes sont privées de liberté en France ? Quel intérêt peut-il y avoir à ce sadisme d’Etat ? Et je rapproche également ça d’un point souligné dans l’article qui concerne les personnes souffrant de troubles mentaux et qu’on laisse à la dérive ou que l’on "range" dans n’importe quelle condition. Qu’en est-il des soins, qu’en est-il de la réinsertion ?
    En 2000 une commission d’enquête parlementaire était créée sur les conditions de détention dans les prisons en France. Elle faisait suite à la sortie du livre du docteur Véronique Vasseur sur les conditions déplorables de détention à la prison de la Santé à Paris.
    Vous trouverez sur le site de L’Assemblée nationale les arguments apportés par Madame Boutin sur cette création.
    J’avais entendu par la suite Mme Boutin sur France Culture tenir un discours très " humain" concernant les prisonniers, en envisageant des solutions qui, vues de ma fenêtre, me paraissaient frappées au coin du bons sens parce qu’elles s’appuyaient sur des expériences menées sur le long terme dans d’autres pays que la France, et notamment au Canada, et surtout qu’elles prenaient en compte la question des conditions de détention et celle de la réinsertion ...
    Et 8 ans après on en est, je pense, au même point, comme le rappelle régulièrement l’Observatoire International des Prisons : même fonctionnement, mêmes causes, mêmes effets, mêmes erreurs. Même catastophe.

    Sauf à croire que l’on vit dans un pays d’abrutis gouvernés par les derniers des abrutis, quelque chose m’échappe.

  • Hélas, un cas parmi d’autres.....

    Communiqué 04/08/08
    CP de Saint-Quentin-Fallavier : la famille d’un détenu tenue dans l’ignorance de sa tentative de suicide et de son hospitalisation dans un état critique

    La section française de l’OIP informe des faits suivants :

    Les proches d’un détenu de 23 ans incarcéré au centre pénitentiaire de Saint-Quentin Fallavier (Isère) ont appris fortuitement en se rendant au parloir que celui-ci avait été hospitalisé trois jours plus tôt dans un état critique. La réglementation prévoit pourtant une information immédiate de la famille dans ces circonstances.

    A la suite d’une tentative de suicide par ingestion médicamenteuse, dans la nuit du 14 au 15 juin, F.M. est transporté dans le coma au service médical intensif du centre hospitalier Lyon-Sud. Souffrant d’une embolie pulmonaire provoquée par l’acte auto-agressif, celui-ci sera ensuite hospitalisé 10 jours au sein de l’unité hospitalière sécurisée interrégionale (UHSI) de Lyon. Ce n’est qu’en se rendant à l’établissement le 17 juin, afin de réserver un parloir, que la grand-mère de F.M. a été informée de l’hospitalisation de son petit-fils par un membre du personnel. Celle-ci ne parvenant pas à obtenir d’informations sur les raisons, la date et le lieu d’hospitalisation, les parents de F.M. ont tenté, en vain, de joindre le centre pénitentiaire et le service social, avant d’appeler par déduction le centre hospitalier Lyon-Sud, et d’obtenir, après plusieurs coups de téléphone, confirmation de la présence de leur fils au sein de l’hôpital.

    Interrogée par l’OIP le 25 juillet 2008 sur les raisons de ce dysfonctionnement, la direction de l’établissement justifie l’absence d’information de la famille par le fait qu’en cas de tentative de suicide celle-ci « dépend de la gravité de l’acte », et qu’en l’occurrence, elle n’a pas souvenir « de tentative de suicide très inquiétante au cours des derniers mois ». Elle a, en outre, indiqué que « l’alerte ne relève pas de la responsabilité du chef d’établissement mais incombe au juge d’instruction lorsque la personne ayant tenté de mettre fin à ses jours n’est pas condamnée ». En l’espèce, le magistrat instructeur, et l’avocate du jeune homme n’ont été avertis par la direction de l’établissement de la situation de F.M que le 17 juin, par télécopie, après que la famille a été informée par le service des parloirs. Le magistrat a signalé à la direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) de Lyon la tardiveté avec laquelle il a été informé de la situation de F.M. Selon ce dernier, la DISP « a reconnu le dysfonctionnement et s’en est excusée ».

    L’OIP rappelle :

     l’article D 427 du Code de procédure pénale disposant qu’ « Au cas où un détenu vient à décéder, à être frappé d’une maladie mettant ses jours en danger, ou victime d’un accident grave, ou à être placé dans un établissement psychiatrique, sa proche famille doit en être immédiatement informée ».

     la circulaire de l’administration pénitentiaire du 12 mai 1981 relative à l’amélioration des relations entre l’administration et les proches d’un détenu malade ou décédé précisant qu ’ « il conviendra de choisir à chaque fois le mode de communication propre à assurer la diffusion la plus rapide de la nouvelle, en fonction de son urgence et de sa gravité, quitte à distinguer une information immédiate, même concise, et une information complémentaire ultérieure plus développée » et que l’information « doit toujours relever de la responsabilité directe du chef d’établissement (y compris quand le détenu est hospitalisé en milieu extérieur), qui doit se faire tenir informé sur le champ de tout événement grave et prendre lui-même les mesures qui s’imposent, en veillant avec soin à leur correcte exécution. »

     la règle pénitentiaire européenne n°24-9 : « En cas de transfèrement dans un hôpital, les autorités doivent informer immédiatement son conjoint ou son compagnon ou bien, si l’intéressé est célibataire, le parent le plus proche et toute autre personne préalablement désignée par le détenu ».

    source oip.org

  • Une simple intrusion dans les jardins d’une maison a valu le limogage illico du coordinateur des forces de sécurité en Corse.
    A quand, des mesures aussi sumboliques pour les directeurs des prisons responsables de la vie des personnes détenues ?