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"Se libérer du carcan de l’UE" : un débat nécessaire dans le parti pour préparer son 34ème congrès.

Publie le mardi 14 octobre 2008 par Open-Publishing
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« Se libérer du carcan de l’UE » : un débat nécessaire dans le parti pour préparer son 34ème congrès.

Jeudi 9 octobre, à la section du 20ème arrondissement de Paris, le premier atelier de discussion a eu lieu sur « le monde et la société actuelle » et j’y ai porté la nécessité d’un débat sur la question de sortir ou non de l’Union Européenne, relayant ainsi la position de la base alternative que j’ai signée « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps ».

Lors de l’atelier, un camarade - Bernard - a répliqué avec vigueur, allant pour conclure jusqu’à traiter d’ « absurde » cette position ; et à l’issue de la réunion, une autre camarade –Nora – m’a informé qu’une contribution argumentée allant dans le sens de Bernard existait sur le site du parti consacré à la préparation du congrès :

http://alternativeforge.net/spip.php?article1560

http://bellaciao.org/fr/spip.php?article71633

émanant de Jean-Paul Duparc « "Sortir de l’UE" : une illusion dangereuse ».

Le débat d’idées est donc lancé, vif, non consensuel.

La nécessité de ne pas éluder ce débat est partagée sans aucun doute par tous les camarades au sein même du parti. Il ne s’agit non pas tant de se mettre en ordre de marche pour les échéances électorales européennes de l’année prochaine – cependant cela arrive vite ! – que d’établir correctement le projet communiste et sa stratégie, sur ce sujet en particulier mais surtout sur sa réponse en général, face à un capitalisme hégémonique mondialisé, pour un pays développé comme le nôtre appartenant à une union d’états.

Le constat d’abord, qui me semble-t-il, est lui aussi partagé par tous, depuis toujours à l’intérieur du parti : l’Union européenne est une institution qui dès le départ par le traité de Rome fut un véritable cheval de troie du libéralisme à une époque où l’économie politique marxiste et en occident la tendance keynesienne (interventionniste) de l’économie bourgeoise étaient prédominantes dans les actes nationaux.
A la communauté économique européenne a succédé l’union européenne et ce glissement sémantique est loin d’être anodin. Cependant bornons-nous à relever ce fait incontestable : la voix et les pouvoirs des états composant l’Union se sont progressivement amoindris, surtout depuis l’Acte Unique de 1986, au profit de la montée en puissance de la commission et de ses directives s’imposant donc aux états-membres. Ce processus de délégation supranationale du pouvoir politique s’est accéléré - très amèrement pour ceux qui tiennent à la gauche - à un moment où les partis socio-démocrates ont tenu les rênes des pouvoirs nationaux et européen (Mitterrand, Delors, Prodi etc.) et permettant la mise en place de directives marquées par l’ultra-libéralisme et notamment le démantèlement des services publics nationaux. Les traités d’Amsterdam puis de Nice datent même de la période où le PCF avait des ministres au gouvernement de la France.

Avec le non au référendum sur le TCE des français et hollandais - les autres peuples nationaux n’ayant pas eu la possibilité de voter directement - puis la ratification du traité de Lisbonne - pour contourner ces deux non - ayant échoué en Irlande, nous sommes confrontés à un déni de démocratie de la part de la quasi-totalité des forces politiques et des médias en Europe.

Ces faits reconnus par tous dans le parti sont là pour poser qu’il y a un véritable problème avec la construction européenne.

Les points qui posent problème commencent.

Quelle est la position du parti communiste français ? Sans remonter à l’historique de la position du parti et son infléchissement depuis la création du groupe de la gauche européenne, contentons-nous de lire la base commune proposée par le conseil national.

Il s’agit donc de « Changer l’Union européenne en profondeur, [d’]en refonder les principes. » et pour cela « travailler dans la durée aux convergences les plus larges en France et en Europe » et très concrètement pour les prochaines élections européennes œuvrer avec « des personnalités progressistes, des militants syndicaux ou associatifs, des acteurs des rassemblements sur l’ex projet de traité constitutionnel ou du forum social européen… »

La BC du CN semble continuer la stratégie en place depuis une dizaine d’années sur l’Europe, qui n’a pour l’instant pas été couronnée de succès - bien au contraire c’est à un constant effacement du parti et des forces progressistes en Europe que nous sommes confrontés – mais surtout cette BC du CN aurait du permettre aux camarades de s’interroger sur la validité de cette ligne et non conclure par un prématuré et péremptoire : « Nous mènerons dans cet esprit la campagne des élections européennes de 2009. »

Je pense que oui, des comptes sur cette stratégie continuée dans le vague, presqu’en douce dans le projet de BC du CN, doivent être rendus par la direction nationale à l’ensemble du parti. Cette BC du CN laisse une impression totalement négative de double aveuglement sur le bilan et sur le cap maintenu envers et contre tout. La position du PCF sur l’Europe exprimée par sa direction est d’ailleurs très analogue à celle de son positionnement vis-à-vis de la gauche dans le pays : il y a quelque chose d’incantatoire, à la fois vague et résolu, à vouloir infléchir le cours des choses alors que c’est l’échec récurrent sur ces deux questions et qu’il n’y a aucune chance –selon moi – que cela marche, tellement c’est incompréhensible pour la classe salariée. Le niveau du parti dans son audience nationale est l’exacte contrepartie de l’insignifiance brouillonne de son projet et de sa stratégie depuis de nombreuses années et le conduisent à être un cercle de réflexion qu’on n’écoute même pas plutôt qu’un parti politique.

Le congrès qui s’annonce doit donc être le lieu de débat, en tous les cas il est possible et souhaité dans la BC alternative.

Pour ma part et après réflexion, comme nombre de camarades, le constat est le suivant : sur la base de cette stratégie continuée et qui peut conduire - c’est à craindre - jusqu’à l’effacement de ceux-là même qui la portent, l’espoir qu’à l’échelle de l’Europe les rassemblements populaire et des forces progressistes puisse grandir et peser est précisément une illusion dangereuse. Rien de nouveau n’est à attendre si notre parti ne parle clairement et distinctement à la classe salariée abandonnée par la gauche sur cette Europe libérale au service de la classe possédante, inféodée aux Etats-Unis dans les instances supra-européennes que sont l’OMC et le FMI. Les nominations, ces dernières années, de Pascal Lamy et Strauss-Kahn à la tête de ces deux organismes auraient du être riches d’enseignement pour notre direction sur les espoirs de réel changement dans une logique de gauche durable ou je ne sais quel galimatias de même acabit.

Je repose donc la question de sortir du carcan de l’Union Européenne et je délaisse maintenant le champ général pour investir plus précisément le champ de ce que pourrait être un projet économique différent, communiste, par rapport à l’UE.

Tout d’abord une remarque : il n’est pas acceptable intellectuellement que des camarades caricaturent les positions demandant une dénonciation autrement conséquente de l’UE. Et la question du bilan du parti sur la question de l’Europe est elle aussi absente de leurs contributions orales ou écrites tout comme dans la BC du CN.

Mon camarade de section Bernard trouve « absurde » cette position au motif que la construction européenne est la réalité et que donc une réalité ne se nie pas, qu’il y a contradiction et donc qu’il doit y avoir dépassement de cette contradiction. Très bien mais concrètement ? Nul doute que la critique constructive est à venir, je ne manquerai pas d’en prendre connaissance avec intérêt.

Jean-Paul Duparc dans sa contribution, est tout aussi critique et évite soigneusement de rentrer dans les détails constructifs. Je n’accepte pas par exemple son « « Cela ne signifie absolument pas que l’on ne pourrait rien contre le capitalisme. Au contraire. » car en l’état il n’est pas argumenté. Je doute qu’il le soit un jour plus que ce que raconte hebdomadairement Francis Wurtz dans les colonnes de l’HD.

Je n’aurai pas la cruauté, pour son auteur et pour les tenants du combat à l’intérieur des institutions européennes comme Jean-Paul Duparc, d’invoquer le livre de Philippe Herzog (avec Yves Dimicoli) dont je viens de relire l’introduction et la conclusion : « Europe 92 : construire autrement et autre chose » , écrit en 1989, où il est déjà question – presque mot pour mot la même idée, à presque 20 ans de distance : « ce qui émerge de progressiste en Europe, et qui commence de converger. » chez Jean-Paul Duparc et « Les potentiels d’un rassemblement émancipateur commencent à apparaître » sous la plume d’Herzog ! Finir comme ce dernier ou comme le PCI, voilà ce qui est au bout camarades si nous continuons la machine à perdre dans le brouillard !

Par contre, Jean-Paul Duparc va jusqu’à prêter aux tenants de cette position dans le parti des délires autarciques (Diantre, on ressemble à des coréens du nord !) et des intentions de s’allier avec les forces réactionnaires les plus rétrogrades (Fichtre, nous sommes des nationaux-bolcheviques, des rouge-bruns !).

Je vous le dis camarade, cela n’est pas constructif, participe du procès d’intention et enfume plus qu’il n’éclaire le débat sur le bilan et la stratégie à mettre en place.

Quelques pistes doivent maintenant esquissées, selon moi, pour asseoir des éléments d’économie politique communiste et partant de politique macro-économique à l’échelle nationale dans des relations internationales à refonder de toute façon en profondeur.

D’abord un constat global : la pensée économique est en aussi mauvais état que son sujet d’étude (ceci expliquant sans doute cela). Le caractère confortable de la production universitaire et/ou le caractère de permanent d’organismes (partis, syndicats etc.) n’est sans doute pas étranger à son caractère étrangement distant du réel et de construction théoriques déconnectées du réel pour l’analyse mais pas sans incidence sur la nocivité des politiques économiques pour les classes laborieuses.

Le Parti n’est hélas pas épargné par la vétusté de sa production. Tout au contraire, les camarades de la section éco-po et le premier d’entre eux Paul Boccara, n’ont pas été en mesure de fonder solidement les propositions communistes et tout porte à croire que leur infécondité condamne le parti à l’avenir si jamais ils devaient continuer à tenir seuls la barre dans ce domaine.

Dans l’Humanité nous avons ce jour (13/10/2008) une double page consacrée à un entretien avec Paul Boccara et ce qu’il propose montre le caractère théorique extrêmement attardé de solutions évidemment moins mauvaises que la gabegie actuelle (cela va sans dire, mais cela va mieux en le disant : les propositions de Paul Boccara sont évidemment porteuses de mieux pour l’humanité et sont de loin supérieures à la gabegie néo-libérale éventuellement mâtinée de charlatanisme social servie par la droite et la gauche depuis 30 ans maintenant)

3 points qui m’ont frappé à la lecture de cet article :

1 Nous sommes sortis de l’UE ! Pas un mot dessus dans cet article, tout juste se projette-t-il un moment au poste de Trichet ou de la commission pour dire ce qu’il ferait lui, à la tête de la BCE… Ce n’est pas sérieux. Sa réponse est donc entièrement au national, détaillée, mais sur un non-dit de taille qui interroge sur l’énergie à dresser ces pistes : nous sommes actuellement en économie ouverte et soumis à des directives européennes et des accords internationaux qui rangent ces propositions au rang de fantaisie irréaliste d’ordre tout à fait théorique.

2. La proposition principale de création de « pôles financiers publics nationaux » (encore une fois bye bye l’Europe, bonjour la politique macro-éco à l’échelle des nations) et de services publics du crédit est une resucée très peu originale d’une position qui a bientôt ¾ de siècle depuis que Keynes l’a formulé très simplement en parlant de socialisation de l’investissement. Partant, le principal point développé par Paul Boccara n’est pas marxiste mais keynesien du point de vue du fondement théorique. Encore une fois c’est mieux que rien mais en aucun cas ce n’est la panacée, ni même nouveau. Les ennemis d’hier, planificateurs entre autres et tenus pour des suppôts du capitalisme monopoliste d’État doivent se retourner dans leur tombe !

3. Pas un mot sur une alternative pratique, concrète, aux lois du Marché. Je m’étonne surtout du silence assourdissant, récurrent dans le parti, autour d’un thème que je continue à défendre contres vents et marées : la planification.

Le capitalisme c’est la propriété privée des moyens de production + le marché comme régulateur social des échanges économiques, mode opératoire mortifère pour le social et l’écologique.

Le communisme est plus que jamais l’appropriation sociale des moyens de production et le remplacement du marché par l’action concertée des producteurs/consommateurs associés.

Alors que la révolution informationnelle – un nouveau dada pourtant de la section éco-po - ne semble profiter qu’au capital, à ses produits financiers, rien chez nous qui puisse poser simplement la captation de la puissance informatique en réseau et la mettre au service de tous pour harmoniser finement sans centralisation excessive et antidémocratique les capacités de production et les besoins humains, sociaux et écologiques.

Tout ce pan de production théorique sur l’alternative au marché et ce que pourrait être un processus de planification maîtrisée (Pierre Massé, un ancien commissaire général au Plan avait écrit un recueil qui s’intitulait « Le plan ou l’anti-hasard »), mais également contrôlée démocratiquement doit être un champ d’investigation poussée pour le parti : je soumets donc cette proposition de travail théorique au débat .

Sur ce point, non seulement la BC du CN n’en parle pas mais présente des signes inquiétants de recul idéologique en proposant « une maîtrise sociale et démocratique des marchés, comme outil essentiel d’un nouveau mode de développement. » c’est-à-dire au mieux une économie socialiste de marché.

Plus généralement, reconstruire pour le politique des marges de manœuvre aux niveaux macro et micro-économique me semblent plus réalistes au national. Tant mieux si l’UE accepte notre dénonciation des traités libéraux de dérégulation et de mise en concurrence des services publics et des salariés, mais je ne pense pas appartenir au parti de ceux qui croient au Père Noël même s’il est en rouge. Nous n’obtiendrons rien en ce domaine comme dans tout domaine sans instaurer un vrai rapport de force qui peut, chemin faisant et sans être irréaliste, faire l’économie de ruptures ultimes.

 Relocaliser la production pour des raisons sociales mais aussi pour des raisons écologiques car c’est une hérésie énergétique de produire à l’autre bout de la planète des biens et des services que l’on fait très bien chez nous ;

 démocratiser l’entreprise en donnant des pouvoirs aux travailleurs ;
 pouvoir garantir effectivement la sécurité d’emploi et de formation (tiens, au fait, où est-elle dans la BC du CN cette mesure phare du 33ème congrès et de la campagne de MGB aux présidentielles ? Noyée dans la promotion d’un « nouveau mode de développement »).
Voilà toutes les choses concrètes à porter, déjà travaillées dans le parti, et qui deviendraient réalistes à la condition que l’on s’en donne vraiment les moyens en amont et parmi ceux-ci ne plus accepter l’inacceptable des directives et des traités de l’UE.

Reste à répondre formellement aux critiques de « la sortie du carcan de l’UE » Non il ne s’agit pas, si nous avions, seuls ou avec d’autres, les manettes du pouvoir de dire stop, de construire des murs aux frontières, d’arrêter même simplement en le décrétant l’appartenance à la zone euro et de cesser tous les échanges commerciaux avec par exemple notre premier partenaire commercial depuis 40 ans l’Allemagne qui a autant besoin de nous comme nous avons besoin d’elle. C’est un peu plus compliqué que cela, n’est-ce pas.

En conclusion : retournons devant le peuple avec un caractère révolutionnaire qui ne serait plus que de façade car il serait cohérent avec un projet de politique économique communiste réaliste pour un pays développé, face à un capitalisme qui fait subir à la classe salariée une extorsion inouïe de plus-value, aidé en cela au niveau de l’appareil d’Etat/instrument de la classe dominante par le ralliement de la quasi-totalité du champ politique, socialistes compris.

Le parti communiste doit être l’expression d’une appropriation des pouvoirs politiques et économiques par les classes laborieuses, il ne doit pas être le cercle de plus en plus restreint de spécialistes cloisonnés de telle ou telle question et singulièrement sur l’Europe. Sur cette question, et loin de s’être améliorée depuis 2005, le sentiment du peuple, relayé par les sondages sur la défiance populaire à l’égard de la construction européenne, est profondément juste et mérite d’être étayé par un projet communiste à la hauteur, cohérent et intelligible.

Messages

  • A lire sur le site des échos sur la question du marché et de la planification :

    J. BRADFORD DELONG
    Vers la finance planifiée
    [ 13/10/08 ]

    Depuis plus de cent soixante-dix ans, l’idée selon laquelle il ne faut pas faire confiance aux marchés en cas de resserrement des liquidités est parfaitement admise. Dans ces circonstances, les banques centrales doivent intervenir pour fixer le prix des liquidités à un niveau raisonnable - il dépend alors d’une planification centralisée - plutôt que de le laisser osciller au gré de l’offre et de la demande du privé. C’est la doctrine du « prêteur de dernier recours ».

    Durant 85 de ces 170 dernières années, l’idée qu’il ne faut pas non plus faire confiance aux marchés en période normale était aussi admise. On a donc estimé que les banques centrales doivent fixer le prix des liquidités au jour le jour. Selon Wicksell, les banques centrales doivent maintenir les taux d’intérêt sur le marché à un niveau voisin de leur taux naturel, alors que, pour Keynes, elles doivent compenser les variations dues au mimétisme des intervenants dans le cycle des affaires, de manière à stabiliser la demande agrégée et que, pour Friedman, elles doivent veiller à maintenir stable le taux de croissance de la masse monétaire. En réalité, ce sont les trois versants d’une même démarche et d’une même réalité.

    Alors que du point de vue économique, les projets gouvernementaux et les idées de planification centralisée connaissaient des hauts et des bas dans la social-démocratie, cette dernière volait de succès en succès dans le domaine de la finance à court terme. Les banques centrales étaient devenues des institutions technocratiques indépendantes, une sorte d’ordre religieux dans le domaine monétaire qui, tel un oracle, parlait en termes obscurs aux simples mortels. La justification de ce système est qu’il semblait fonctionner correctement. Cet îlot de planification centralisée dans l’océan de l’économie de marché était surprenant et étrange. Si personne ne demandait de règle pour fixer la croissance de la consommation d’électricité, des voix s’élevaient pour demander de fixer le taux de croissance de la masse monétaire M2. Il n’y avait pas d’autorité régulatrice pour fixer le prix des voitures, alors que la Fed fixait le coût des fonds fédéraux.

    Il semble pourtant qu’on estime ajourd’hui qu’il n’y a pas encore assez de planification centralisée dans le domaine financier. Car, même si la banque centrale décidait du coût des liquidités, celui du risque restait à la merci du marché. Et c’est le coût du risque qui est à l’origine de la débandade actuelle.

    L’économie mondiale n’est pas confrontée à un manque de liquidités. Loin de là : les bons du Trésor américain d’une durée de deux ans avec une valeur faciale de 1.000 dollars peuvent être échangés contre 998 dollars en liquide - le prix le plus bas en termes d’achat de liquidités depuis la Grande Dépression et la crise japonaise des années 1990.

    Néanmoins, la prime de risque sur les actifs privés a augmenté pour atteindre un niveau inimaginable : le supplément de taux d’intérêt versé aux détenteurs de certificats de dépôt émis par une banque privée atteint maintenant 5 points de pourcentage. C’est cette hausse des primes de risque qui menace de faire basculer l’économie mondiale dans une grave récession, transformant le spectacle jouissif de la déroute des marchés financiers en une vague de chômage et de fermetures d’usines à travers le monde. Du coup, le Trésor et la Fed consolident le capital des agences de refinancement hypothécaire Fannie Mae et Freddie Mac et de la compagnie d’assurances AIG dans l’espoir d’abaisser le coût de leurs emprunts de manière à ce qu’elles puissent acheter davantage de prêts hypothécaires.

    Le Trésor a demandé l’autorisation d’acheter 700 milliards de créances immobilières pour les effacer des comptes du secteur privé. Augmenter la demande et réduire l’offre portant sur ces actifs à haut risque est une façon de manipuler les prix. La Fed et le Trésor s’engagent sur une voie qui aboutit à contrôler le coût du risque sur les marchés financiers et celui des liquidités. C’est ainsi que les banques centrales ont commencé au tout début : laisser le marché déterminer le prix des liquidités semblait trop coûteux pour les hommes d’affaires qui votaient et pour les salariés qui pouvaient renverser le gouvernement. De même, aujourd’hui, on estime trop coûteux pour les électeurs et les donateurs de la campagne présidentielle de laisser le marché tout seul déterminer le coût du risque.
    J. BRADFORD DELONG est professeur d’économie à l’université de Californie (Berkeley).