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Le libéralisme, remède à la crise

Publie le mardi 14 octobre 2008 par Open-Publishing

Chronique
Le libéralisme, remède à la crise, par Nicolas Baverez
LE MONDE | 14.10.08 | 13h12

Face à la montée du risque systémique et à la menace d’une déflation mondiale, le dérèglement des esprits n’est pas moindre que celui des marchés. Du côté du crédit, quatre semaines après la faillite de Lehman Brothers, le marché interbancaire reste en coma dépassé, ce qui entraîne la rupture du financement des économies développées. Du côté de l’activité se profile en 2009 une récession brutale dans les pays du Nord. Pour la France, économie la moins performante de la zone euro avec l’Italie, cela se traduira par une activité en recul de 0,5 % à 1 %, un taux de chômage autour de 8,5 %, un déficit et une dette publics de l’ordre de 3,5 % et 70 % du PIB.

Depuis les années 1930, les réponses à ce type de situation sont connues grâce aux travaux d’Irving Fischer et John Maynard Keynes. Trois urgences : recapitaliser et restructurer les banques ; soutenir l’activité par les dépenses publiques et la baisse des taux d’intérêt ; privilégier la coopération entre les nations et les continents afin d’éviter les mesures protectionnistes. Une priorité de moyen terme : améliorer la productivité des économies surendettées. Cela n’empêche pas les polémiques de fleurir : revanche de la politique sur les marchés, retour à l’économie fermée et administrée, ruine du capitalisme, faillite du libéralisme, entend-on dans la confusion ambiante.

L’éloge de la sagesse du politique face à la folie des marchés ne tient pas. La responsabilité du pouvoir politique est directement engagée dans la naissance et le développement de la crise. Aux Etats-Unis en premier lieu, avec le naufrage de l’idéologie néoconservatrice qui laisse les Etats-Unis en situation de faillite. Mais plus largement dans les démocraties, où les gouvernements ont largement distribué les dividendes fictifs de l’après-guerre froide et de la bulle financière dont le consommateur des pays développés fut le premier profiteur.

Le krach politique n’est pas moindre que celui des marchés ; l’égoïsme et le court-termisme ne sont nullement l’apanage des traders. Il suffit pour le mesurer de constater le vide du pouvoir aux Etats-Unis à un moment critique . L’autorégulation des marchés est un mythe. Face à leur écroulement, il n’est pas d’alternative à l’intervention massive de l’Etat. Cela n’implique pas que l’Etat doit tout faire, à tout prix et dans n’importe quelle condition.

Prenez la nationalisation : face à la crise bancaire, elle est une arme indispensable mais de dernier recours, qui doit être actionnée quand toutes les solutions de marché ont échoué, être limitée dans le temps et conditionnée à des garanties au profit des contribuables (départ des dirigeants, dilution des actionnaires, intéressement de la puissance publique au redressement via des actions de préférence ou des bons de souscription d’action).

De même, les dérogations à l’Etat de droit, qu’il s’agisse du droit de la concurrence ou du droit boursier, ne peuvent se multiplier sans base légale, à l’image de l’interdiction des ventes à découvert par l’AMF sur le fondement d’un simple communiqué de presse. En bref, dans ces interventions, l’Etat ne doit pas viser à se substituer au marché ou à l’Etat de droit, mais rétablir au plus vite leur fonctionnement normal.

L’opposition des vices du capitalisme financier anglo-saxon aux vertus de l’économie administrée à la française est tout aussi artificielle. Il faut donc faire preuve de discernement. Les Etats-Unis doivent impérativement lancer un New Deal pour moderniser leurs infrastructures, augmenter les impôts notamment pour les riches, compte tenu d’un taux de prélèvements obligatoires de 34 %.

Tout autre est la situation de la France où les dépenses publiques et les prélèvements obligatoires atteignent 54 % et 44,4 % du PIB, et où la dette publique deviendrait insoutenable au-delà de 70 % du PIB. Le maintien des structures d’une économie fermée et administrée a exclu notre pays des bénéfices de la croissance intensive ; il le surexpose aujourd’hui au krach ; il lui fera rater la reprise mondiale si la crise devient le prétexte à la remise en cause des réformes.

Le capitalisme en crise va muter et non pas disparaître. Il est un mode de production fondé sur l’esprit d’entreprise et la rémunération en fonction du risque. Dans sa forme mondialisée dont la finance était la pointe avancée, il s’est écarté de ces principes en déconnectant les profits et les rémunérations des performances et des risques réels. Mais le capitalisme a une capacité à se régénérer aussi élevée qu’à générer des bulles. Il survivra en se transformant, avec l’espoir de préserver la dynamique d’intégration et d’innovation de la mondialisation, tout en assurant une régulation plus efficace à travers la coordination des acteurs d’un système multipolaire.

Le libéralisme est une philosophie politique fondée sur le respect des droits de l’individu mais aussi le primat de la décision collective. La déflation déstabilise les classes moyennes qui sont le socle des démocraties en alimentant le nationalisme, le protectionnisme, le populisme. Parce qu’il parie sur la raison des citoyens, parce qu’il repose sur le respect de l’Etat de droit, parce qu’il fixe un principe de modération et de contrôle des pouvoirs, le libéralisme constitue le meilleur antidote à l’emballement des pulsions collectives et le meilleur guide pour reconstruire le capitalisme du XXIe siècle.

Le libéralisme n’est donc pas la cause mais la solution à la crise du capitalisme mondialisé.
Nicolas Baverez est économiste et historien.

Nicolas Baverez

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