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« La crise se combine aux crises climatique et alimentaire »

Publie le vendredi 24 octobre 2008 par Open-Publishing

Rouge n° 2271, 23/10/2008

La crise économique qui secoue la planète donne l’occasion à « Rouge » d’ouvrir ses colonnes aux économistes progressistes. François Chesnais, membre du conseil scientifique d’Attac, traite de la spécificité de cette crise.

● En quoi la crise actuelle est-elle différente de celles qui l’ont précédée depuis une vingtaine d’années ?

François Chesnais – La crise se combine à de très graves dimensions préexistantes de crise sociale planétaire : la crise climatique et la crise alimentaire au Sud, provoquée par les politiques néolibérales dans le domaine agricole ou le pouvoir du lobby automobile, et aggravée par la spéculation sur les marchés à terme de produits de base. La fusion entre ces dimensions de crise de civilisation et la crise économique et financière lui donnera des traits spécifiques. D’autre part, la crise est mondiale, à un degré bien plus fort qu’à tout moment antérieur, même lors de la crise asiatique.

● En quoi consiste ce caractère proprement mondial de la crise ?

F. Chesnais – Elle a comme épicentre les États-Unis et le Royaume-Uni, pays pivots de la mondialisation financière, dont le mouvement spécifique de multiplication du capital fictif a gangrené le système du crédit. Les minikrachs et l’extrême volatilité des cours propagent la crise en suscitant ce qu’on appelle des « anticipations négatives », pour les entreprises comme pour les ménages. L’autre effet, très grave, est de laminer les retraites à capitalisation boursière. Du fait de la paralysie du crédit, la crise s’étend aux entreprises et aux ménages, habitués à recourir au crédit personnel, ou forcés de le faire. Ces mécanismes sont plus avancés dans les pays où l’immobilier et le crédit hypothécaire ont été les moteurs de la croissance artificielle de 2002-2007, et où les retraites de marché financier sont les plus développées.Mais aucun pays industriel ancien n’y échappe. L’interconnexion étroite des échanges et des investissements directs, qui résulte de la libéralisation, fait que la récession se propage ensuite entre les économies.

● Quel rôle vont jouer les pays dits « émergents » dans le développement de la crise ?

F. Chesnais – L’intégration de la Chine à l’OMC a déjà aidé à la préparer. L’agrandissement qualitatif de l’armée industrielle de réserve mondiale a été l’un des piliers du changement des rapports capital-travail et de la « hausse tendancielle de l’exploitation » (voir Michel Husson), qui est un processus mondial. Il est souvent question du découplage des pays émergents et de leur assez grande immunisation envers la crise. C’est faux. Le début de récession aux États-Unis et maintenant en Europe a conduit à un ralentissement des exportations et de la croissance au Japon et en Chine. On en a déjà vu des effets en retour, sur les exportations allemandes de machines et les exportations de l’agrobusiness de pays comme l’Argentine. Le « capitalisme sauvage » chinois comporte une course aux investissements en usines, infrastructures, bureaux et logements, marquée par l’anarchie de la concurrence dont Marx a tant parlé. Isaac Johsua rappelle que la crise de 1929-1933 a eu deux pôles, les États-Unis et l’Allemagne. Il en va potentiellement de même pour celle-ci, l’Asie et la Chine devenant l’épicentre d’une future crise de surproduction. Deux « New Deal », l’un aux États-Unis, l’autre en Chine, pourraient sans doute la stopper. Ils supposeraient la formation, dans chaque pays, de blocs sociaux tournés vers une redistribution profonde des richesses. Les conditions politiques de cela sont loin d’être réunies. Prédomine, dans les classes dirigeantes, l’idée qu’il est encore possible de préserver, au prix de petites retouches, le système tel qu’il est.

● Tu as parlé du rapport avec la crise écologique. Peux-tu en dire plus ?

F. Chesnais – La rapidité avec laquelle le changement climatique avance et touche les populations des pays les plus pauvres et vulnérables va les soumettre à l’impact combiné de la récession mondiale, du réchauffement et des effets des politiques agricoles imposées à tant de pays. Pour l’instant, une question qui met en cause la civilisation comme telle va être traitée comme une question de maintien de l’ordre. Mais, dans certains pays, l’impact combiné sera sans doute si fort qu’il rejaillira sur l’économie, aggravera la récession et suscitera la réaction massive des exploités. ■