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Sur les sabotages de voies de chemin de fer

Publie le mercredi 19 novembre 2008 par Open-Publishing
4 commentaires

quelques réflexions
Daté du samedi 15 novembre 2008

Depuis le 11 novembre, il se dit à peu près tout et n’importe quoi à
propos des actes de sabotage des lignes TGV et de leurs supposé-e-s
auteurs. Journalistes, experts en politologie ou criminologie et
responsables des chemins de fers français (syndicalistes inclus) brodent
autour des infos que leur distillent les services de police et les
cabinets de communication du ministère de l’intérieur. Dans ce monceau
d’articles, chacun y va de sa petite trouvaille pour se démarquer du
voisin en vendant la même camelote : les photos exclusives de la catenaire de la peur (sic), les doctes éclairages des "spécialistes" de
l’"ultra-gauche", les commentaires entendus sur la participation de filles
à une opération de cette sorte...

Les syndicats de cheminots, quelque peu fébriles à l’idée que peut-être,
quand même, certaines de leurs ouailles aient pu participer aux sabotages, se lâchent et se félicitent de l’efficacité des limiers du ministère de l’intérieur. Tout à leur soulagement de pouvoir condamner sans réserves ces actions, ils reprennent la qualification de "terroriste", oubliant un peu vite que la plupart du temps, ce sont eux qu’on accuse de "prise d’otage" quand la circulation est bloquée...

Tout a été dit, donc, sauf en ce qui concerne ce qui pourrait bien motiver
des personnes à bloquer les TGV : la version officielle s’en tient à une
variation autour du thème des déséquilibrés nihilistes clandestins ayant
un obscur compte à régler avec l’Etat ; c’est-à-dire, des terroristes.
L’antiterrorisme, c’est bien pratique : d’abord, "terroriste", ça
s’applique un peu à tout et n’importe quoi. Là, en l’occurence, on parle
de trains bloqués avec une méthode qui aux dires même du directeur de la SNCF n’est "pas dangereuse [pour les personnels et passagers] mais invalidante", et les 4 caténaires arrachées viennent s’ajouter à la longue liste des "malveillances" et autres avaries que subissent les
infrastructures ferroviaires tous les ans (on parle de 26 000 actes de
malveillance recensés pour la seule année 2005, dont 89 auraient pu causer un déraillement, ce qui n’est pas le cas avec l’histoire des caténaires).

Ensuite, "terroriste", ça sert à marginaliser des pratiques et à isoler
une partie des gens qui luttent et à provoquer la désolidarisation des
autres. Et ce n’est pas réservé aux dits "anarcho-autonomes", RESF aussi a parfois droit à ce petit sobriquet.

Enfin, ça permet de se doter de moyens materiels et juridiques hors du
commun pour surveiller et mettre la pression sur des personnes un peu trop actives politiquement au goût des autorités. Au passage, les services de renseignements peuvent fanfaronner sur leur efficacité en voulant faire croire que rien ne peut échapper à leur contrôle, pensant ainsi envoyer un message à tous ceux qui envisageraient de sortir du cadre de la contestation tolérée. Toujours est il que les "éléments matériels" de la culpabilité se font attendre, au point que, à l’issue de la garde à vue, 7 des personnes arrêtées ne seront plus poursuivies pour les actes de sabotage, mais pour "association de malfaiteur" dans le cadre d’une obscure procédure anti-terroriste datant d’avril dont on se garde bien de donner les éléments qui la justifient (on parle de "dégradations", de participations à des manifestations et de publications de bouquin, on sort un pseudo-attentat... aux Etats-Unis - top-credibility, le FBI...- et on laisse entendre sans fondement quelconque qu’elles allaient inévitablement passer du fer à béton à la bombe à clou).

Si on se donne la peine de dissiper un peu l’écran de fumée
"antiterroriste", et sans extrapoler sur les suspects désignés, leur
appartenance à une mouvance de giga gauche ou à un club d’échec hélvète, ni sur l’âge du capitaine - tant les arrestations semblent déconnectées des faits eux-mêmes - on peut réflechir sur le sens politique du blocage des voies de chemins de fer.

D’abord, on remarque que les sabotages ont eu lieu le même jour qu’une des mobilisations sociales les plus importantes en Allemagne ces derniers temps pour stopper le convoi de déchets nucléaires CASTOR (qui circulait aussi sur le réseau français), avec des pratiques diverses allant des manifs rassemblant plusieurs milliers de personnes à des actes de sabotage. L’opposition au nucléaire est bien ancrée dans ce pays et donne régulièrement lieu à ce genre de blocage de train, causant plusieurs milions d’euros de dommages pour la Deutsche Bahn. En France, à moindre échelle, le passage d’un convoi nucléaire provoque aussi ce genre de réactions.

La lutte contre le nucléaire est loin d’être la seule à viser les chemins
de fer. Qu’on songe bien sûr aux mouvements de cheminots, qui tirent
justement leur force de cette capacité à bloquer la circulation des
marchandises et des personnes ; on se rappelle d’ailleurs que des
sabotages des lignes de signalisation étaient venus appuyer les grèves de l’automne-hiver 2007 contre la réforme des retraites. Qu’on songe aussi au mouvement dit anti-CPE du printemps 2006 avec ces nombreuses occupations de gares qui avaient contribué à faire plier un peu le gouvernement. Bloquer l’économie, que ce soit par la grève, le boycott ou l’interuption des flux, a toujours été la meilleure arme des luttes politiques, du mouvement ouvrier du début du XXème siècle (avec déjà des sabotages de train) aux piqueteros argentins, en passant par la Résistance ou les routiers grèvistes et leurs opérations escargot.

On pourra rétorquer : "certes, mais dans quelles luttes, dans quels
mouvements s’inscrivent ces actions ?". Et bien, elles s’inscrivent,
quelles que soient d’ailleurs les revendications, dans le conflit de basse
intensité qui se mène tous les jours, sur tous les fronts : dans la
bataille des salarié-e-s pour leur conditions de vie et de travail, dans
la lutte des chômeur-e-s face au contrôle social, dans le combat des
sans-papiers, dans les résistances des quartiers populaires aux pressions policières ; dans chaque espace ou des gens s’organisent pour faire face.

Un mouvement de fond, qui regroupe des pratiques, des idées, des
aspirations différentes mais dont les moments de lutte se font echo
mutuellement. D’ailleurs, il suffit de consulter la liste policière des
champs investis par les suspect-e-s désigné-e-s pour avoir une petite idée des différents fronts qui font souci aux gouvernements ces dernières années : sans-papiers, G8, EDVIGE, CPE, mouvement lycéen, manif anti-sarko, guerre en Irak...

En période de crise économique du système capitaliste qui organise lui
réellement l’appauvrissement et la terreur sur à peu près la totalité de
la population mondiale, il peut paraître dérisoire et symbolique d’un
cruel aveuglement idéologique de crier au loup pour quelques dizaines de trains retardés. Dans un monde qui fonce droit dans le mur, il y a
pourtant peut-être quelque chose de salutaire à suspendre l’agencement du quotidien, les flux à grande vitesse de travailleurs, cadres, businessmen, traders, marchandises, déchêts nucléaires sur lesquels se basent la machine à exploiter.

S’attaquer au TGV, c’est aussi viser une certaine forme de l’organisation
sociale, comme en témoigne les résistances populaires à la construction
des lignes à grande vitesse au pays basque et dans le Val de Suza italien, aussi bien pour ce qu’elles impliquent en terme de restructuration locale que par refus du modèle économique qu’elles composent.

Car même si dans certains articles on nous dit que les saboteurs s’en sont pris au "sevrice public", il est assez clair que lorsqu’on parle de TGV
aujourd’hui, on parle d’une structure en voie de privatisation, qui vend
de plus en plus cher le droit de se déplacer, précarise ses
travailleur-e-s, et a pour fonction principale d’assurer le transport
constant de main d’oeuvre, nécessaire à l’économie hors-sol.

On peut le voir comme une manière parmi tant d’autres d’interroger
concrètement le dogme sacré de la croissance économique, décrié
aujourd’hui par une bonne partie de la population (qui en subit les effets
quotidiens). Le fait d’entretenir cette capacité de blocage et de
perturbation matérielle sera donc décisif pour ceux et celles qui
entendent encore réorienter la société sur d’autres rails, pour construire
les rapports de force des luttes présentes et à venir.

http://www.anartoka.com/pas-dupes/v...

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