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L’appareil de surveillance des États-Unis pointé sur le peuple américain

Publie le lundi 24 novembre 2008 par Open-Publishing

L’appareil de surveillance des États-Unis pointé sur le peuple américain

De nouvelles catégories d’individus susceptibles d’être l’objet d’investigations d’État « antiterroristes »

Par Tom Burghardt


Le 24 novembre 2008


Vous "copinez avec des terroristes", vous êtes un " radical " ou vous exprimez des opinions que le gouvernement considère comme " extrémistes " ?
Le 28 octobre, le site Web dénonciateur Cryptome publiait le Lexique Analytique de la Division antiterrorisme de la Direction générale des services de renseignement antiterrorisme du FBI.

Ce document révélateur « Classé Secret / Uniquement à Usage Officiel » (Unclassified / For Official Use Only – U/FOUO), prétend standardiser les termes utilisés dans les supports d’analyse du FBI en matière d’antiterrorisme.

Ce qu’il fait, au contraire, en parfaite conformité avec l’appétit insatiable du FBI pour les produits de type « intelligence opérationnelle », c’est créer de nouvelles catégories d’individus susceptibles de tomber dans le champ des investigations « antiterrorisme » menées par l’Etat.

Dès le départ, le Bureau nous informe que les définitions utilisées dans le lexique, « ne supplantent pas celles du manuel du Ministère de la justice – Programme du service de renseignement des étrangers (Department of Justice National Foreing Intellience Program Manual – NFIPM), ni les mesures générales prises par le Garde des sceaux, celles du Plan national d’action pour la guerre contre le terrorisme, ou toute loi du gouvernement des EU.

Il couvre un vaste domaine et pourrait occulter beaucoup de choses, s’il y avait malveillance de la part du gouvernement, en particulier au moment où de nouvelles règles, communiquées par le Garde des sceaux Michael Mukasey, rendent possible de larges investigations intrusives par les fouines du FBI, comme le Washington Post le rapportait début octobre.

Le nouveau plan permet aux enquêteurs de recruter des informateurs, d’organiser la surveillance des personnes et la conduite d’interrogatoires au cours desquels les agents déguisent leur identité, avec pour but d’évaluer les menaces pour la sécurité nationale. Les agents du FBI pourraient utiliser chacune de ces mesures sans même qu’aucun fait n’indique qu’une personne a un lien avec une organisation terroriste. (Carrie Johnson, "Guidelines Expand FBI’s Surveillance Powers," The Washington Post, Saturday, October 4, 2008 ; A03)

En réponse, l’American Civil Liberties Union (ACLU) avertissait que les nouvelles mesures réduisaient les critères requis pour la mise en route des « évaluations » (précédant les enquêtes), pour la conduite de surveillance et la collecte de preuves, ce qui signifie que le seuil permettant de commencer des investigations sera systématiquement abaissé. Encore plus inquiétant, des mesures autorisent l’utilisation du contexte racial ou ethnique d’une personne comme facteur permettant d’ouvrir une investigation, une mesure dont l’ACLU pense qu’elle peut ouvrir la porte au profilage racial pris comme principe politique.

Autrement dit, l’opinion politique d’un individu, son appartenance raciale ou ethnique, peut servir de prétexte à une enquête. Le Lexique Analytique prétend que « l’analyse qui étiquette un individu à partir de n’importe lequel des termes ci-devant ne suffit pas pour servir de prétexte à une enquête ou à une procédure. De même, aucune enquête ne pourrait être menée sur base uniquement d’activités par ailleurs protégées par le Premier Amendement ou par l’exercice légal d’autres droits garantis par la Constitution ou les lois des Etats-unis. »

La phrase suivante, formulée dans un langage très vague et sujet à interprétation de la part des enquêteurs, dit : « Avant d’étiqueter un individu ou son activité, des efforts acceptables devraient avoir été faits pour s’assurer que l’utilisation de cette classification est exacte, complète, opportune et pertinente. »

La parole, par exemple, d’un informateur payé ou celle d’un agent provocateur pourrait-elle être considérée comme un « effort acceptable » qui pourrait mener à classer un individu comme membre d’une « cellule terroriste » ou d’un « réseau » ?

En effet, le Lexique affirme que « un ou plusieurs termes de chacune de ces catégories peuvent être utilisés pour décrire un individu ainsi que son contexte et son activité. L’applicabilité de ces termes à un individu est généralement une question de mesure et implique une part de jugement subjectif. »

« Jugement subjectif » par qui et dans quel but, peut-on raisonnablement demander à la Direction générale des services de renseignement. Ainsi qu’il a été amplement attesté dans le cas d’activistes « antiguerre » visés par la Police d’Etat du Maryland (MSP), une fois que des individus ont été étiquetés comme « terroristes », les informations personnelles les concernant disparaissent dans une multitude de banques de données fédérales des Etats ainsi que de données locales qui concernent les « extrémistes »

Pendant une période de 14 mois, en 2005-2006, par exemple, la Police d’Etat du Maryland et la Homeland Security and Intelligence Division (HSID) de la MSP ont illégalement espionné des activistes opposés à la peine de mort et des manifestants « antiguerre ».

Des résumés d’activités de surveillance comprenant les noms et informations personnelles collectés sur des individus ou des groupes ont été encodés dans la base de données du Washington-Baltimore High Intensity Drug Trafficking Area (HIDTA), un outil fédéral qui creuse l’information à propos de personnes suspectées de terrorisme et partage les résultats avec des centres de collectes nationaux « antiterroristes ».

Le Washington Post rapporte qu’un « activiste bien connu de Baltimore, Max Obuszewski, avait été repéré dans les rapports des services de renseignement publiés par l’ACLU, qui mentionnaient un « crime au premier degré » de ‘terrorisme-anti-gouvernemental’ et un « crime au second degré » de ‘terrorisme-contestataire-anti-guerre’. »

D’après des documents que s’est procurés l’American Civil Liberties Union of Maryland, documents classés « Pièce à conviction 2 » dans le rapport émis par Stephen E. Sachs, « on observe qu’il y a eu communication entre le MSP et le National Security Agency (NSA) en ce qui concerne le travail de surveillance, ». C’est l’ACLU qui le rapporte.

L’espionnage et la répression « sauf réserves » par l’Etat, et par les agences locales qui dépendent des largesses du fédéral, ne se sont pas limitées au Maryland. Ni les opérations de recherche ayant pour cible des contestataires pacifistes. Et leurs discours, protégés par la Constitution, ne le sont en fait que par le FBI ou le Ministère de l’Intérieur (Department of Homeland Security Agency (DHS). Ces opérations, en réalité, correspondent à une mentalité assez visible et inquiétante qui, durant des décennies, a assimilé les activités de dissidence politique à la « subversion. »

Suivant la déclaration infamante que faisait Mike Van Winkle, un porte-parole du California Anti-Terrorism Information Center (CATIC) au Oakland Tribune en 2003, « Le lien est aisément fait selon lequel, quand un groupe conteste une guerre dont l’objet est précisément la lutte contre le terrorisme international, vous pourriez trouver là, à cette manifestation, des terroristes. Vous pouvez quasiment dire que la contestation, dans ce cas-là, est un acte terroriste en soi. »

Nous y voici, c’est la criminalisation de la contestation.

Aucune personne douée de raison ne s’opposerait aux officiels chargés de faire appliquer la loi dans les enquêtes sur des groupes criminels susceptibles de menacer les Américains par des attaques aussi horribles que celles perpétrées le 11 septembre 2001 par al Qaeda, réseau arabo-afghan, source capitale d’informations aisément accessible aux agences de renseignement occidentales.

Pourtant, ainsi que de nombreux médias le rapportent, des chargés d’enquête du Congrès et, de fait, la Commission 9/11 elle-même, ont déclaré que, malgré de multiples occasions avant que le complot ne soit mis à exécution, les personnes responsables de faire respecter la loi et les officiels ont échoué dans leur action.

En fait, cette série de ratés, que ce soit par action ou par omission, peut être qualifiée de négligence criminelle, délit susceptible d’être poursuivi en justice et puni d’emprisonnement. A ce jour, il n’a été demandé à aucun officiel de rendre des comptes. Au contraire, les plus grands coupables, ceci incluant les hauts dirigeants du FBI de la CIA et NSA, ont été récompensés par d’excellentes promotions ou se sont vu confier des responsabilités bien rémunérées dans le vaste domaine de l’industrie privée, qui englobe le militaire, l’industriel et la sécurité !

Mon but ici n’est pas de débattre des différentes théories à propos du 9/11 ou des tentatives qui ont suivi pour étouffer certaines choses mais plutôt de démontrer que dans la foulée de ces attaques abominables, les services de renseignement de l’Etat ont pointé leur formidable appareil de surveillance sur le peuple Américain lui-même. Cette tendance figure en bonne place dans le Lexique Analytique où nous découvrons les notions de :

 Etatsunien radicalisé : L’imprégnation sociale première de l’individu « Etatsunien radicalisé » été celle des valeurs culturelles et des croyances des Etats-unis et sa radicalisation est advenue essentiellement aux Etats-Unis.

 Idéologue ou propagandiste : Un « idéologue » ou un « propagandiste » fonde, promeut ou dissémine les justifications d’un extrémisme violent, souvent au travers de la manipulation de textes fondateurs comme des textes religieux ou des récits historiques qui viennent justifier une rancune. Sauf dans les cas où il ou elle prône directement certains actes de violence, beaucoup des activités de ces individus peuvent faire partie de celles que protège la Constitution. (Federal Bureau of Investigation, Counterterrorism Analytical Lexicon, » Washington, D.C., no date, pp. 4-5)

Comme nous l’avons constaté au fil des années depuis le 9/11, les raisons avancées pour lancer des enquêtes « anti-terroristes » ont cessé de prendre pour cible directe les renseignements et/ou le terrorisme opérant sur le sol des EU et se sont mises à s’en prendre aux Américains dissidents et à leurs partisans dont la grande majorité sont des activistes « antiguerre », des écolos, des défenseurs des droits civiques, socialistes et syndicalistes.

C’est un fait, des millions d’Américains ont remis en question les « valeurs culturelles et les croyances des Etats-Unis », en particulier quand ils ont contesté la doctrine d’agression du régime Bush, la guerre préventive ou le pillage systématique de l’économie par des capitalistes filous.

Même si le Lexique affirme que le travail théorique et d’investigation de présumés « idéologues » et « propagandistes », comme les historiens ou les journalistes d’investigation, « pourrait être protégé par la Constitution », la barre est placée ici vraiment bas et ceci également correspond bien au point de vue historico-idéologique propre au Bureau, qui veut que contestation rime avec terrorisme.

Et quand des citoyens s’unissent pour former, par exemple, un comité « antiguerre », un groupe d’action pour l’environnement ou quand des travailleurs organisent des groupes de travail, le Lexique définit cela comme « un réseau ».

 Réseau : un « réseau » est un groupe constitué de deux individus ou plus, liés entre eux par de la communication ou des circonstances ordinaires. Un réseau se distingue d’une cellule (groupement de personne) en ce que le réseau ne travaille pas à un objectif commun distinct, même si tous ses membres peuvent, idéologiquement, soutenir un but commun. Toutes les associations d’individus peuvent normalement être décrites en termes de réseaux multiples. (FBI, op. cit., p.8)

Les citoyens seraient naïfs de croire que les termes repris dans le Lexique Analytique ne leur seront pas appliqués ou que les directives d’enquête actuelles du Bureau ne deviendront pas la base d’une nouvelle politique qui mène une chasse aux sorcières dirigée contre les Américains.

Ainsi que nous l’avons constaté durant ces huit longues et sombres années de l’administration Bush, les machinations géopolitiques de la classe dirigeante des EU n’ont rien produit d’autre que du désastre et de la souffrance.
De l’Afghanistan à l’Irak et de l’Ouragan Katrina au cauchemar en cours que représente « l’Ouragan Amérique » sous la forme des 700 milliards de dollars de renflouage de Wall Street, les élites dirigeantes feront tout ce qui est en leur pouvoir pour « faire marcher au pas la populace. »

Dans une culture politique de ce type, nous sommes tous devenus « suspects. »

http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=11128

Article original en anglais, Pointing the US Surveillance Apparatus at the American PeopleNew categories of individuals under the purview of state "counterterrorism" investigations, publié le 1er novembre 2008.

Traduit par Anne Bienfait pour Investig’Action (version française publiée sur le site de Michel Collon).