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Tarnac ou les fantasmes du pouvoir

Publie le mardi 20 janvier 2009 par Open-Publishing
6 commentaires

(Dans Paris traîne ces jours-ci une affiche signé du Comité invisible qui proclame : "Incarcérez ! Incarcérez ! Et vos prisons deviendront bientôt nos plus belles universités !")

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Le Monde, 20 janvier 2009

J’ai été mise en examen et mise sous contrôle judiciaire suite aux arrestations du 11 novembre 2008. Sur les neuf personnes inculpées, Julien [Coupat] reste encore incarcéré. L’appel pour sa libération aura lieu dans les jours à venir. A nouveau l’attente. Le lent dégonflement de l’affaire continue, et une nouvelle étape a été franchie, vendredi 16 janvier, avec la sortie d’Yildune [Lévy]. Il en faudra d’autres.

Cette triste affaire aura au moins rappelé l’obsession du pouvoir : écraser tout ce qui s’organise et vit hors de ses normes.

Je ne voudrais pas qu’on puisse prendre cette histoire comme un événement isolé. Ce qui nous est arrivé est arrivé à d’autres, et peut arriver encore.

6h40 : braquée dans mon lit. Cagoulés, des hommes de la sous-direction de la lutte antiterroriste (SDAT) cherchent désespérément des armes en hurlant. Menottée sur une chaise, j’attends la fin des perquisitions, ballet absurde, pendant des heures, d’objets ordinaires mis sous scellés. Sachez-le, si cela vous arrive, ils embarquent tout le matériel informatique, vos brosses à dents pour les traces ADN, vos draps pour savoir avec qui vous dormez.

Après plus de huit heures de perquisition, ils me chargent dans une voiture. Direction : Paris-Levallois-Perret. Les journalistes cernent le village. Personne ne pourra manquer d’admirer le spectacle de la police en action, et les moyens imposants du ministère de l’intérieur quand il s’agit de sécuriser le territoire. Quand cinq flics arrêtent un type, ça peut sembler arbitraire, quand ils sont 150 et avec des cagoules, ça a l’air sérieux, c’est l’état d’urgence. La présence des journalistes fait partie de la même logique. Ce qui s’est passé là, comme les arrestations à Villiers-le-Bel, ce n’est pas un dérapage, c’est une méthode.

Levallois-Perret, locaux de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) et de la SDAT. Des préfabriqués sur trois étages, superposition de cellules spéciales, caméras panoptiques braquées en permanence sur toi. Quatre-vingt-seize heures de garde à vue. Mais le temps n’est vite plus un repère. Ni heure ni lumière du jour. Je ne sais pas combien de personnes ont été arrêtées. Je sais seulement, après notre arrivée, les motifs de mon arrestation.

Les interrogatoires s’enchaînent. Une fois huit heures sans pause, va-et-vient de nouveaux officiers qui se relaient. Mauvaises blagues, pressions, menaces : "Ta mère est la dixième personne mise en garde à vue dans le cadre de l’opération Taïga, on va la mettre en détention", "Tu ne reverras plus ta fille". Leur bassesse n’est pas une surprise. Ils me questionnaient sur tout : "Comment vivez-vous ?", "Comment êtes-vous organisés pour manger ?", "Est-ce que tu écris ?", "Qu’est-ce que tu lis ?" Ils voulaient des aveux pour donner corps à leur fantasme de cellule terroriste imaginaire.

Un des officiers de la police judiciaire (PJ) m’a annoncé, lors de la perquisition : "Nous sommes ennemis." Ennemis peut-être, mais nous ne sommes pas leur reflet. Il n’y a jamais eu de cellule invisible, et nous n’avons que faire de "chefs" et de "bras droits". La police croit toujours que ce qu’elle traque est organisé à son image, comme en d’autres temps, où elle brandissait le spectre du syndicat du crime.

Un gendarme me lit un communiqué allemand, diffusé le 10 novembre en Allemagne, qui revendique les sabotages dans le cadre d’une action antinucléaire. Sabotages dont ils veulent nous accuser. Le communiqué apparaîtra dans le rapport de la SDAT transmis à la presse dès la première semaine, puis sera quasiment oublié.

Au bout de trois jours, un avocat peut venir assister le prévenu retenu sous le coup d’une procédure antiterroriste. Trois jours pendant lesquels tu n’es au courant de rien d’autre que de ce que la police veut bien te dire, c’est-à-dire rien ou des mensonges. Alors oui, ce fut vraiment un soulagement quand on m’a annoncé que je pouvais voir mon avocate. Enfin des nouvelles de ma fille et de l’ampleur médiatique de l’affaire. Nouvelles aussi du village et du comité de soutien créé dans les premiers jours qui ont suivi l’arrestation.

Puis ce fut le dépôt (lieu de détention avant de comparaître devant le juge). Là s’entassent des centaines d’hommes et de femmes dans la crasse et l’attente. Une pensée pour Kafka dans le dédale de la souricière, infinité de couloirs gris et humides dont les portes s’ouvrent sur les rutilantes salles d’audience. Je suis amenée jusqu’aux galeries toutes neuves de la section antiterroriste pour comparaître devant le juge d’instruction. Puis la prison.

Fleury-Mérogis – la plus grande d’Europe. Tous les charognards gardent cette prison, pigeons, corneilles, mouettes et de nombreux rats. Nous y sommes arrivées, Manon (Gilbert), Yildune et moi en tant que détenues particulièrement surveillées (DPS), ce qui implique des mesures de surveillance plus soutenues, comme, d’être chaque nuit réveillées toutes les deux heures, lumières allumées et sommées de faire signe. Fouilles intensives et répétées. Ce statut, seules les prisonnières politiques basques l’ont à Fleury, et Isa l’avait eu aussi, en détention depuis bientôt un an sous le coup d’une procédure antiterroriste [cette personne est soupçonnée d’avoir posé un explosif sous une dépanneuse de la Préfecture de police de Paris, en mai 2007]. Les fouilles au corps, le mitard, les petites humiliations, le froid et la nourriture dégueulasse : le quotidien de la prison est fait pour écraser.

Par un concours de circonstances favorables, Manon et moi sommes sorties assez rapidement. Circonstances favorables, c’est-à-dire : nous sommes blanches, issues de la classe moyenne, ayant eu l’opportunité de faire des études ; grâce aussi à la multiplication des comités de soutien. Et puis, il y avait l’actualité, marquée par des événements révélateurs du climat politique actuel qui ne sont pas passés inaperçus (par exemple cette descente policière musclée dans un collège).

Je dis "rapidement", par rapport aux détentions préventives qui durent, pour la plupart, des mois et des années. Qui durent, notamment, pour ceux pour qui ne jouent jamais ces "circonstances favorables". La plupart immigrés, voués au mépris de la police et des magistrats.

Mais ce qui est encore séparé au-dehors arrive à se reconnaître entre les murs de la prison. Des solidarités se nouent dans l’évidence d’une hostilité commune. La radicalisation de la situation amène de plus en plus de gens à subir la répression et la détention. Des rafles dans les banlieues aux peines de plus en plus nombreuses pour des grévistes ou des manifestants lors de mouvements sociaux.

Finalement, la prison est peut-être en passe de devenir un des rares lieux où s’opère la jonction tant redoutée par M. Sarkozy : "S’il y avait une connexion entre les étudiants et les banlieues, tout serait possible. Y compris une explosion généralisée et une fin de quinquennat épouvantable", avait-il dit en 2006.

Gabrielle Hallez, mise en examen dans l’affaire de Tarnac

Messages

  • Honte à notre police anti-terroriste .....Je suis triste de voir que Bush-Cheney font des émules au pays des libertés ..La bourgeoisie est devenue folle avec Sarkozy-Bonaparte .J’espère que l’immense majorité des policiers sont conscients d’être au service de la république et non pas d’une caste bourgeoise parvenue .Le carrièrisme dans la police explique parfois ces attitudes de sauvages fascisants .J’ai honte de vivre dans un pays qui renie ses principes,même au nom de la lutte anti-terroriste .Mais qui peut s’étonner de ces faits en ces temps de lutte de classes intenses .

    Le Serpenseur

    • La bourgeoise a peu à voir avec les agissements des tristes guignols qui nous gouvernent, la vraie bourgeoisie en tous les cas. Par contre, les nouveaux de la trempe du c... dégénéré qui se trouve encore... (pour combien de temps ?...) à la tête de notre pauvre pays ont une lourde responsabilité dans ce qui arrive. Avec elle, la nuée des classes moyennes ou pis, des classes populaires qui veulent faire comme les riches en les singeant, sans penser un instant qu’ils passent pour de fieffés imbéciles... en raison de leur participation sinon consciente, tout du moins bien réelle à leur propre asservissement en sont les principaux responsables. en premier lieu, le jour où ils ont voté contre leurs propres intérêts de classe. J’ai faitde même, animé d’un fort sentiment de solidarité devant l’absurdité d’un système qui court à sa perte... C’est un comble !! lol

      Un anarchiste bourgeois.

  • Police anti terroriste,je rigole.Il s enbastillent des gens sans preuve,alors si ils sont terroristes,moi je suis soeur sourire......momo11

  • Et euh, moi, c’est à dire, on m’a enfermé aussi, mais sans procédure judiciaire aucune, car j’ai eu droit aux joyeusetés de l’hôpital psychiatrique ( le réveil dans la nuit et l’obligation de faire un signe notamment, l’impossibilité de parler à qui que ce soit d’extérieur pendant trois jours aussi, et puis les interrogatoires pervers où tu peux jamais t’en sortir quoique tu puisses dire ). Bref. Mes questions sont :

     Suis-je pareil que vous de Tarnac, mais isolé, une victime du grand système répressif normatif méchant bouh bouh, ou simplement j’ai perdu la tête quand j’ai cru dur comme fer que mon sage grand-père devait être désigné illico président de la République si on ne voulait pas que le monde aille sans rémission à son apocalypse finale ?

     La jonction schizophrènes-étudiants-banlieusards n’est-elle pas aussi nécessaire/dangereuse-pour-le-régime, même si les fous j’avoue s’occupent généralement assez peu d’insurrection ?

     Personnellement je me sens solidaire à l’anarcho-autonomie la bien-nommée, mais je crains toujours que ce soit pathologique au niveau de mon psychiatre à Saint-Anne. Ne serait-il donc pas souhaitable, d’un point de vue stratégique, que le système criminalise la nosographie psychiatrique, histoire que je me retrouve pas comme un con en HP tandis que les avant-gardistes feront leur université à Fleury ?

     Cette dernière question m’interroge fortement sur mon statut et mon histoire : Suis-je rien qu’un petit bourgeois décadent et l’HP la répression gentille des petits bourgeois décadents, ou bien j’ai quand même des potentialités de subversion ?

    Dans l’attente vaine que je sois beau à vos yeux, je vous prie d’agréer, copains copines, mes pires petits bisous dans vos parties charnues ( comme dirait Sébastien Fontenelle ).

  • Et bien chapeau a toi gabrielle,moi je pense k j’aurais reagis autrement,j’aurais été moins pedagogue,ca m’aurait surement couté cher,mais la liberté n’a pas de prix,vive la liberté d’expression,et vivement k les droits de l’homme et le respect de l’etre humain soit enfin appliqués dans notre republique,mais que dis je republique,non excusez moi,nous sommes en pleine sarkocratie