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La France gardée à vue

Publie le jeudi 5 février 2009 par Open-Publishing
5 commentaires

de Yves Bordenave, Isabelle Mandraud, Alain Salles et Laetitia Van Eeckhout

Jean L. tient à garder l’anonymat. Mardi 1er avril 2008, ce polytechnicien de 56 ans résidant dans le 16e arrondissement de Paris, consultant en management, va chercher sa fille âgée de 9 ans à la sortie de l’école, en voiture. Il s’engage dans une rue bouchée par un camion. Se rendant compte qu’il ne sera pas à l’heure, il empoigne alors son téléphone portable pour prévenir sa mère. "J’avais bien vu qu’il y avait une escouade de policiers en train de verbaliser des voitures mal garées, raconte-t-il. Mais j’étais arrêté et une policière m’a sauté dessus en hurlant".

Jean L. n’insiste pas, il lâche son téléphone et repart dans une autre direction. "Au bout de quelques mètres, dit-il, je me suis aperçu que la policière courait à côté. Derrière moi, des policiers ont jailli de leur véhicule. Ils m’ont braqué une arme sur le front. J’ai eu peur, j’ai bloqué les portières." Mal lui en a pris. La policière fait voler en éclats sa vitre avant-gauche avec sa matraque. Jean L. est saisi, plaqué au sol, menotté et placé en garde à vue 24 heures. "On était deux, dans une cellule de 3,50 m sur 3,50 m. Le problème, c’est qu’au fil de la nuit, on était douze..." Son procès a eu lieu début janvier. Il est accusé d’avoir téléphoné au volant, de refus d’obtempérer, de délit de fuite et de rébellion.

Jean-Claude Lenoir, 57 ans, vice-président de Salam, une association venant en aide aux migrants à Calais, est placé en garde à vue le 8 novembre 2008, lors d’une vaste interpellation de clandestins sur le port. Les policiers, qui lui ont "constamment aboyé dessus, faisaient les questions et les réponses, ne voulaient pas noter ce que je disais." Libéré à l’issue des 24 heures, M. Lenoir est convoqué au tribunal, le 25 février, pour "outrage à agents".

Pierre Lauret, 51 ans professeur de philosophie, fait l’expérience de la garde à vue le 16 décembre 2008. Alors qu’il embarque à bord d’un avion pour se rendre à un congrès à Kinshasa (République démocratique du Congo), il demande à des policiers la raison pour laquelle un passager africain est menotté. Les autres passagers de l’avion protestent également. M. Lauret est débarqué et placé en garde à vue : menottage, fouille au corps, audition, mise en cellule. Il doit comparaître le 4 mars devant le tribunal correctionnel pour "opposition à une mesure de reconduite à la frontière et entrave à la circulation d’un aéronef".

Esthéticienne à Beaumont, dans le Puy-de-Dôme, Joëlle Béchar, 58 ans, passe plus de huit heures en garde à vue lundi 1er décembre 2008. Ancienne Meilleure ouvrière de France, cette femme est traumatisée d’avoir été "entièrement déshabillée", puis placée toute une journée "comme une criminelle" dans une pièce empestant "l’urine et le vomi". Pour avoir utilisé une technique dépilatoire interdite, et à la suite de la plainte d’une cliente victime de brûlures, Mme Béchar est l’objet d’une enquête pour "blessures involontaires" et "exercice illégal de la médecine". La garde à vue s’imposait-elle ? Le parquet de Clermont-Ferrand convient avoir "mis fin à la garde à vue dès qu’il en a eu connaissance".

Le 19 janvier, Pascal Besuelle, professeur d’histoire à Cherbourg et militant à la Fédération syndicale unitaire (FSU), est convoqué "pour affaire le concernant" au commissariat. A peine arrivé, un policier lui signifie qu’il est en garde à vue et transféré dans la foulée à Saint-Lô, où il doit être entendu. Le 12 janvier, lors de la venue dans cette ville du président de la République, M. Besuelle avait participé à une manifestation émaillée d’incidents avec les forces de l’ordre. Aucune charge n’a été retenue contre lui, mais M. Besuelle a passé une partie de la journée dans les locaux de la police.

En 2008, 577 816 personnes, résidantes en France et âgées de plus de 13 ans, ont ainsi entendu un officier de police judiciaire leur notifier leurs droits : "Vous êtes en garde à vue. Vous pouvez appeler un membre de votre famille et demander à voir un avocat." Le nombre des gardés à vue ne cesse de croître. Il a enregistré une hausse de près de 55 % en huit ans. Au cours des douze derniers mois, c’est 1 % de la population qui a été placée sous ce régime de contrainte, pour lequel les policiers répondent d’objectifs de performance chiffrés.

Jeunes habitants des quartiers difficiles, infirmières, syndicalistes, agriculteurs, étrangers en situation irrégulière, enseignants... la garde à vue concerne toutes les catégories de la population. Tout contrevenant ou suspect peut être placé sous ce statut, les (nombreux) conducteurs contrôlés avec un taux d’alcoolémie égal ou supérieur à 0,8 % au même titre que les trafiquants de stupéfiants.

Dans la période récente, les militants associatifs et syndicaux, mais aussi les journalistes, ont été visés. Le 28 novembre 2008, le placement au dépôt du Palais de justice de Paris (sans pour autant être sous le statut de la garde à vue) de l’ancien directeur de Libération, Vittorio de Filippis, dans une affaire de diffamation, a provoqué un vif débat. Le 5 décembre 2007, le journaliste Guillaume Dasquié avait subi 36 heures de garde à vue au siège de la direction centrale du renseignement intérieur, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), et avait été pressé de révéler ses sources. Un article sur Al-Qaida publié dans Le Monde le 17 avril 2007 lui a valu d’être interpellé à son domicile. "(A) 8 h 20, coups de sonnette à la porte, a-t-il raconté (Le Monde du 27 décembre 2007). "Direction de la surveillance du territoire, vous êtes en garde à vue, compromission de la sécurité nationale"."

Cette privation de liberté procède de la décision d’un officier de police judiciaire dès lors qu’existent, selon lui, "une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que (ces personnes aient) commis ou tenté de commettre une infraction". Tels sont les mots de l’article 63 du code de procédure pénale. La garde à vue peut durer 24 heures - c’est le cas de la majorité d’entre elles. Elle peut aller jusqu’à 96 heures dans les affaires considérées d’emblée comme de la criminalité organisée, et même 144 heures en matière de terrorisme. Elle doit être prolongée par le procureur.

Assiste-t-on à un excès de zèle généralisé ? Secrétaire générale de FO-Magistrats, vice-procureur au tribunal de Paris, Naïma Rudloff le déplore : "On place plus en garde à vue qu’avant, surtout pour les contentieux à la mode. On a poussé la situation jusqu’à l’absurde." Certains y voient une simple formalité qui permet aux policiers d’instaurer un cadre juridique au moment d’interroger un individu, tout en garantissant des droits à ce dernier. "Sûrement pas !", s’indigne l’avocat Matthieu Barbé.

Habitué des permanences de nuit au barreau de Paris, celui-ci évoque l’atteinte à la dignité des personnes retenues dans des locaux "crasseux" où les odeurs "de pisse le disputent à celles de vomis". Au commissariat de Versailles, les couvertures qu’on donne aux personnes interpellées "sont couvertes de merde". "Elles n’ont jamais été lavées", affirme cet avocat qui fut élu (UMP) de cette ville.

Selon Me Barbé, la garde à vue est "une forme d’enfermement qui vise à exercer des pressions" sur une personne "affaiblie". En témoigne, selon lui, l’exemple de Jean-Luc Bubert, professeur de physique au collège César-Savart de Saint-Michel (Aisne), retrouvé pendu à son domicile, le 19 septembre 2008. La veille, le père d’un élève de 15 ans avait déposé plainte contre lui pour violence. Convoqué à la gendarmerie, M. Bubert avait été placé en garde à vue pendant toute une journée. Il avait nié les faits avant d’être relâché.

Les avocats, appelés dans la première heure, ne disposent d’aucun pouvoir dans ce cadre. "L’entretien que nous avons avec le client ne doit pas dépasser trente minutes et ne porte que sur la procédure, explique Me Antoine Aussedat, avocat au barreau de Paris. Nous n’avons pas accès au dossier. Les personnes que nous rencontrons à cette occasion sont souvent apeurées, perdues. Elles ne comprennent pas ce qui leur arrive."

Philippe Raphaël, énarque, chargé de mission au Conseil d’Etat, témoigne du choc subi. Le 29 juin 2007, il a été placé en garde à vue au commissariat du 5e arrondissement de Paris, à la suite d’une plainte pour harcèlement moral qui lui a valu, depuis, une condamnation.

"Je me présente au commissariat, se souvient-il. Le policier m’invective. Après une fouille au corps, on me place en garde à vue dans une cellule, avec du vomi par terre." Comme il se met à saigner du nez, il est envoyé à l’Hôtel-Dieu. "J’atterris dans une cellule avec des barreaux, où on me demande de retirer mes vêtements." Peu après son arrivée, il a été mis en examen par une juge d’instruction de permanence. "C’était une humiliation, assure son avocat, Me Serge Lewisch. Il était revêtu d’une robe de chambre sale, sans ceinture, en slip."

http://www.lemonde.fr/societe/artic...

Messages

  • eh oui, monsieur tout-le-monde decouvre que nous vivions depuis longtemps dans un régime policier...

    Les jeunes et les arabes nous le disent depuis 20 ans

  • Voilà la réalité du sarkozysme !

    Un seul conseil : accepter le médecin, l’avocat et d’avertir quelqu’un.

    Pour le reste, faire une croix sur ses principes républicains (présomption d’innocence, respect du citoyen...), ne rien signer ou dire malgré les pressions et patienter dans la crasse et la puanteur de la cellule.

  • police=milice
    écoutez le CD de trust,çà se passe de commentaires.

  • Je le répèterai jusqu’à ce que ça change ou jusqu’à ce que j’en sois devenu gâteux :

    J’ai été cambriolé en 2004 et jattends toujours que l’enquête commence.

    Les citoyens honnêtes qui se croient en démocratie et ouvrent leur gueule, c’est plus facile à traquer que les vrais malfaiteurs.

    C’est plus vite fait d’engranger pour 1000 euros d’amendes aux endroits les moins dangereux de nos routes que de retrouver pour 1000 euros d’objets volés.

    Les policiers ont des ordres, mais ils ont aussi des syndicats. On aimerait les entendre gueuler contre ces autorités qui les occupent à autre chose qu’à leur vraie fonction.

    Il n’ont rien à y perdre et beaucoup de respect à y gagner.

  • Gros problème, la police aujourd’hui.

    Remontée comme une pendule par le pyromanne national, la grande majorité pense qu’immobiliser, frapper, baillonner et éjecter constituent leurs taches fondamentales de policiers.

    Malheureusement, que les hommes en bleu font là, c’est du travail de mauvais vigile, brûtal et arrogant, pour servir les ordres d’un Etat autoritaire. Il faut le leur dire de plus en plus fort, leur faire comprendre qu’ils vont à rebours de leur véritable raison d’être, et qu’ils ne gagneront pas car la cocotte-minute en face sera de plus en plus explosive, d’autant qu’elle est incomparablement plus nombreuse.

    A moins évidemment d’en venir à un ordre supérieur de répression qui utiliserait des stratégies et tactiques de guerre contre sa propre population, avec matériels militaires. Otez-moi d’un doute : le drone n’est-il pas un matériel militaire ?..Nous passerions à une France en dictature. Il semble qu’il y ait dans ce gouvernement même de vrais types d’extrême-droite, admirateurs de petits nazillons passés tout prêt des douze balles dans la peau après-guerre. Il n’empêche que pour l’heure la démocratie dans ses aspects fondamentaux à l’air de tenir, mais elle est malmenée jusqu’aux limites par ce gouvernement. Le peuple français le constate, mieux il commence à le déplorer et le refuser en masse, tant les coups sur l’Etat de droit s’accompagnent d’une rigueur économique dont les cibles sont encore et toujours les plus pauvres, pour des résultats inexistants, et de privilèges, passe-droits et autres services totalement innaceptable pour une majorité de français déprimés, effrayé, exaspérés.

    La police ne peut être tolérée, acceptée - c’est quand même un métier qui ne sera jamais valorisé, aimé, puisqu’il consiste priver de liberté, à réprimer, voire à punir d’autres humains - que si elle se donne une dimension de réflexion et de distance lucide et positive par rapport à son action, devant les citoyens qu’elle est censée protéger.

    Aujourd’hui, elle opprime dans un esprit apparent de violence froide. Ici se conjuguent la stratégie de choc qu’on devine donnée comme norme, et une composante d’addition toute chaude, livrée à ceux qui se permettaient de ne pas apprécier la police, de la moquer et de l’affronter même, à ciel ouvert, dans la démocratie plus épanouie régnant il y a encore quelques années.

    La composante fondamentale du système oppressif en développement aujourd’hui reste quand même fixé par les objectifs, le comportement des politiques et des acteurs économiques gravitant autour de ce qui, en plus d’être un carcan sociétal, s’avère constituer un juteux pactole.

    Au départ de la Sarkuritaire inflexion, quelques éléments idéologico-affectifs et économiques.

    La paranoïa des élites, leur volonté de faire tourner le commerce sécuritaire (et d’en profiter ?), les ambitions prêtes à tout de certains comme Baueur et d’autres hystérique du Sarkuritaire, les pulsions de certains policiers qui ne sont pas assez contrôlés, maîtrisés, triés, - ces gens ont des armes qui tuent, on semble l’oublier - et surtout l’opportunisme écoeurant pratiqué par nombre d’élus qui crient au loup au moindre fait divers, pour s’acheter du client électoral, pour détourner les yeux des problèmes qu’ils ne traitent, pour occulter les combinazionnne qu’ils pratiquent avec les entreprises de sécurité, dans un esprit venu tout droit de l’Amérikke de Bush, telle que nous l’a décrite Naomi Klein dans ce livre important qu’est "La stratégie du choc".

    Soleil Sombre