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Sabiha AHMINE : Pour la Mémoire de Charonne et du 17 octobre

Publie le lundi 16 février 2009 par Open-Publishing
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A une semaine du 8 février, il est important de ne pas oublier les victimes de Charonne, pour notre mémoire commune et pour la Paix en Europe et dans le monde. Note de Sabiha AHMINE :

L’histoire du Métro Charonne est une partie de notre histoire sociale commune. Elle évoque pour nous une page noire de notre mémoire, celle du sort tragique d’une des manifestations pacifiques pour la paix et contre la guerre.

Rappeler Charonne aujourd’hui, c’est dire combien le combat pacifique de nos anciens, sans divisions et sans repli, a été déterminant.

Même si la guerre d’Algérie fait partie de sujets difficiles, ce combat représente pour nous la poursuite du projet humaniste de la résistance, celui de transformation sociale pour l’égalité citoyenne, la liberté, la paix et pour la défense des valeurs de la république contre le mépris, contre la guerre et l’exploitation. 47 ans plus tard, en incitant à commémorer cette même mémoire commune, sans divisions, nous voulons inciter à mieux défendre nos acquis. Charonne comme octobre ont toujours besoin de reconnaissance pour être mieux renforcée et pour mieux défendre nos libertés.

8 personnes meurent écrasées autour de la Bastille et la République

C’était en février 1962, la fin de la guerre d’Algérie est imminente. Les opinions publiques nationales et internationales sont prêtent à accorder à l’Algérie son indépendance. Seule l’OAS y est opposée et le fait savoir violemment, avec des attentats cruels, entretenant un climat de peur, de violence, qui ont fait plusieurs victimes en France et en Algérie. Le 7 février 1962, un attentat vise André Malraux et blesse au visage une fillette de 4 ans. Le 8 février, à l’appel du PSU, du PC et plusieurs autres organisations syndicales, politiques, étudiantes, une manifestation pour la paix, contre la guerre en Algérie, et contre l’OAS, est organisée à Paris autour de la place de la Bastille et la République. Le préfet Maurice Papon donne l’ordre de réprimer cette manifestation, à l’instar de la répression du 17 octobre 1961 (où des centaines d’algériens sont tués à Paris et en banlieue). Les CRS chargent les manifestants qui s’engouffrent dans une bouche de métro fermée, station Charonne. 8 personnes meurent écrasées contre les grilles. On dénombre une centaine de blessés.

Liste des victimes de Charonne : qui étaient toutes à la CGT et, à une exception près, membres du Parti communiste

Jean-Pierre Bernard, 30 ans, dessinateur
Fanny Dewerpe, 31 ans, secrétaire
Daniel Féry, 15 ans, apprenti
Anne Godeau, 24 ans, employée PTT
Édouard Lemarchand, 41 ans, menuisier
Suzanne Martorell, 36 ans, employée à l’Humanité
Hippolyte Pina, 58 ans, maçon
Raymond Wintgens, 44 ans, typographe
Maurice Pochard (décédé à l’hôpital), 48 ans
Plusieurs autres dizaines (voir des centaines) de blessés étant par ailleurs dénombrés.
Reconnaissance : les martyrs de Charonne et d’octobre doivent avoir leur place à Paris et dans nos villes

Les martyrs de Charonne et d’octobre doivent avoir leur place à Paris et dans nos villes.

En dépit des difficultés et des calcules mercantiles, cette reconnaissance est en train de suivre sa voie républicaine. En 2007, la place du 8 février 1962 a été inaugurée jeudi, au métro Charonne, à Paris. Après la place du 17 octobre 1961, la place Maurice Audin et la Place Abdelkader, Paris reconnaît une fois de plus « les crimes d’Etat que l’Etat se refuse à reconnaître ». A Lyon, c’est Sabiha AHMINE, ancienne adjointe au maire de Lyon, conseillère régionale de Rhône-Alpes et présidente du CHRD qui, avec la société civile lyonnaise, a mené depuis 2001 ce combat de reconnaissance, qui c’est couronnée par la création du square Abdelkader en septembre 2008.

Voici un extrait d’une des interventions de Mme Sabiha AHMINE :

« Le 17 octobre ou l’effacement de notre mémoire

Pour la quatrième année consécutive, la ville de Lyon commémore officiellement, avec la société civile et l’ensemble des démocrates de notre pays, les événements du 17 octobre 1961.

Il s’agit là d’un hommage citoyen et républicain, un engagement clair de notre part pour défendre la mémoire et la dignité de ces dizaines de milliers de travailleurs algériens et leurs familles qui manifestaient pacifiquement à Paris contre le couvre-feu raciste qui leur était imposé. Leur seule faute était de défendre leur droit à l’égalité, à l’indépendance et le droit des peuples colonisés à disposer d’eux-mêmes. Tous les historiens reconnaissent que l’action des forces de l’ordre que dirigeait M. Papon fut d’une extrême violence. Pour la comprendre, il faut remonter beaucoup plus loin, en amont, et étudier les méthodes répressives, forgées en Algérie et dans d’autres contextes coloniaux, avant leur application en région parisienne. Aujourd’hui, c’est au nom des valeurs de la République que nous exigeons reconnaissance et justice pour les familles de ces disparus qui furent tués par des policiers relevant de l’autorité publique de l’État français. Alors que

le groupe communiste au Sénat vient de déposer, le 12 octobre 2006, un projet de loi pour que la France puisse « reconnaître ce massacre », il n’y a toujours pas de véritable prise de conscience républicaine de l’ampleur de ce drame colonialiste, de son impact sur la jeunesse. En effet, pourquoi cet inexplicable silence officiel qui occulte notre devoir de mémoire et discrédite, aux yeux de la jeunesse, notre conception de la République ? La réponse est simple : faire l’histoire du 17 octobre, c’est faire l’histoire de toute la répression coloniale, ce que la loi du 23 février 2005 a tenté d’interdire… Invité au Centre d’histoire de la Résistance et de la déportation de Lyon, dont je suis la présidente, l’historien anglais Jim House, nous explique comment

la disparition rapide de la visibilité de cette répression, dès novembre 1961, de notre mémoire commune, fait partie d’une interrogation plus large qui touche aux stratégies mémorielles institutionnelles. Il s’agit d’un effacement programmé d’une mémoire interdite. M. House explique dans ses travaux comment des manifestants, témoins de l’événement, ont été obligés pendant longtemps « de garder le silence dans un contexte politique, social et culturel peu propice à la prise de parole publique, voire à la transmission familiale, avant que d’autres générations ne se réapproprient cet événement qui va "renaître" dans les années 1980 dans un tout autre contexte ». Aujourd’hui, comme nous l’explique l’Appel de l’égalité d’abord, qui vient d’être lancé à l’Assemblée nationale,

il est urgent de faire de la reconnaissance et du partage de l’ensemble des mémoires de toutes les populations vivant sur notre sol, une des prérogatives de notre combat contre les discriminations. Car ce sont les colonialistes et leurs alliés antirépublicains qui, avec tous les moyens, ont empêché hier l’émergence de cette vérité du 17 octobre et veulent aujourd’hui avec des mensonges et autres moyens nous interdire de manifester contre leurs crimes.

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