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Paris : Ouvriers turcs en grève pour toucher leurs salaires

Publie le vendredi 16 juillet 2004 par Open-Publishing

Têtes de Turcs chez Bouygues

Des ouvriers venus de Turquie travailler sur un chantier de Bouygues sont en grève pour toucher leurs salaires au coeur de Paris.

de Thomas Lemahieu

Devant le futur siège du quotidien le Monde, boulevard Blanqui, dans le 13e arrondissement de Paris, la CGT organisait, mardi midi, une conférence de presse et un piquet d’information pour les ouvriers du chantier dont Bouygues Bâtiment est le maître d’ouvrage. Depuis le 28 juin, des ouvriers venus spécialement de Turquie ont arrêté le travail : arrivés fin avril, ils réclament le paiement de leurs salaires ainsi que le respect de la législation française sur les conditions et le temps de travail. Alors que les ouvriers quittent le chantier pour casser la croûte, les sept grévistes aperçoivent deux de leurs copains perchés sur un échafaudage. Ils enlèvent
leur casque, s’apprêtent à manger là. D’en bas, les grévistes les invitent à
descendre. Geste d’impuissance des deux Turcs restés sur le chantier : " Qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse ? " " On nous apporte la nourriture à l’intérieur, raconte un des grévistes. Ça permet d’aller plus vite pour recommencer à travailler.

Tous les autres salariés ont des bouteilles d’eau, mais nous, quand on a demandé à notre chef de l’eau, il nous a répondu qu’on avait l’eau courante sur le chantier, qu ’on n’avait qu’à boire celle-là. "

D’après les témoignages des plus déterminés, la vingtaine d’ouvriers turcs, salariés d’une entreprise d’Istanbul spécialisée dans l’armature des fenêtres (Metal Yapi), ont signé un contrat de travail avant leur arrivée en France : ce document, qu’on refuse de leur remettre, leur garantit une prime mensuelle " de détachement " de 1 450 euros net en plus de leur rémunération habituelle en Turquie (entre 250 et 400 euros). Or, jusqu’à présent, en France, ils n’ont touché que quelques dizaines d’ euros en liquide. Tout ça pour douze heures de travail quotidiennes, six jours sur sept, depuis le 29 avril ! " On est toujours les derniers sur le chantier le soir, explique un ouvrier. On termine à 20 heures normalement. Vous savez, il faut trois
quarts d’heure pour mettre une vitre et, à 19 h 45, ils nous disent qu’il reste une vitre à fixer. Ça fait qu’on termine à 20 h 30. " Un autre complète : " Le samedi, ce sont les agents de sécurité sur le chantier qui nous font dégager ! "

Depuis leur entrée en grève, les ouvriers turcs, sans un sou, subissent des pressions
phénoménales : on leur a interdit l’accès au camping de Champigny où ils dorment dans
des bungalows, refusé de les nourrir et, en Turquie, les cadres de Metal Yapi
appellent les proches. " Ils ont téléphoné à ma femme pour lui dire que je faisais n’
importe quoi, que je voulais rester en France pour vivre avec toutes les femmes ",
témoigne l’un d’entre eux. Les chefs turcs présents sur le chantier essaient de "
régler l’affaire entre Turcs " : ce que refusent évidemment les grévistes, soutenus
par la CGT. Pour l’heure, comme la direction du Monde alertée depuis vendredi par les
ouvriers du Livre CGT, Bouygues fait le dos rond et se défausse sur son sous-traitant
turc. C’est pourtant bien Bouygues Bâtiment qui a demandé à la direction
départementale du travail des Yvelines - et obtenu dans le temps record de deux jours
ouvrés - les autorisations de travail de six mois pour les salariés de l’entreprise
turque Metal Yapi.

Pour Bernard Pracht, responsable pour la CGT de la coordination interfédérale du
groupe Bouygues, cette affaire est plus qu’emblématique du " prêt de main-d’éuvre "
en faveur du " moins-disant " social : il y a, à ses yeux, " abus et violation de la
législation en vigueur concernant la rémunération au regard du salaire minimum
français pour 35 heures, les horaires de travail, le non-paiement des heures
supplémentaires, le non-respect des repos compensateurs et hebdomadaires et les
conditions de travail, d’hygiène et de sécurité sur le chantier ". " On connaissait l
’histoire des Indiens sur les chantiers à Saint-Nazaire, et en voici une autre,
poursuit Bernard Pracht. C’est une honte. Pour la CGT, il n’y a pas dans cette
affaire un conflit mineur qui serait dû à une incompréhension totale entre les
différentes parties en présence. Il s’agit de méthodes délibérées et condamnables au
regard de la législation française et européenne employées par les plus hauts
dirigeants de Bouygues. " Pour faire valoir le droit, les grévistes soutenus par la
CGT s’apprêtent à lancer des procédures en référé.

L’Humanité