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Pavés contre grenades, Saint-Nazaire n’a pas fait le poids

Publie le samedi 21 mars 2009 par Open-Publishing
10 commentaires

de Rhuyzar

14h. Place de l’Amérique Latine, sur l’esplanade faisant face à l’aberration architecturale et idéologique qu’est le Ruban Bleu. Même lieu que le 29 Janvier. Même foule, et pourtant, nous savions que ce ne serait pas pareil.

Nous en avions parlé de ce jour, et nous l’avions attendu. Après la lutte dans les rues, nous étions surs que les forces de l’ordre seraient présentes en nombre. Plutôt que d’écouter la colère des gens qui ne se retrouvent plus dans cette société, on préfère dépêcher les CRS. Eux au moins ne revendiquent pas. Ils cognent, ils tirent et ils partagent le sentiment de nos élites sur ces voyous cagoulés et ces manifestations néfastes aux bons citoyens qui s’en vont travailler.

Comme la dernière fois, les représentants syndicaux, massés sur la passerelle à quelques mètres du sol, ont débité leurs revendications et leurs bons mots. Moins fiévreux, plus calmes peut-être, ils ont réclamé ce fameux pouvoir d’achat, cette croissance et insulté les patrons qui n’assument pas la crise provoquée par leurs soins. Je n’étais pas vraiment concerné.

Je ne suis pas syndiqué, et refuse de l’être. Je ne tiens pas à m’embarquer dans un mouvement qui ne représente pas mes idéaux, mes envies, mes visions. Je ne milite pas pour le pouvoir d’achat. Je ne vais pas défiler pour avoir le droit d’engraisser encore plus les grandes surfaces et légitimer un système où le droit d’exister se paye avec des bouts de papier. Je suis ici parce que j’en ai marre. Marre de cette société qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Marre de cette mascarade démocratique qui veut nous faire croire que le vote est la liberté. Marre de n’être pas écouté, de n’avoir aucun poids, aucun droit et de devoir me plier à des règles et des normes que je refuse de faire miennes. Marre d’un peu tout, disons-le, et je ne suis pas seul dans ce cas.

Après la parlotte, la marche. Le cortège se met en branle. Chacun se range sous ses drapeaux, avec sa profession. Surtout ne nous mélangeons pas, marchons ensemble mais pas côte à côte, faudrait voir à ne pas abuser. A vue d’œil je tablerais pour un chiffre oscillant entre 15.000 et 20.000 personnes. Comme la fois dernière. Une belle mobilisation, une belle présence, peut-être même renforcée par des déçus des mobilisations nantaises, qui ont préféré abandonner les cortèges de catholiques bien-pensant contre la vulgarité d’une ville ouvrière qui ne mâche pas ses mots.

Pour ma part je navigue entre les différents points. Je ne m’attache à aucun groupe. Je regarde, je scrute, je rigole, j’indique à quelques automobilistes arrêtés sur des rues transversales que le demi-tour est certainement la meilleure des options. Le cortège a remonté la rue Charles de Gaulle qui part de la sous-préfecture pour pénétrer dans l’artère principale de la ville, l’Avenue de la République. Nous tournerons ensuite par le Boulevard de la Liberté, pour revenir à notre point de départ, lieu choisi par les organisateurs, pour éviter les affrontements devant la sous-préfecture, où sont certainement massés les agents de l’Etat.

Autant le dire, durant la marche, je m’ennuie ferme. Les slogans me cassent les pieds, les voitures diffusant leur musique déprimante me cassent les oreilles, mais je reste tout de même. C’est l’art du compromis. Même si je trouve d’une bêtise crasse de réclamer des choses à un système conçu pour servir à une élite, je veux tout de même être présent et grossir les rangs des mécontents. Car si chacun, décidait de ne pas venir en raison de désaccords, alors il n’y aurait personne. Et c’est en marchant ensemble que les choses peuvent changer.

Retour devant le Ruban Bleu. Je rejoins des amis. Nous nous asseyons, discutons, essayons de nous retrouver, tandis que des responsables de la CGT font leur possible pour disperser tout les arrivants. Ils ne s’en sortent pas mal avec les enseignants, les infirmières ou la Cfdt (qui est une corporation à part entière. Je suis sur qu’appartenir à la Cfdt demande des aptitudes hors du commun. Moi je ne pourrais pas).

Cela n’empêchera cependant pas un bon millier de personnes (les chiffres officiels disent 300. Je ne sais d’où ils les sortent, parce que pour l’avoir vu de mes yeux, je peux l’affirmer, c’était plus d’un millier) de converger vers la sous-préfecture. Comme la dernière fois, les CRS se sont installés dans une rue transversale longeant le bâtiment. Comme la dernière fois, les manifestants les encerclent des deux côtés. Mais contrairement à la dernière fois, ils ne sont pas vingt, c’est une dizaine de cars qui sont à l’arrêt.

Je précise, à toute fin utile, que comme lors du 29 Janvier, les CRS n’ont procédé à aucune sommation et n’ont aucunement intimé l’ordre aux manifestants de se disperser. Si ce ne sont effectivement pas eux qui ont tiré les premiers, ils n’ont pas bougé, se tenant prêt, dans une attitude finalement provocatrice, écartant toute prévention ou tout dialogue.

Alors, les pavés ont volé, ainsi que des cocktails Molotov, préparés pour l’occasion. Les CRS ont riposté, aidés de grenades lacrymogènes volant dans le ciel, propulsées par leurs fameux lanceurs Cougar. Le gaz s’est répandu et leur charge a suivi, dégageant la voie jusqu’au front de mer, puis repoussant les groupes jusqu’à l’esplanade devant la sous-préfecture. Ils se sont alignés, cachés derrière leurs boucliers, face au rassemblement hétéroclite d’individus plus ou moins agressifs et dispersés. Une chance pour nous, la seconde issue de la rue de départ est bloquée par un groupe de personnes qui ne font preuve d’aucune animosité, empêchant les CRS d’avancer pour nous prendre en tenaille.

L’ensemble est assez chaotique. Quelques groupes épars s’avancent courageusement pour faire pleuvoir la pierre sur les hommes en armure. La réplique se fait à coups de gaz, celui qui brule la gorge et détruit la vue. Je reste dans la zone, naviguant entre les différents points pour prévenir tout débordement sur nos flancs, accompagnant un ami photographe qui s’efforce de recueillir le plus de clichés utiles. Hors de question de le laisser seul, on ne sait que trop ce qui arrive à ceux qui veulent restituer la vérité par l’image dans ce genre d’évènements. Derrière moi, soudain, un mouvement de foule, un groupe d’une vingtaine de personnes se rue sur quelques individus que je ne distingue pas, ça frappe, ça crie. J’apprendrai par la suite qu’il s’agissait de trois agents de la BAC qui avaient tenté d’exfiltrer un manifestant. Opération ratée, ils n’ont récolté que des coups. Quelques instants plus tard c’est un RG qui est repéré, il parviendra à s’enfuir après avoir molesté un civil. Je cherche des yeux notre préposé à la pharmacie pour les soins préventifs en attendant l’arrivée des pompiers.

Le temps passe, les grenades pleuvent et les CRS finissent par charger, ils nous repoussent de l’esplanade, au niveau du rond point. Le rebord de pierre est démantelé pour fournir des projectiles. Plus loin dans la rue commencent les préparatifs d’une barricade, un chantier abandonné non loin servira de ressource. On aide un ouvrier à installer une bande de plastique entre deux lampadaires pour bloquer la rue transversale par laquelle pourraient arriver les CRS. Et ça ne loupe pas, nous les voyons soudain surgir, tandis que leurs copains d’en face se mettent en branle. Repli général, ils accélèrent, ils sont prêts, trop, mais arrivés à leur point de jonction une pluie de pavés les stoppe, les forçant à reculer.

Nous reculerons finalement dans la rue, pressés par les jets de grenade et les petites charges. Leur tactique est bizarre, ils ne semblent ni pressés, ni inquiets. Ils avancent et reculent en permanence, effectuant parfois des replis qu’on pourrait voir comme des pertes de terrain, mais qui n’en sont que plus inquiétants venant de gens spécialisés dans la répression urbaine.

Avec mon ami, nous avancerons de nouveau vers l’esplanade pour quelques clichés. Un peu trop avancés, laissant le rassemblement derrière nous. Quelques grenades et une charge plus tard, nous sommes revenus dans la rue. Nous reculerons encore après un nouveau bombardement précis, les pastilles de lacrymo s’ouvrant à nos pieds, diffusant cet épais nuage blanc toxique. Nouveau repli. Je retrouve un ami préposé aux bouteilles d’eau, nous en distribuons aux gens alentour qui ont souffert du gaz, ainsi que des gouttes pour les yeux. Je crache un peu mes poumons, mais je commence à me familiariser avec cette arme et, le temps passant, les effets s’amoindrissent.

La barricade sommaire est montée, mais une rumeur monte. Les CRS envoyés à Nantes seraient en chemin pour nous prendre en tenaille. Voila qui expliquerait le calme de ceux d’en face. Nous nous préparons à une dispersion, il faut choisir. Partir par le Ruban Bleu, au risque de se retrouver pris au piège mais, en cas de réussite, rejoindre rapidement le centre ville et ses petites artères, ou courir du côté de la base sous-marine et faire un long détour pour rentrer.

C’est finalement la deuxième option qui sera choisie. Au moment où nous voyons avancer derrière nous un second mur de boucliers. Je décampe avec mon groupe vers la base, trainant un peu pour observer la scène. En moins d’une minute, le lieu a été envahi de gaz et les CRS sont là, d’une efficacité redoutable, stoppant les trainards à coups de matraque et procédant à des arrestations musclées et inutilement violentes.

En revenant dans le centre nous croiserons les derniers groupes qui se replient, poursuivis par les CRS, nous réussirons à récupérer quelques connaissances pour leur offrir refuge dans l’appartement. Une bonne heure passera à contacter tous ceux que nous connaissons pour vérifier que personne ne s’est fait prendre. Miracle, pas une seule arrestation dans nos rangs, la journée se finit bien.

A la lecture de ce texte, on se demandera fatalement à quoi a pu servir cet affrontement. On entendra l’éternel refrain sur l’inutile violence. On nous dira que cet épisode a décrédibilisé le mouvement.

Je n’ai qu’une réponse. Nous avons dépassé les revendications syndicales, signifié notre refus de cet état des choses, de cette société qui ne nous offre aucun moyen de réponse, de contrôle. Nous ne voulons pas de pouvoir d’achat, nous ne voulons pas de croissance, nous ne voulons pas d’un monde de requins où on investit d’un pouvoir des gens qui ne se soucient pas des conséquences de leurs actes. Il faut être idiot pour croire encore que les marches, les chants et les banderoles pousseront au changement. Il faut être idiot pour ne pas voir que les gens qui nous « représentent » ne cherchent qu’à ne pas entendre. Il faut être idiot pour vouloir changer les règles en s’y pliant. Nous existons, nous nous exprimerons, et nous recommenceront, car notre violence n’est pas gratuite, elle n’est pas haineuse, elle est porteuse de sens et de revendications, d’envies et d’idées. Elle dit que nous n’avons pas peur des matraques et des grenades, que la répression ne nous éteindra pas et que la justice est certainement bien plus de notre côté que chez ceux qui obéissent bêtement aux ordres sans se poser de questions.

Un esprit libre, dans un corps libre, dans un monde libre et juste. Voila ce que nous voulons.

Messages

  • Bon texte je trouve. Je me reconnais un peu dedans (coire totalement).

    "Ils avancent et reculent en permanence, effectuant parfois des replis qu’on pourrait voir comme des pertes de terrain, mais qui n’en sont que plus inquiétants venant de gens spécialisés dans la répression urbaine."

    Il y a plusieurs raison. Tout d’abord tactiquement. je ne sais pas comment c’était chez vous mais en gros, quand ils nous encerclent et qu’une partie recule, c’est pour poussez les manifestant à se raprocher et de tenter de sortir par ce passage où ils ont reculé. Les manifestants s’engoufre dans l’espace libéré, et la les CRS les encerclent en referment des deux autres coté. Ca permet de coupé les gens en deux... (c’était ptet pas claire mais bon).
    Ensuite il faut savoire que passé une certaine heure, ils sont mieux payé (avec des primes de 180 euros je crois, mais j’en suis pas sûre). Des primes qui sont aussi valable pour le risque, donc ils cherche l’affrontement pour toucher cette prime.
    Enfin il faudrait que je regarde un peu mieu pour avoir plus d’infos...

    • L’explication est assez simple, mais on ne l’a compris que plus tard. Ils se contentaient de nous tenir à vue, dans la zone, en attendant leurs copains qui arrivaient de Nantes pour nous prendre en tenaille. Souvent ils reculaient jusque derrière l’esplanade, peut-être pour nous forcer à nous y installer, auquel cas on se serait retrouvés dans une vraie souricière.

      Ils ont avancé quand le reste de la compagnie a formé un mur derrière nous, ils ont fait une charge de chaque côté et nous ont dispersés.

      Faut dire qu’ils étaient nombreux les bougres, on ne faisait clairement pas le poids.

  • Bien joue saint nazaire

    faut montrer le mecontentement qui gronde, le pouvoir n a que faire des manifs pacifiques, il ne demande que ca,
    regardez l histoire, le pouvoir recule quand la violence surgit : exemple le plus recent le CPE..

    et completements d accord avec toi, on ne defile pas pour le pouvoir d achat..
    on defile contre l injustice, les 2 poids 2 mesures : la Palestine massacrée, l irak martyrise, et plus generalement cette hypocrisie internationale : l alliance objective entre islamistes et occidentaux : l alliance entre l arabie saoudite, le propagateur du wahabisme partout dans le monde et son ideologie extremiste, avec les occidentaux.. et apres ils veulent nous faire croire que l islamisme est leur ennemi..il est leur allie.. ouvrez les yeux

    COURAGE LA LUTTE CONTINUE TROUVONS NOUS !

  • trés bon article , j’y était , je suis resté jusqu’a la fin aves mes amis .
    Nous ne sommes ni anarcho , ni casseurs simplement de jeunes péres de famille (syndiqué et plus syndiqué) qui en avons plus que marre.
    Les seules cibles pour notre noyaux furent les crs(respect du mobilier urbain , respect des voitures et du voisinage).
    Pour les prochaines manifs ont remettra le couvert ici et ailleurs, tout simplement parceque nous n’avons plus confiance en nos tetes syndicale , et que notre seule but maintenant est de déstabiliser et aboutir à la démission de se gouvernement .

  • entierrement d’accord, à-bas le pouvoir et sa quéte, à bas le pognon et sa quète, abolition du salariat, émancipons nous pour nous révolter et inversement, à-bas les décideurs et leurs mafias, vive la vie autogérée, vive la révolution sociale et libertaire, vive l’espagne de la cnt et de la fai, vive l’ukraine de makno, à-bas trotski, franco et staline.

    • tu vois autant je trouve que l’auteur de l’article et les autres commentateurs ont bien expliqué leurs motivations à recourir à la violence, autant je me démarquerai toujours des guignols dans ton genre qui braillent "insurrection générale" place de la nation alors qu’on est encerclé par les flics, qui vont jeter des bouteilles et suivre n’importe quel provocateur de la police qui va casser une cabine téléphonique, etc. Quant à mettre Franco et Trotsky dans la même phrase, bah t’es pas crédible. Ca montre juste que t’es un anar sectaire qui vit dans ses phantasmes de l’Espagne anarchiste. Et c’est pour ça que j’ai trouvé la fin de la manif parisienne complètement lamentable. Affrontement suicidaire avec les flics, à se demander si c’était pas provoqué par les RG comme souvent. Rien à voir avec le 29 janvier où l’affrontement était un acte de résistance contre la prise en otage de tous les manifestants pris au piège place de l’Opéra.

  • Le 29 janvier, à Saint-Nazaire, ce sont les forces de l’ordre qui ont suscité la violence, je suppose qu’elles avaient besoin d’un exercice grandeur nature.

    Pourquoi Saint-Nazaire fut choisi ??

    On peut supposer aussi que ces forces de l’ordre ont saisi le moindre prétexte pour utiliser tout le matériel de guérilla urbaine, qui peut-être, comporte une date de péremption.

    Ensuite, le poisson étant amorcé, il a suffi d’attendre le 19 mars pour renouveler l’opération et là des fougueux tombent dans le panneau.

    Dommage

    • C’est une vision des choses, que je ne partage pas.

      Le 29 Janvier, les forces de l’ordre se sont retrouvées débordées, n’ayant pas prévu un tel rassemblement, et il leur a fallu la moitié de la journée pour reprendre le contrôle de la situation. Même si au final, ils se sont imposés, ils ont subi un revers cinglant à cause de leur manque de préparation.

      On le savait, cette fois ils étaient prêts. Non pour nous piéger véritablement, mais pour laver l’affront.

      Que faire alors ? Ne pas y aller sous prétexte que c’était perdu d’avance ? Céder à l’instrument répressif s’appuyant sur la peur (à l’instar du terrorisme) de la matraque ? Non, je ne pense pas. Je pense que la meilleure attitude, même si on savait la victoire impossible, était celle qu’on a eue. Y aller, leur montrer par notre présence que nous n’avions pas peur et que nos idées, nos convictions étaient plus fortes que la crainte inspirée par la présence des CRS.

      La démonstration de force est loin d’avoir été spectaculaire. Il leur a encore fallu des renforts pour disperser tout le monde, preuve que même s’ils sont plus forts, ils ne sont pas tout puissants.

      Au delà du résultat, il faut voir la motivation des personnes présentes, le rassemblement, le fait que nous sommes un certain nombre à ne pas avoir plié et à avoir continué jusqu’au bout malgré les menaces et les avertissements. Combattre la répression policière commence par là, refuser de plier face à ce que nous jugeons inique, quitte à ne pas gagner, quitte à subir, mais ne même pas aller à l’affrontement ce n’est pas être intelligent, c’est détourner le regard.