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ISRAËL : Avraham Burg ou l’échec d’une génération

Publie le dimanche 18 juillet 2004 par Open-Publishing

de Gidéon Lévy

L’ancien président de la Knesset se retire de la vie politique. Il faisait partie de ces quinquagénaires qui devaient succéder aux pères fondateurs de l’Etat hébreu, rappelle amèrement Ha’Aretz.

Les adieux prématurés d’Avraham Burg à la vie politique sont davantage qu’une décision privée, tant l’ancien président de la Knesset incarne toute une génération d’hommes politiques en qui de nombreux espoirs avaient été placés, une génération de quinquagénaires et de sexagénaires renvoyés à la marge, la première génération de Juifs autochtones à avoir investi l’espace public après la génération des pères fondateurs. Hélas, loin d’avoir apporté un souffle neuf et révolutionnaire fondé sur une idéologie cohérente, ces hommes politiques se sont révélés des fonctionnaires, et ne laissent derrière eux que des changements institutionnels mineurs. S’il fut dévastateur pour le Parti travailliste, ce phénomène n’a épargné aucun parti. En définitive, le seul à s’être transformé idéologiquement aura été le Mafdal [Parti national religieux], un parti centriste et modéré qui, sous la pression de la jeune génération incarnée par le Goush Emounim, s’est mué en parti extrémiste [fer de lance de la colonisation de peuplement]. Il fut un temps où cette génération était pleine de promesses. Les militants du Mapaï [ancêtre du Parti travailliste] nés dans les années 40 et 50 étaient non seulement les enfants du pays, des "nouveaux Israéliens", mais aussi les porteurs d’une réponse aux stratégies épuisées de leurs prédécesseurs. N’étant pas issus des bataillons d’élite de la guerre de 1948, certains d’entre eux avaient d’autant plus facilement fondé des cercles de réflexion, cercles qui ne font plus partie aujourd’hui de notre paysage politique. Ils sont parfois parvenus à se faire élire à la Knesset ou à décrocher des portefeuilles ministériels, mais la plupart d’entre eux ont été rapidement bloqués par la vieille génération et par ces généraux directement parachutés de l’armée vers la politique. De tous les espoirs des années 70 et 80, seuls auront survécu Shulamit Aloni et Yossi Sarid [ex-travaillistes et ex-ministres, respectivement fondateurs du Meretz et du Yahad]. Mais, pour cela, ils ont dû quitter le Parti travailliste. Le début des années 90 a vu apparaître une nouvelle génération de politiciens travaillistes bardés de diplômes. Comme leurs prédécesseurs, ces nouveaux venus auront cru pouvoir faire basculer l’échiquier politique vers des positions plus "colombes". Si aucun d’entre eux n’est finalement parvenu à franchir le pas, c’est sans doute parce que les concepts de droits de l’homme et de droits sociaux n’auront jamais fait partie de leur vocabulaire.

Les quinquas du Likoud ne se portent pas mieux
Ces nouveaux venus ont toujours privilégié leur carrière personnelle, alors même que la colonisation dans les Territoires se développait sous leur nez et avec l’aide du Parti travailliste. Ils ont perdu plus de temps à se plaindre de leur mise à l’écart qu’à manifester contre l’injustice de l’occupation. Comment s’étonner, dès lors, que leur influence soit restée marginale et qu’ils ne soient jamais parvenus à occuper des postes clés ? L’exception, c’est un Yossi Beilin qui, en épousant une vision idéologique claire, a été la force motrice des accords d’Oslo (cela dit sans contester la part de Shimon Pérès et de Yitzhak Rabin), avant de lui-même tirer la conclusion qu’il n’avait d’autre choix que de quitter le Parti travailliste. Les quinquas du Likoud (Ehoud Olmert, Roni Millo, Dan Méridor et David Lévy) n’ont pas davantage laissé d’empreinte politique. A l’exception, peut-être, d’un Dan Méridor rapidement marginalisé, aucun membre de la "nouvelle génération" n’a impulsé le moindre virage significatif à son parti. Le seul héritage idéologique dont puisse se targuer le Likoud, c’est encore et toujours celui de la génération des fondateurs, celle de Menahem Begin et de Yitzhak Shamir, un héritage endossé tel quel par Ariel Sharon et Benyamin Nétanyahou. On peut se dire que la destinée individuelle des membres de cette génération perdue est sans importance. L’ennui, c’est que le vide qu’ils laissent derrière eux est un vide qu’ils laissent dans notre vie. Plutôt que de nous apporter le changement promis, les hommes politiques de la génération d’Avraham Burg nous ont tout simplement trahis. Ils auraient pu être une réponse civile à ce militarisme qui s’insinue dans tous les domaines de notre vie. Mais cette génération, qui aura longtemps incarné la stature morale d’Israël à l’étranger, nous laisse aujourd’hui à la merci de ceux qui n’ont foi que dans ces "spécialistes en sécurité" dont l’omniscience présage du pire.

Ha’Aretz

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