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20 juillet 1944, résistances allemandes

Publie le mercredi 21 juillet 2004 par Open-Publishing
2 commentaires


Par Michel Cullin

ancien secrétaire général adjoint de l’office franco-allemand pour la jeunesse

On ne parlera jamais assez en France de la résistance allemande ou plutôt des résistances allemandes au IIIe Reich. Le pluriel est de mise, tant les acteurs et les groupes furent variés et leurs engagements et motivations différents. À l’heure des commémorations diverses de la libération de l’Europe du national-socialisme, il est important de rappeler que les liens aujourd’hui étroits qui existent entre la France et l’Allemagne ne prennent tout leur sens qu’à travers un travail de mémoire sur les valeurs communes de respect de l’État de droit et de la République qui ont, entre autres, justifié les combats des Français et des Allemands opposés à Hitler. Or les résistances allemandes sont quasiment absentes des cérémonies commémoratives, comme si les centaines de milliers d’Allemands qui entre 1933 et 1945 furent victimes de l’oppression nazie, après avoir été pour une partie d’entre eux des résistants dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir, étaient totalement oubliés. Dans un livre magnifique publié au début des années cinquante en Allemagne et qui n’a été traduit et publié en France qu’en 2000 sous le titre Une Allemagne contre Hitler (1), l’écrivain Günther Weisenborn a écrit à propos de ces résistants : " Leur bravoure ne leur valut aucun avancement, leur abnégation aucune médaille et leur mort aucune croix. "

À Berlin cette année, le maire, Klaus Wowereit, en signe de solidarité avec le maire de Paris, Bertrand Delanoë, a décidé, à l’heure des commémorations pour la libération de la capitale française à la fin du mois d’août, d’inaugurer dans les salons de l’Hôtel de Ville une exposition consacrée aux Allemands dans la Résistance française. Un certain nombre d’entre eux d’ailleurs participèrent aux combats pour la libération de Paris. En France, un séminaire d’étudiants français et allemands, soutenu par l’office franco-allemand pour la jeunesse, a permis en juin dernier de commémorer le 60e anniversaire de l’attentat contre Hitler à l’Institut Goethe et au musée Jean-Moulin. À cette occasion, le témoignage particulièrement intéressant de Peter Gingold, l’un des responsables de la résistance communiste allemande en France, a permis d’éclaircir les liens qui ont existé entre les conjurés du 20 juillet à Paris et la résistance communiste. Tant il est vrai que ce sujet particulièrement sensible en Allemagne a été longtemps tabouisé.

D’une part parce que l’instrumentalisation du 20 juillet par la droite allemande a permis jusqu’au début des années quatre-vingt-dix de discréditer la résistance communiste en Allemagne, considérée (à tort d’ailleurs parce que sans étude de ses contradictions) comme " prosoviétique " alors que les hommes du 20 juillet défendant la liberté contre les " bolchos ", auraient été eux de vrais résistants, même si longtemps leur image de " traîtres " a marqué profondément les milieux nationalistes et conservateurs allemands.

Rien d’étonnant à ce qu’inversement pour certains à gauche, en France comme en Allemagne, l’image simpliste d’un complot d’officiers et d’aristocrates réactionnaires voulant en fait poursuivre la guerre sans Hitler ait été diffusée sans nuances. Le refus dans ce cas d’analyser les contradictions des conjurés du 20 juillet et de la mouvance politique plus large qui les entourait a amené à ignorer ou minimiser longtemps le rôle important des responsables sociaux-démocrates ou syndicalistes comme Theodor Haubach, Adolf Reichwein, Wilhelm Löschner et surtout Julius Leber et Carlo Mierendorff dans l’élaboration d’un minimum de positions politiques communes à tous les conjurés et surtout dans l’élaboration des projets de reconstruction de l’Allemagne après l’élimination d’Hitler. Si un grand nombre de généraux et de politiques comme Carl Goerdeler, l’ancien maire de Leipzig, avaient soutenu Hitler dès 1933 et se réclamaient d’un héritage " bismarckien ", d’autres, sous l’influence de Leber et de Mierendorff, avaient compris qu’il fallait donner au soulèvement contre Hitler le caractère d’un mouvement populaire voire d’un front populaire, même si des divergences subsistaient sur les contacts à prendre avec les autres résistants, notamment les communistes. Le lieutenant-colonel Stauffenberg, l’homme de l’attentat, mais aussi le comte Moltke, leader d’une des composantes importantes, encore trop peu connues en France, de la résistance allemande, le fameux Cercle de Kreisau tout comme le diplomate Adam von Trott zu Sulz, étaient, comme l’ont montré des travaux récents, d’accord pour une concertation avec la résistance communiste. Des contacts eurent lieu avec le " groupe Saefkow " de la direction du PC allemand par l’intermédiaire d’Adolf Reichwein, qui depuis 1943 entretenait des relations suivies avec différents résistants communistes de Thuringe. Gilbert Badia a pu écrire en parlant d’une partie des conjurés du 20 juillet : " Leur ambition c’était que cette résistance jusqu’alors sans peuple devint une résistance du peuple. "

Le 20 juillet, au-delà de l’attentat contre Hitler, peut à juste titre constituer une date de référence pour la commémoration de toutes les résistances allemandes. Particulièrement celle des antifascistes allemands en France, si peu connue dans notre pays et absente, elle aussi, des commémorations officielles.

L’office franco-allemand pour la jeunesse, dont le rôle éducatif aujourd’hui encore plus qu’hier, reste capital dans la formation citoyenne des jeunes des deux pays, pourrait dans son travail de formation de médiateurs et de multiplicateurs franco-allemands, être chargé par les deux gouvernements d’organiser - comme c’est désormais le cas pour le 22 janvier, date anniversaire de la signature du traité de l’Élysée par Konrad Adenauer et Charles de Gaulle - une " journée franco-allemande de la Résistance ", dont la date pourrait être alternativement le 18 juin et le 20 juillet. À l’heure de l’action politique commune des Français et des Allemands en Europe mais aussi face à la politique de Bush en Irak, les valeurs des résistances françaises et allemandes au IIIe Reich trouveraient là une actualisation pertinente, sans compter la lutte nécessaire à mener dans les sociétés de nos deux pays contre l’exclusion raciste et sociale. Le président de la République ne peut qu’être conséquent en ce sens avec son discours du Chambon-sur-Lignon.

(1) Günter Weisenborn, Une Allemagne contre Hitler, traduit de l’allemand par Raymond Prunier, Félin, collection "Résistance, liberté et mémoire", 392 pages, 8.90 euros

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-07-21/2004-07-21-397660

Messages

  • On croit rêver quand le chancelier Shröder tente de réhabiliter des officiers nazis qui voulaient supprimer Hitler dans un attentat car ils lui reprochaient son manque d’efficacité (sic !)...

    On croit rêver quand le président Chirac dans son discours du 14 juillet parle des "citoyens juifs" touchés et des "citoyens français" choqués par l’incident RER D...

    Une petite minute de silence une fois par an dans toute la France pour se souvenir des déportations effectuées par un Etat français des plus zélé éviterait certainement que des français sémites agressent d’autres français sémites...

    Quand à Monsieur Shröder, pourquoi laisser à Monsieur Spielberg le soin de réhabiliter un des allemands qui se sont bein comporter ?

  • Il a fallu attendre bien longtemps pour que certains généraux de la Wehrmacht tentent quelque chose contre Hitler.
    Et les appeler "résistants" dévalue le sens de ce mot.
    Une fois certains de l’écrasement du Reich, ils voulurent sauver les meubles (leurs meubles) et prendre la place du chef.
    Il y eut de véritables résistants allemands à Hitler bien avant la guerre, des communistes en particulier, qui furent les premiers occupants des camps de concentartion, bientôt rejoints par des socialiste puis par d’autres opposants au nazisme.
    Et puis certains Allemands ont fait de la résistance passive, d’autres se sont engagés dans une résistance plus active comme les membres du mouvement de "La rose blanche" qui, une fois découverts, furent sommairement jugés et décapités à la hache.