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Les patrons font profil bas face à la vague de séquestrations

Publie le vendredi 3 avril 2009 par Open-Publishing
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de Sylvain Besson

Excédés par les licenciements, les ouvriers multiplient les prises d’otage pour obtenir de meilleures indemnités. Une méthode radicale, et couronnée de succès jusqu’ici

L’air contrit, la mine fatiguée, la cravate débraillée, le chef d’entreprise séquestré par ses employés est devenu l’emblème du vent de révolte qui souffle sur les usines françaises. Depuis début mars, les dirigeants de quatre sociétés différentes ont été retenus, pour des périodes allant d’une heure à deux jours. Non violentes, mais parfois ponctuées d’insultes et d’intimidations, ces actions marquent une dégradation du climat social dans un pays adepte de la culture du conflit.

De Grenoble à Pithiviers en passant par Auxerre, le scénario est bien rodé : un groupe annonce des licenciements massifs ou la fermeture d’un site, les employés concernés ripostent en envahissant le bureau de la direction.

Au bout de quelques heures, le patron ressort sous les huées, souvent après avoir fait des concessions substantielles : paiement des jours de grève chez Caterpillar à Grenoble, dédommagements « significativement majorés » chez 3M à Pithiviers, maintien de 30 emplois et versement de 13 millions d’euros supplémentaires par Sony dans les Landes.

En principe, une séquestration, même brève, peut valoir 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende à ses auteurs. Mais pas une seule des entreprises concernées n’a porté plainte. Le siège américain de Caterpillar s’est borné à se dire « préoccupé » par la santé de ses cadres, avant d’appeler à la reprise des négociations.

Le directeur français du chimiste 3M a déclaré : « Nous comprenons tout à fait l’émotion exprimée par les salariés de Pithiviers. » Après le blocage dans son taxi du PDG François-Henri Pinault, le groupe de luxe PPR considère que « l’incident est clos ». Quant au gouvernement et au Medef, l’organe représentatif du patronat, ils n’ont strictement rien dit sur ces incidents.

Comment expliquer cette attitude accommodante ? La police a indiqué qu’elle n’interviendrait pas tant qu’il n’y aurait ni violences, ni dégradations. Et les entreprises préfèrent calmer le jeu au moment où le grand capital a mauvaise presse. Dans ce contexte, réagir trop vivement « n’arrangerait pas les choses », admet-on chez 3M.

D’autant que les grévistes ont déjà les nerfs à fleur de peau. « Les gens ont beaucoup travaillé, l’entreprise a fait des bénéfices considérables pendant cinq ans, explique Michel Laboisseret de Caterpillar à Grenoble. D’un seul coup, on leur dit « on n’a plus besoin de vous, on vous licencie », alors que le dividende versé en 2008 était en hausse de 17%. »

Selon ce syndicaliste, James Owens, le patron du groupe, aurait mis le feu aux poudres en expliquant que le licenciement de 22 000 personnes (dont plus de 700 à Grenoble) serait nécessaire pour maintenir le cours de l’action. Lorsque les dirigeants de l’usine grenobloise ont refusé de se rendre à une réunion avec leurs employés, la réaction a été immédiate : « On monte les chercher ! »

La crise financière a radicalisé les esprits de deux façons. Certains ouvriers travaillent au ralenti depuis l’automne, et le chômage partiel a sévèrement entamé leurs revenus. Chez Caterpillar, un débutant payé 1000 euros par mois en temps normal n’en gagne plus que 750. Pour les licenciés, l’espoir de retrouver rapidement du travail est presque nul.

Ensuite, le lien entre direction et salariés semble s’être rompu. « Les gens comprennent que leur direction n’a plus aucun pouvoir, que les décisions sont financières, boursières, estime le syndicaliste Christian Duputel, de la CFDT. Ils se rendent compte que le type qui est en face d’eux est une espèce de Polichinelle. » Une marionnette dont la détention est aussi leur dernier moyen de pression.

L’impact politique de ces mouvements est déjà sensible. Nicolas Sarkozy a promis de « sauver » l’usine Caterpillar de Grenoble (qui n’est pas menacée, seuls des emplois le sont) et envisage une loi sur le « partage des profits ». Mais pour l’instant, le seul politicien à s’être fait acclamer par des grévistes est le leader de l’extrême gauche, Olivier Besancenot.

 http://www.letemps.ch/Page/Uuid/0f9...

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