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Les ARH c’est la destruction de l’hopital public

Publie le mercredi 22 avril 2009 par Open-Publishing

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Pourquoi les hôpitaux publics cumulent-ils de si importants déficits1 depuis une vingtaine d’années ? Pourquoi la sécurité sanitaire est-elle mise à mal ?

Premier mensonge : le personnel hospitalier est incompétent et désorganisé.

Deuxième mensonge : le déficit de la Sécurité Sociale ne permet plus de financer la santé.

Le financement de la Sécurité Sociale :

Pour introduire mes explications, je commence tout de suite par m’attaquer au deuxième mensonge par un rappel capital : le soit-disant déficit de la Sécurité Sociale a été créé par le non versement des cotisations salariales, dont a été exonéré le grand patronat, et la non revalorisation des cotisations patronales depuis 30 ans. Inutile de rappeler que ces cotisations, que le patronat appelle « charges sociales » (notons au passage le détournement par le vocabulaire) ne sont pas une grâce qu’il nous fait : il s’agit bien de notre argent (le salaire différé), que nous avons décidé en 1945, de verser dans une caisse commune indépendante de l’Etat, c’est ça la Sécurité Sociale. Or, en imposant le vote de la Loi de Financement de la Sécurité Sociale par le Parlement, les ordonnances Juppé du 24 avril 1996 permettent à l’Etat d’usurper les ressources de la Sécurité Sociale.

Ce premier point éclairci, il faut expliquer comment le déficit des hôpitaux a été créé et aggravé. Le mode de financement même des hôpitaux explique leur déficit et leur désorganisation.

La fin du calcul du prix de journée :

En 1984, le financement des hôpitaux par le calcul du prix de journée a été remplacé par la Dotation Globale2. Sans être parfait, le financement des hôpitaux avant 1984 s’appuyait sur des prévisions de dépenses par service et une estimation des journées prévisionnelles d’activité par service. Le calcul du prix de journée s’établissait sur le rapport budget par service / nombre de jours d’activité par service. Mais du coup, l’activité était appelée à se développer, ce que les technocrates cherchent depuis à empêcher par les moyens les plus savants. En 1984 donc, l’établissement de la Dotation globale consiste à maîtriser les dépenses de santé : une enveloppe est donc attribuée à chaque établissement de santé afin qu’il adapte ses dépenses aux recettes perçues. L’évolution du budget annuel est encadrée par l’application d’un taux de progression, dit taux directeur. Ce gel des dépenses met déjà à mal un certain nombre d’établissements, dont les technocrates reconnaissent officieusement qu’ils sont « historiquement sous-dotés ». Ce gel des dépenses annonce aussi la progression d’autres sources de financement : le forfait journalier pris en charge par le patient, la vente de médicaments à distribution exclusive en hôpital ou le paiement de repas par le personnel… Il amène aussi à faire des économies sur l’entretien, le ravalement, la qualité de l’accueil. Nombre d’établissements procèdent à des reports de charges (taxes en particulier) d’année en année, pouvant cumuler ainsi un déficit de plusieurs millions d’euros. A cela s’ajoute la paupérisation de la population, qui accroît le taux de créances irrécouvrables, creusant aussi le déficit des hôpitaux.

L’analyse de l’activité de l’hôpital :

La mise en place de la Dotation Globale permet aussi de distinguer les bons élèves qui gèrent strictement leur établissement et les mauvais élèves dépensiers. Définissant les moyens d’évaluer l’activité des établissements de santé, par la création du schéma d’organisation sanitaire, la loi du 31 juillet 1991 conduit les établissements à définir une stratégie. Ils élaborent un « projet d’établissement » dégageant leurs objectifs et les moyens de les atteindre. Des moyennes régionales et un retraitement analytique des budgets mettent au point des méthodes de comparaison des établissements. Les ordonnances Juppé de 1996 mettent en œuvre le PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes d’Informations), qui recueille l’activité réalisée par chaque établissement. A partir de 20043, se met en place un nouveau mode d’allocation de ressources des hôpitaux, il s’agit de la T2A, la Tarification A l’Activité, qui consiste à financer l’établissement à l’acte.

La T2A / Tarification A l’Activité :

Elle s’applique aux activités de médecine, chirurgie et obstétrique. Seront concernés dans un deuxième temps, les activités de soins de suite et de réadaptation et de psychiatrie. Au niveau national, chaque séjour est classé dans un Groupe Homogène de Séjour auquel est associé un tarif. Comment calcule-t-on un GHS ? A chaque type de séjour a été affecté un poids économique, établi selon une échelle nationale de coûts, prenant en compte la blanchisserie, la restauration, la logistique, les frais de structure, les médicaments, les prothèses, le sang… Chaque séjour dans une unité médicale génère la production d’un RUM (Résumé d’Unité Médicale), par le DIM (Département de l’Information Médicale). Ce sont des médecins qui saisissent les fiches de codage, s’assurent de leur exhaustivité et de leur qualité, car une erreur ou un oubli d’enregistrement entraîne un non encaissement des recettes. Outre l’aspect très technocratique de la T2A, l’hôpital doit mobiliser du personnel et prendre en charge le matériel informatique pour le codage des actes. Une autre conséquence de la T2A concerne la réduction de la durée moyenne de séjour : il faut faire tourner les lits pour faire plus d’activité, cela peut aussi remettre en cause la qualité de soins.

Les missions d’intérêt général :

Les autres activités relèvent de financements spécifiques : les urgences, le recours à certains médicaments et surtout les MIGAC (Missions d’Intérêt Général et d’Aide à la Contractualisation) qui regroupent les activités qui ne « rapportent » pas, mais dont pour le moment, le maintien a été reconnu d’utilité public. Mais pour cela, les hôpitaux ont donc été amenés en 2008 à justifier au poste et à l’euro près des dépenses relatives aux MIGAC. Les MIGAC représentent les activités de l’enseignement, la recherche et l’innovation, gérées principalement par les CHU. Au passage, il faut préciser que la formation des professions paramédicales a fait l’objet d’un transfert de compétence de l’hôpital vers la Région en 2005, ce qui explique l’augmentation des frais de scolarité (et également le problème de recrutement). Les MIGAC prennent aussi en charge les équipes de liaison en addictologie ou hémovigilance, les équipes mobiles de gériatrie et de soins palliatifs, les consultations « mémoire »4 les actions de prévention5, les dispositifs d’annonce du cancer6, l’activité des psychologues et des assistantes sociales, le SAMU7-Centre 15, le SMUR8, les centres anti-poison, le centre de dépistage anonyme et gratuit… Le lobby des cliniques privées très influent auprès du Sénat hurle au scandale après ces MIGAC, qui serait un financement injustifié et injuste. Il est vrai que les cliniques ne perçoivent pas ce type de financement pour la simple et bonne raison qu’elles ne prennent en charge que ce qui leur rapporte. Mais, elles revendiquent le coup de grâce puisque la tarification à l’activité leur a permis de substantiels bénéfices.

Le lobby des cliniques privées :

En effet, les tarifs établis par le ministère, dans le cadre de la Tarification à l’activité, ont été avantageux pour la chirurgie, précisément la manne financière des cliniques, en plus des honoraires libres. Or, non seulement les hôpitaux ont perdu de la vitesse en matière de chirurgie par rapport aux cliniques, par manque de moyens (puisqu’ils n’ont pas suivi ces 20 dernières années), mais ils sont condamnés à augmenter leur activité pour maintenir le même niveau de recettes, malgré la baisse des tarifs en médecine et obstétrique. La tarification à l’activité est sensée harmoniser les modes de financement des secteurs public et privé. Mais, le privé n’assume pas les missions publiques : l’accès universel aux soins, en particulier aux urgences, la prévention, la recherche et la prise en charge lourde, ne conservant que les actes rentables. L’exemple de la gériatrie est révélateur : le privé n’ouvre que des maisons de retraite médicalisées (très chères d’ailleurs), mais ne prend pas en charge les unités de soins de longue durée. Il n’est pas inutile de rappeler que les cliniques n’ont joué aucun rôle dans la prise en charge des patients qui ont souffert de la canicule en 2003, laissant les urgences publiques engorgées. J’ajoute que si prochainement le gouvernement se vante d’avoir créé des places supplémentaires en EHPAD9, cela ne s’est réalisé que par la suppression de l’équivalent en unités de soins de longue durée, par un tour de passe-passe qui porte le jargon « Coupe Pathos10 ». L’harmonisation des budgets publics et privés étant de mise, l’hôpital doit adapter ses besoins aux recettes versées. Un Etat prévisionnel des Recettes et des Dépenses doit permettre de dégager une capacité d’autofinancement et alimenter le fonds de roulement. Pourquoi ? Parce que l’établissement doit financer lui-même son investissement : l’aménagement d’immeubles, l’achat d’un scanner, d’un accélérateur de particules11, par ses fonds propres et par l’emprunt. L’ARH12 n’accompagne financièrement les projets immobiliers (Hôpital 2012)- quand elle les accompagne bien sûr- principalement pour la prise en charge des frais financiers (intérêts) générés par les emprunts. Autrement dit, il n’y a quasiment plus de subvention d’équipement, indispensable au renouvellement des sites hospitaliers.

Conclusion : en fait d’harmonisation, on constate au contraire une dégradation de l’hôpital public au profit des cliniques privées. Les hôpitaux déjà en déficit il y a 10 ans ne le combleront pas, sauf au prix de fermetures de services et de licenciements. Ils doivent s’inscrire dans une stratégie de survie, dans le cadre du CPOM (Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens 2008-2012), les conduisant à la restructuration de services et la coopération avec le privé. Le projet de loi Bachelot « Hôpital, patients, santé et territoires » présenté le 22 octobre 2008 doit en accélérer la marche.

* 1 Le déficit des établissements de santé de l’Ile-de-France, hors Assistance publique, s’élevait à 152 millions d’euros en 2007.
* 2 Cf. loi du 19 janvier 1983 et décret du 11 août 1983.
* 3 Cf. loi du 18 décembre 2003 de Financement de la Sécurité Sociale pour 2004, notamment en son article 33
* 4 Examen et prise en charge Alzheimer.
* 5 Maladies chroniques, diabète, VIH…
* 6 Elles regroupent tous les professionnels de l’hôpital dans l’accompagnement du malade.
* 7 SAMU : Service d’Aide Médicale Urgente.
* 8 SMUR : Services Médicalisés d’Urgence et de Réanimation.
* 9 EHPAD : Etablissement Hébergeant des Personnes Agées Dépendantes.
* 10 L’article 46 de la loi du 19 décembre 2005 prévoyait en effet une réforme des unités de soins de longue durée, officiellement destinée à permettre aux personnes âgées de bénéficier d’une prise en charge adaptée à leur besoin, soit dans le secteur sanitaire (USLD), soit dans le secteur médico-social (EHPAD). En réalité, la prise en charge est moins chère en EHPAD, car l’accueil de patients en USLD requière un suivi médical, des actes médicaux répétés, une permanence infirmière continue et un accès à un plateau technique minimum.
* 11 Il est utilisé pour la radiothérapie.
* 12 ARH : Agence Régionale de l’Hospitalisation.