Accueil > Hadopi : l’œil de l’Etat dans l’âme des ordinateurs

Hadopi : l’œil de l’Etat dans l’âme des ordinateurs

Publie le jeudi 14 mai 2009 par Open-Publishing
1 commentaire

14.05.2009
Hadopi : l’œil de l’Etat dans l’âme des ordinateurs

Le Sénat français a définitivement adopté une législation qui va ronger l’espace de liberté créé par l’Internet. Pourtant la loi Hadopi — du nom de l’administration qui sera chargée en France de mener la répression sur la Toile — a été adoptée dans la douleur. Refusé le 9 avril en première lecture à la grande colère du président Sarkozy, ce texte est donc avalisé en fin de compte, après une vigoureuse remontée de bretelles subie par les parlementaires de l’UMP récalcitrants.

Vertueuses intentions infernales

Comme l’enfer, la loi Hadopi est pavée de vertueuses intentions. Elle veut préserver les intérêts des artistes et créateurs, en réprimant les internautes qui téléchargent gratuitement des œuvres protégées par le droit d’auteur. Les vedettes de la gauche « pipole » sont d’ailleurs montées à l’assaut du Parti socialiste — opposé à ce texte — pour chanter gloire à ce Sarkozy qu’ils abreuvent de sarcasmes entre deux « smoothies », la boisson chic et bio des Bobos.
En fait, cette loi est-elle destinée à protéger le droit des créateurs ou celui des grandes compagnies qui les exploitent ? Car il est troublant de constater que de nombreux artistes — indépendants des circuits du glamour industriel — s’opposent à ce texte.

La licence globale

A l’instar de Jacques Attali, ces créateurs anti-Hadopi préfèrent le système dit de la licence globale. Il s’agit de la rétribution forfaitaire redistribuée aux auteurs en fonction du volume de téléchargements de leurs œuvres.
Le système Hadopi, lui, paraît beaucoup plus compliqué. Après un premier avertissement, le fraudeur récidiviste en reçoit un second. Puis, en cas de réitération, la Haute autorité (Hadopi) suspend son accès à l’Internet pour une période de deux mois à un an, assortie à l’impossibilité de souscrire un autre contrat durant le même laps de temps. Et le fraudeur devra continuer à payer son opérateur internet.

L’œil de l’Etat dans l’âme des ordinateurs

Pour appliquer ce processus, les cyberflics utiliseront des instruments de contrôle aussi perfectionnés qu’intrusifs. C’est donner ainsi à l’Etat les moyens de surveiller plus étroitement cette Toile dont la liberté fait forcément peur à tous ceux qui sont agrippés au pouvoir. Alors, cette loi destinée à prendre sous son aile les créateurs, ne pourra-t-elle pas servir un jour ou l’autre à des fins plus musclées ?
Certes, le président français n’a rien d’un dictateur. Néanmoins, toute sa politique d’investissement des médias a de quoi troubler les consciences les moins paranoïaques. Et un récent incident vient souligner cette inquiétude.

Viré pour avoir fait son devoir de citoyen

A titre privé, un responsable du secteur Internet de TF1 avait envoyé un courriel à sa députée, l’UMP Françoise de Panafieu, lui faisant part des dangers que recelait la loi Hadopi. Afin de se renseigner, la députée a transmis ce courrier électronique au ministère de la Culture qui est chargé de défendre la dite loi. Un membre du cabinet de la ministre Christine Albanel a alors réexpédié ce message à... la direction de TF1. Qui a aussitôt licencié l’auteur du courriel !

Le grand cauchemar orwellien

Bien sûr, le président Sarkozy ne porte aucune responsabilité directe dans cette mésaventure. Mais elle démontre à quel point il a verrouillé les médias. Les dirigeants des grands groupes médiatiques ont tellement intériorisé l’influence du président qu’ils devancent ses désirs. Une manière de « surmoi » sarkozyen leur souffle les bonnes décisions.
La liberté d’expression est moins mise à mal par les pressions directes du pouvoir que par cette autocensure qui fonctionne avec l’efficace automaticité d’un réflexe pavlovien. Le grand cauchemar orwellien prendrait-il forme ?

(Ce texte a paru dans une version plus courte à la rubrique « Perspective » de la Tribune de Genève et « Réflexion » de 24 Heures, jeudi 14 mai)

Jean-Noël Cuénod

Messages