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A Peugeot-Sochaux : " L’Europe, c’est vers le bas qu’elle nous tire ! "

Publie le lundi 25 mai 2009 par Open-Publishing

A Peugeot-Sochaux : "L’Europe, c’est vers le bas qu’elle nous tire !"

Evoquer les élections européennes ? Quelle drôle d’idée ! "A l’usine, on n’en parle pas, la plupart s’en foutent et beaucoup ne savent plus pour qui voter après avoir essayé Le Pen, le PCF et Sarkozy, lâche Alain Beauté, 51 ans, ouvrier P3, syndiqué à la CGT. Ceux qui étaient contre le traité constitutionnel, et je peux vous dire qu’on était nombreux chez les techniciens et les ouvriers, ont aussi vu comment leur vote a été contourné par la suite, alors bonjour l’abstention ! Je me demande qui serait capable de vous dire la date du scrutin ou les noms des têtes de listes. Les copains ont d’autres soucis."

L’usine. Le centre de production de PSA à Sochaux (Doubs). "La Peuge", comme on la surnomme encore dans cette région industrielle du nord-est de la Franche-Comté, malmenée par la crise. Avec affection et nostalgie, sans trop s’attarder sur ses dénominations successives. Quelle importance si la marque Citroën est désormais accolée à Peugeot aux divers frontons du site, "du moment qu’on a du boulot..."

Sochaux, à l’époque de la "grande fierté", fin des années 1970, c’était 42 000 salariés. "On faisait tout", se souvient Pascal Meyer, 53 ans, cheveux longs et tee-shirt noir. Aujourd’hui, ce retoucheur qualité, "trente-cinq ans d’ancienneté", sait que l’effectif n’est plus que de 12 000 personnes, "seulement 7 000 à la production", glisse Bruno Lemerle, le délégué CGT.

Spectatrice sidérée des plans sociaux qui déciment sous-traitants et fournisseurs du pays de Montbéliard, la Peuge est inquiète. Grèves et colère des salariés de ces entreprises amies au bord du gouffre alourdissent encore le climat. Certes, la fabrication des 308 et du nouveau Crossover 3008 redonnent du baume au coeur des ouvriers du Lion. Le travail du samedi et la relance d’une petite équipe de nuit sont redevenus d’actualité après les semaines de chômage partiel d’octobre à février et le départ de centaines de "précaires". Mais nul n’ignore que l’équilibre est fragile. Alors, "si on ne parle pas des élections, on parle quand même de l’Europe et de la concurrence des usines automobiles de l’Est...", rectifie Alain Beauté. "Le moral est un peu dans les godasses, on voit ce qui se passe chez Fiat et Opel, des constructeurs vont disparaître, confirme son épouse, Annick, 50 ans, elle aussi employée de fabrication. On nous met la pression en permanence. Il faut être compétitifs. Sinon on sait que ces usines de l’Est peuvent nous piquer notre boulot, que notre travail y sera délocalisé et qu’on se retrouvera comme des cons..."

En Slovaquie ou en République tchèque, où Peugeot a investi, un salarié coûte environ 50 % moins cher, "autour de 700 mensuels contre 1 400 à 1 700 chez nous", note Bruno Lemerle. "A Sochaux, la moyenne d’âge est de 46 ans, là-bas ils sont plus jeunes, ont moins de maladies professionnelles et peuvent supporter des cadences élevées, complète Alain Beauté. En plus, c’est eux qui font les petits modèles, les 107 et les 207, qui profitent en priorité des primes à la casse. Mais, dans les années 1980 et 1990, à l’époque où Jacques Calvet dirigeait PSA, il ne faut pas oublier que c’est le succès de la 205 qui nous avait sauvés..."

"LE ROSÉ... J’HALLUCINE !"

Que Peugeot donne du travail à ces ouvriers "d’ailleurs", que le contribuable français participe au redressement de leurs pays via les fonds communautaires ne choquerait pas les salariés de Sochaux s’il ne s’agissait que de répondre à la demande locale. "Mais 90 % de la production tchèque est réimportée. C’est comme la Roumanie avec Dacia. On les paye pour qu’ils se développent chez eux, pas pour qu’ils viennent nous flinguer !" s’insurge Pascal Meyer. "On n’en serait pas là si l’Europe était d’abord sociale, si elle harmonisait la durée du travail et les salaires en les tirant vers le haut, estime Cécile Métais, 54 ans, dont trente-trois ans à la chaîne de montage. Seulement, c’est vers le bas qu’elle nous tire, l’Europe !"

Eux aimeraient que Bruxelles se penche sur les problèmes "de la vraie vie" plutôt que sur l’obtention d’un vin rosé par mélange de rouge et de blanc. "Le rosé... j’hallucine !", s’agace Annick Beauté. "J’en bois pas !", ricane Pascal Meyer. "Le débat sur l’adhésion de la Turquie n’est pas raciste, reprend Alain Beauté. Le fond du problème, c’est que les salariés refusent l’arrivée d’un pays à la main-d’oeuvre encore moins chère."

Le pire, pensent-ils, est que "l’Europe entière a peur". La preuve ? En octobre 2008, la CGT a reçu des syndicats tchèques et slovaques du groupe. "Ils sont conscients d’être dans des usines tournevis, sans bureaux d’études, où l’on emploie des ouvriers peu qualifiés à faire du montage, donc des usines assez facilement déplaçables plus à l’Est si leurs salaires venaient à être jugés trop élevés", confie Bruno Lemerle.

S’ils conçoivent que l’Europe "apporte beaucoup à d’autres catégories plus favorisées", les ouvriers de la "Peuge" ne s’y reconnaîtront que si elle s’intéresse à eux "et pas au business", tranche Annick. "On la ressent comme une menace pour nos emplois, une nébuleuse qui organise la concurrence entre salariés, où le néfaste l’emporte sur le positif", dit Pascal Meyer. "Avec le programme Reach, elle a quand même réglementé l’usage des produits chimiques dangereux par les salariés de l’industrie automobile", glisse Bruno Lemerle. "Ouais...", admet Pascal Meyer, du bout des lèvres.

Jean-Pierre Tenoux

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