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Loppsi pire qu’Hadopi pour l’avenir du Web et les libertés ?

Publie le mardi 26 mai 2009 par Open-Publishing

Jean-Michel Planche
PDG de Witbe

par Vincent Delfau

Jean-Michel Planche, PDG de Witbe, intervient dans plusieurs organismes et commissions, dont la CCRSCE (Commission consultative des réseaux et services de communications électroniques), qui a été consultée sur le projet Loppsi (loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure).

(18/05/2009) - LeMondeInformatique.fr :
Le projet de loi Loppsi est-il pire qu’Hadopi pour l’avenir du Web et les libertés des internautes ?

Jean-Michel Planche : Cela procède de la même logique. Une fois mis sous contrôle les postes des utilisateurs [avec les logiciels mouchards que prévoit Hadopi, NDLR], il faut contrôler les infrastructures. Sauf qu’Internet est un réseau d’échange et pas de diffusion. On va le transformer en réseau de diffusion au profit de quelques-uns, qui ne sera plus au bénéfice de tous. Concrètement, en théorie, le quotidien des internautes ne sera pas affecté par les dispositions de Loppsi. Mais plusieurs problèmes se profilent néanmoins. L’internaute moyen va penser qu’avec le filtrage imposé par Loppsi au niveau des FAI, la situation est sous contrôle et qu’il peut continuer à dormir tranquille. Seulement, ses enfants ne seront pas plus protégés en réalité. Une tendance de faux sentiment de sécurité va donc naître.

D’autre part, on va mettre en place au sein même de l’infrastructure des systèmes télépilotés par le ministère de l’Intérieur, qui confèrent la capacité de savoir qui a le droit de parler avec qui. Aujourd’hui, cela est fait pour lutter contre la pédopornographie. Mais qui peut dire que, demain, on n’étendra pas ce filtrage aux jeux en ligne, aux sites d’information qui déplaisent, etc. ? Loppsi insère l’obligation de filtrage dans la LCEN [Loi pour la confiance dans l’économie numérique, NDLR] mais sans préciser que cela ne doit concerner que la pédophilie.

Si on en croit votre dernier billet de blog, c’est la nature même d’Internet qui serait menacée ?
Avec Hadopi, les backdoors [portes dérobées, NDLR] sont placées dans les postes des Français. Avec Loppsi, ils intègrent les infrastructures des opérateurs. Au total, la capacité voit le jour de créer un trou noir de tout le trafic, c’est le modèle chinois, c’est encore mieux que le contrôle de Youtube par Pakistan Telecom. En réalité, il se prépare une modification profonde et durable du fonctionnement d’Internet pour répondre à des fins particulières. Le filtrage qui sera mis en place pourra être entrepris sur les adresses IP ou les DNS. Mais dans ces deux cas, cela sera inefficace. Il faudra donc remonter d’un cran, au niveau sémantique, c’est-à-dire qu’on ouvrira les paquets, on les dissèquera, on les analysera. Or, Internet n’est historiquement pas un réseau sur lequel tous les paquets IP passent par un ’Checkpoint Charlie’. Par ailleurs, en organisant ce système de filtrage au profit de fins spécifiques, c’est la neutralité du Web qui est menacée. Et quand Internet n’est plus neutre ni ouvert, ce n’est plus de l’Internet. C’est Vinton Cerf lui-même qui le dit.

Quelles peuvent être les conséquences de ce filtrage pour les entreprises ?
Pour les entreprises, mais aussi plus généralement pour tous les internautes, Internet n’a de valeur que grâce aux interconnexions qu’il permet. Dans un cerveau, l’intelligence ne dépend pas du nombre de neurones mais de la quantité de synapses. C’est pareil sur le Web, où le nombre d’interconnexions en détermine la valeur et le degré de liberté. Les entreprises comme les internautes veulent un accès à la connaissance, donc Internet ne doit pas se transformer en réseau de diffusion au profit de quelques-uns. Cela signifierait le passage d’un modèle basé sur l’utilisateur à un autre, centralisé. Quand les utilisateurs d’Internet verront qu’en France toutes les plateformes seront filtrées, ils voudront se réfugier vers des structures réputées non filtrées, sécurisées, comme Google ou Amazon. Les entrepreneurs français feront partie du lot et désireront certainement aller mettre leur compétences à profit dans d’autres pays.

En outre, les mesures de filtrage affecteront le bon fonctionnement d’Internet car il sera impossible de router aussi rapidement qu’aujourd’hui. Il suffit de regarder l’exemple irlandais. Le filtrage mis en place dans ce pays est concomitant à la dégradation de la qualité de la téléphonie sur IP. Ce n’est pas qu’une coïncidence.

Si le filtrage au niveau des FAI n’est pas la bonne solution pour lutter contre la pédopornographie, quelle devrait être la voie à suivre ?
Il est évident qu’il faut faire quelque chose contre ce phénomène, il aurait même fallu prendre la mesure du problème il y a longtemps. Quant au filtrage, c’est un mal absolument nécessaire, qui doit être encadré et fait avec éthique. Il ne faut pas que le contrôle incombe à l’Administration mais à l’utilisateur, qu’il soit situé au plus près des utilisateurs, c’est-à-dire sur la box Internet. Le moyen de filtrage doit fonctionner avec des listes noires - secrètes, élaborées par les services de police - et être placé sous le contrôle du chef de famille, qui doit pouvoir le désactiver et le réactiver quand il le veut. Parallèlement, il faut éduquer nos enfants, c’est là que réside 50% de la solution, leur expliquer qu’ils ne doivent pas diffuser leur adresse, pas parler avec ceux qu’ils ne connaissent pas, etc. En réalité, le problème n’est pas Internet mais l’entrée dans la civilisation du numérique. Or, avec Loppsi, on essaie de régler les problèmes d’une société avec les moyens d’une autre.

http://www.lemondeinformatique.fr/entretiens/lire-loppsi-menace-la-nature-meme-d-internet-127.html