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L’obsession de l’insécurité est toujours aussi celle du contrôle

Publie le mardi 30 juin 2009 par Open-Publishing

Par William Bourdon
Edition : Les invités de Mediapart

L’avocat William Bourdon, spécialisé dans la défense des droits de l’homme, analyse la méthode de Nicolas Sarkozy, réagissant systématiquement aux faits divers et enfonçant un nouveau coin sécuritaire dans la foulée.

La manière dont Nicolas Sarkozy partage mais aussi exploite l’émotion collective, est aujourd’hui de plus en plus dévastatrice et obscène.

L’improvisation des réformes projetées nuit à la légitimité de certaines d’entre elles et l’hystérie dans laquelle elles baignent les corrompt plus qu’elle ne les embellit. Là où il faut penser long terme pour précisément agir vite, notre Président a tendance à pratiquer l’inverse de sorte que l’urgence créée en aval est source infiniment plus de difficulté et de retard que si le temps de la réflexion avait été pris.

Personne cependant ne peut être dupe, cette surenchère dans le discours sécuritaire est orchestrée, scénarisée, elle a son corollaire également, l’accentuation du contrôle social.

On voit tout d’abord que loin de protéger les victimes, ce qui s’annonce aujourd’hui, va les desservir. Le profil de celle qui a succédé à Rachida Dati ne va pas nécessairement dans le sens de l’apaisement.

Chaque nouveau fait divers permet à Nicolas Sarkozy de mettre en scène, avec force rodomontades, l’Etat protecteur des faibles.

Sont stigmatisées immédiatement les intolérables erreurs individuelles, leurs auteurs rapidement convoqués sinon bannis.

Une loi sécuritaire est toute aussi vite adoptée dans la précipitation et le plus souvent, sans concertation.

Or, il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que l’addition de la loi du 10 août 2007, renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs (mais qui institue les peines planchers), et d’une surpopulation carcérale que rien n’arrête ne peuvent, pour des raisons mécaniques, que fabriquer plus de victimes demain.

Simultanément, en effet, la part budgétaire consacrée à l’éducation surveillée, à la réinsertion et le suivi post carcéral baisse. Les prisons n’ont jamais été autant des machines à fabriquer du désespoir, et au-delà le plus souvent, de la récidive. Par ricochet, ce désespoir nourri de la colère et de la rage, celle des surveillants, victimes collatérales du fanatisme sécuritaire.

Le taux de suicide actuel n’alarme guère et quand un grand médecin rédige un rapport sur la question (le Docteur ALBRAND), son rapport est si dérangeant qu’il en est anesthésié.

Le Gouvernement ment par ailleurs, lorsqu’il explique que les peines planchers n’amorcent pas une américanisation de la justice puisqu’à coup de circulaires on exige bien chaque jour des juges, leur application immédiate.

Or, ces peines planchers mettent à mal un principe fondamental de l’Etat de droit, c’est-à-dire l’obligation du juge d’individualiser la peine qu’il prononce.

Les "garanties exceptionnelles d’insertion ou de réinsertion" que le prévenu doit présenter pour que, en cas de seconde récidive de crime ou de délits violents, le juge puisse déroger à la "peine plancher" imposée par le législateur se révèlent extrêmement difficile à apporter par des populations souvent très précarisées.

L’imposture est donc absolue et toutes ces victimes futures seront à nouveau "réescomptées" pour alimenter le discours sécuritaire.

Par ailleurs, une société sécuritaire ne peut se construire que si elle s’accompagne d’un contrôle serré de ses agents. En effet, si l’on veut faire de la justice "un business" ou l’instrument de surveillance des intérêts les plus proches du pouvoir, il faut raccourcir les rênes et écarter les impertinents.

N’est ce pas également ce qui est fait, avec des variantes, toujours au nom de la modernité dans l’enceinte universitaire, hospitalière et médiatique.

Les logiques sécuritaires et de contrôle se nourrissent mutuellement et alimentent le bal des courtisans et des intrigants puisqu’elles conduisent aussi à transformer ceux qui sont nommés en éternel redevable surtout si l’on sait instrumentaliser les frustrations accumulées, respectables ou non.

C’est toujours au nom de la vertu de l’efficacité que des Hauts magistrats de la Cour d’Appel de PARIS, aux termes des réformes internes distillées sans concertation depuis plusieurs mois, ont été mis à l’écart.

Cette obsession du contrôle qu’incarne Nicolas Sarkozy, elle contient en germe les virtualités d’un maillage des citoyens inédit. Monsieur Axel TURK, Président de la CNIL, le 20 janvier 2009 et plus récemment, n’a pas eu des mots assez durs, pour dire le danger que représentait pour les libertés publiques, l’état du fichier de police STIC.

On va contrôler toujours avec la suppression annoncée du Juge d’Instruction, vouée opportunément aux gémonies qui sera remplacé par un Parquet, maître, indépendant et impartial de l’enquête.

Alors même que la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans une décision retentissante (arrêt Medvedev rendu le 10 juillet 2008) a rappelé que le Procureur de la République en France n’est pas une "autorité judiciaire" car il lui manque l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif...

Tout ceci, alors que notre régime a montré son incapacité et son refus absolu de donner au Parquet des véritables garanties d’indépendance, alors que le pouvoir n’a jamais été aussi concentré et hyper présidentialisé, alors que l’immixtion du politique dans le judiciaire n’a jamais été aussi forte, comment croire à une telle blague ?

Enfin, seulement 4 % des affaires pénales sont soumises au Juge d’Instruction (contre 40 % en 1960) mais ce sont celles qui sont le pouls des démocraties modernes parce qu’elles affectent, par leur importance ou leur complexité, des décideurs politiques ou économiques. Ce sont ces affaires où l’exigence du respect de séparation des pouvoirs est la plus forte et la tentation de s’en moquer la plus grande.

On contrôle toujours, avec le projet de loi qui vient d’être adopté et qui vise à "sanctuariser" le secret défense de telle sorte que certaines informations seront totalement inaccessibles au Juge d’Instruction. Ce sont de véritables zones de non droit qui vont ainsi s’ériger, hors tout contrôle du juge, c’est la signature d’une funeste dérive. Au même moment, on prévoit d’envoyer en détention ceux qui refusent de baisser leurs cagoules.

On veut contrôler toujours et plus, maintenant les cartables des enfants, demain peut-être ceux des étudiants, après demain les ouvriers si la crise sociale continue à nourrir à la fois le discours sécuritaire et les actes de désespoir telle que la séquestration des dirigeants ou des actes de sabotage de l’outil de travail.

Certes, dans un ballet bien réglé on fait mine ici ou là de reculer mais la rhétorique consistant à renoncer à des dispositions outrancières en forme de concessions démocratiques commence à s’user. Dans le même temps, un mineur de six ans est intercepté et placé en garde de vue de fait dans un commissariat, le Directeur de la police locale se félicitant du fait qu’on ne lui ait pas passé les menottes.

Tout ceci est le prix d’un sinistre mythe, l’Etat pourrait garantir, s’agissant tant des délinquants que des malades mentaux, le risque zéro. Le faire croire n’aboutit qu’à une seule conséquence, aggraver le sentiment d’insécurité, gisement poisseux et éternel du populisme modernisé que nous propose Nicolas Sarkozy.

Il conduit également à assimiler, comme l’a fait notre Président de la République, la maladie mentale à un danger social (c’est lui qui évoque dès décembre 2008, la possibilité du bracelet électronique pour les malades mentaux), les écrits protestataires avec un danger public et leurs auteurs avec des ennemis publics.

Le pouvoir actuel joue donc avec la justice comme avec les autres piliers de notre société : la politique du pire, évidemment sans concertation, parée des vertus de l’efficacité et de la rationalité, c’est cette politique qui va attiser frustrations et colère et renier les libertés publiques comme s’il y avait un "salaire" de la peur qui pourrait faire oublier, tous les doubles langages et les promesses non tenues.

Mediapart