Accueil > Une histoire de fou : campagne loi martin luther king basé sur un faux

Une histoire de fou : campagne loi martin luther king basé sur un faux

Publie le jeudi 2 juillet 2009 par Open-Publishing
1 commentaire

Histoire de faux :
 http://www.lepost.fr/article/2009/0...

Longue réponse en post sur le post :
 http://www.lepost.fr/article/2009/0...

J’ai récemment pris connaissance par l’intermédiaire du billet d’un internaute pro-sioniste de l’existence d’un texte attribué à un illustre militant pour les droits civiques, le révérend Martin Luther King Jr.

Ce texte intitulé « Lettre à un ami antisioniste » daté d’août 1967 révèle un aspect, pour ma part, inconnu du grand leader pacifiste afro-américain à savoir, son profond soutien à Israël et plus encore à la cause sioniste. Pire, il maintient l’idée que derrière tout militant antisioniste se cache un sentiment anti-juif inavoué ou un antisémite convaincu.

Souvent confronté à cet amalgame qui voudrait ranger dans le même panier le militant pour la justice et la paix en Palestine avec le skinhead néo nazi, j’avoue m’être vautré des nues en découvrant une lettre digne de Golda Meir[1] en plus poétique signée de la main d’un King parmi les justes qui aura lutté tant et sans violence contre la ségrégation raciale dans l’Amérique des années 50-60.

C’était à ne plus rien comprendre.

Pour ne pas perdre son latin [2]

Ma première réaction au billet reproduisant la traduction in extenso de la « Lettre à un ami antisioniste » fut la même que celle de Rex Nirvana qui commence son commentaire par « Comme quoi, on peut être un guide et dire des énormités ». Cette phrase résume parfaitement le raisonnement du posteur apologiste d’Israël qui en citant Martin Luther King verse dans une logique non valide, un argument ad verecundiam.

L’argumentum ad verecundiam est un argument à logique fallacieuse souvent illustré par l’adage « le chef a toujours raison ». Il s’agit d’une faute de logique qui consiste à citer une source considérée comme faisant autorité dans un domaine afin de défendre une position dans un autre domaine alors que ladite autorité n’a aucune compétence particulière en cette matière. En l’espèce, aussi profondes soient les visions du Dr King dans la lutte antiraciste qu’il a menée et aussi noble fût son militantisme non violent dans la reconnaissance en droit de tous les descendants d’esclaves noirs américains, rien ne permet d’affirmer que cela fit de lui un commentateur éclairé du conflit moyen-oriental, ni de la portée idéologique du sionisme.

Pour autant, le posteur en question n’est pas à son premier sophisme. Dans un autre post « Multiplication des actes antisémites : Jusqu’où ira-t-on ? », il n’hésite pas à comparer l’incendie criminel d’un entrepôt de produits cascher avec l’ignominie de la Nuit de Cristal (kristallnacht). L’argumentum ad misericordiam autrement dit l’appel à la pitié, à l’émotion m’a évidemment outré, à l’instar de Vixa qui écrira : « Ce post me fait froid dans le dos : oser mettre la croix Jude avec Krystal Nacht et cette photo de cette triste nuit de votre part pour justifier vos propos, là, je ne vous comprends absolument pas… ».

Bref, je m’apprêtais à faire part de mes considérations aristotéliciennes dans un commentaire bien senti sur irrecevabilité de cette preuve à charge pour les militants antisionistes, et ce, quitte à m’exposer à l’ironie mièvre à laquelle ce posteur se livre en lieu et place d’argumentation quand ce n’est pas l’invective personnelle d’une rhétorique de maternelle – lorsque je lus à nouveau cette fameuse « lettre à un ami antisioniste ».

De manière empirique, en excluant toute donnée idéologique sioniste ou autre, il est juste d’affirmer que la création de l’État d’Israël est née sur deux terribles malheurs antagonistes, celui des juifs d’Europe, rescapés d’un holocauste, en quête de paix et de sécurité bien méritée contre celui des arabes de Palestine contraints d’abandonner, sans espoir de retour, cette terre ancestrale qui était la leur[3]. Ainsi, comment se fait-il qu’un homme de paix profondément humain comme l’était à n’en jamais douter Martin Luther King puisse ignorer l’injuste expulsion de trois quarts de million d’arabes innocents dans un texte où il parle de « l’idéal du peuple juif de retourner vivre sur sa propre terre » ?

Au regard de cet incompréhensible oubli et des méthodes du posteur à l’origine de ma réflexion, des méthodes qui procèdent, soit de la malhonnêteté, soit de l’obstination dans l’erreur ou tout simplement d’un copié/collé hâtif, je fus pris d’une certitude : cette lettre est tronquée ou elle est retirée de son contexte. Après de longues recherches sur la toile et sur des sites pas toujours en français, j’en viens à lever le mystère du titre de ce billet.

La « lettre à un ami antisioniste » n’existe pas. C’est une invention, un faux dans ce qu’il y a de plus absolu.

La chronique des faussaires : premier acte

Tim Wise [4] est un écrivain américain juif, militant antiraciste et directeur de l’Association pour une éducation blanche antiraciste (Association for White Anti-Racist Education -AWARE).

Dans son essai publié le 20 janvier 2003 sur l’e-magazine Zmag et intitulé « Une fraude de l’envergure d’un roi : Israël, le sionisme et la falsification des propos de Martin Luther King [5] », l’auteur explique « la seule chose à laquelle je n’aurais jamais pu m’attendre, de la part de quiconque, c’est que l’on vienne inventer une citation de King ; une citation qu’il n’a, tout simplement, jamais faite, et prétendre qu’elle provient d’une lettre qu’il n’a jamais écrite, et qui aurait été publiée dans un recueil de ses essais qui n’a jamais existé. Franchement, un tel niveau de tromperie a vraiment quelque chose de spécial ».

Tim Wise fait donc allusion à ce faux qui circule sur internet depuis maintenant une dizaine d’années et dont le titre original est « Letter to an Anti-Zionist Friend ». Il établira avec d’autres les origines de cette contrefaçon.

L’origine du faux

Le scripteur du faux attribué à MLK est le rabbin orthodoxe new-yorkais, Marc Schneier [6]. Dans son ouvrage publié en novembre 1999 « Rêves partagés : Martin Luther King Jr. et la communauté juive [7] », l’auteur cite cette lettre pour la première fois. En découvrant ce texte « inédit », Tim Wise remarque que « la lettre était [par ailleurs], remplie de fautes de grammaire que tout lecteur à demi cultivé des œuvres de Martin Luther King aurait trouvée étrangères à son style et à sa manière d’écrire ».

Après ce premier constat, Wise s’est intéressé aux références de la prétendue lettre citées dans le livre du rabbin, il relève deux sources : l’écrit aurait été publié à la page 76 du numéro d’août 1967 de la Saturday Review et il figurerait également dans l’anthologie des œuvres de King intitulée « Ce que je crois : morceaux choisis des écrits du Dr. Martin Luther King Jr ». Concernant la fameuse anthologie, elle n’existe simplement pas [8]. Quant à la Saturday Review, Tim Wise démontre qu’« elle n’a existé qu’en quatre livraisons, en août 1967. Deux de ces quatre numéros, seulement, comportent une page 76. Une des deux pages 76 comporte des petites annonces et l’autre comporte une critique de l’album des Beatles parue sous le titre « Sergeant Pepper ». Pas plus de lettre de MLK que de beurre en branche ».

Les conséquences de la duperie

Le texte faussement attribué au révérend King, établit un fait : critiquer le sionisme équivaut à de l’antisémitisme. Pour illustrer ce principe, le ou les auteurs de la falsification n’hésitent pas à faire un rapprochement entre ceux qui critiquent le nationalisme juif tel qu’il est incarné par Israël, et ceux qui refusent de reconnaître des droits aux noirs. Ce postulat emporte quelques conséquences.

La plus absurde intéresse les personnalités juives qui réprouvent les excès de l’idéologie sioniste. En effet, prétendre que Stéphane Hessel, Ronny Brauman, Tim Wise et tant d’autres entendent en réalité attaquer les juifs, lorsqu’ils dénoncent Israël et le sionisme, relève du ridicule.

Une autre conséquence irrespectueuse celle-là affecte le legs de Martin Luther King. Un noble héritage pour lequel la décence devrait interdire tout bidouillage au service d’agendas idéologiques, qui sont sans lien avec l’homme et qu’il n’aurait surement pas cautionnés.

Le plus dramatique dans tout cela, c’est qu’en écartant d’un revers de la main toute critique des méthodes et des conséquences de la fondation d’Israël au motif diffamatoire qu’une telle position est antisémite, les thuriféraires d’Israël dénient totalement la légitimité de la narration palestinienne c’est-à-dire ces expériences vécues qui n’apparaissent nulle part dans l’écrit fabriqué de toutes pièces.

Puisqu’enfin, il serait plus vraisemblable de qualifier d’antisémite toute réprobation envers Israël, si celui-ci eût été fondé et développé sur un territoire incontesté, ce qui n’est malheureusement pas le cas de la Palestine.

Les relais du mensonge

Poussant « comme champignon après la pluie » à la suite de l’ouvrage de Marc Schneier publié en 1999, Tim Wise constate que « le caractère inauthentique n’a pas empêché ce texte de connaître une longue vie » sur le web anglophone et francophone. Afin de séparer les négligents des malhonnêtes, il est intéressant de considérer les références au faux grossier selon qu’elles ont été citées avant ou après l’essai de Tim Wise de janvier 2003.

Liste non exhaustive :

Michael Salbert, de l’Anti-Defamation League (la maison mère américaine de la Licra), reprend les fausses citations, le 31 juillet 2001, au cours de son audition par la Sous-commission des Relations internationales de la Chambre des Représentants des États-Unis, chargée des Opérations internationales et des Droits de l’Homme. Mort Zuckerman, éditeur en chef d’US News & World Report, cite la lettre dans son éditorial du 17 septembre 2001. Warren Kinsela prit sa suite, dans un article pour la revue Maclean’s, le 20 janvier 2003. La revue Commentary, plus connue pour son zèle idéologique que pour sa totale absence de scrupules en matière de vérité factuelle, a publié, en octobre 2002, un article de Natan Sharansky, dans lequel il citait le faux passage en bloc.

En France, le 24 janvier 2002, la lettre est publiée entièrement sur le site de l’UEJF (Union des Étudiants Juifs de France), la lettre est toujours en ligne sur le forum de UEJF de Nanterre, sans aucun erratum. Contrairement à UPJF (Union des Patrons et des Professionnels Juifs de France) qui aura l’éthique de retirer la lettre en précisant qu’elle est fausse. Le CRIF aura également eu l’honnêteté de supprimer le faux de son site.

Enfin, le 22 janvier 2009, sur LePost, l’internaute par lequel j’en suis venu à cette analyse, se fait le relai de l’intox en citant au bas de ce billet des références qui n’existent pas. L’article est encore en ligne.

En règle générale, Tim Wise observe que « toutes sortes de groupes pro-israéliens (depuis les sionistes traditionnels jusqu’aux Likoudiens d’extrême-droite, jusqu’aux chrétiens sionistes qui prônent l’envoi d’un maximum de juifs en Israël afin d’accélérer le retour de Jésus) ont utilisé ce texte sur leurs sites web ».

Répétez un mensonge cent fois, il n’en deviendra pas une vérité pour autant.

Épilogue 1

Pour qu’un canular ait une chance d’être gobé, il faut bien sûr une part de vérité. Cette règle n’a pas échappé au rabbin Schneier qui aura pris soin de faire préfacer son livre par Martin Luther King III, fils du Dr King et du coup, de donner le sentiment de la bénédiction de la famille King.

Ainsi, Tim Wise, dans son article du 20 janvier 2003, prouve définitivement que Martin Luther King Jr. n’a jamais écrit la « lettre à un ami antisioniste » confirmant ce qu’une association fanatiquement pro-israélienne, le CAMERA [9], sous-entendait déjà un an plus tôt dans l’article du 22 janvier 2002 intitulé « Alerte CAMERA : La lettre de Martin Luther King, une mystification ». Ce comité comparait alors la lettre à un possible plagiat du fameux discours authentique celui-là « I have a dream ».

Deuxième acte ou « Bon d’accord, il ne l’a pas écrit, mais il l’a dit »

Dans un commentaire du 29 janvier 2009, je préviens le posteur que cette lettre n’existe pas. Bien que la nuit puisse porter conseil, il arrive parfois qu’elle nous conforte dans l’erreur. Aussi, au lieu de supprimer son post ou de préciser que la lettre n’est pas du fait de Martin Luther King, mais de celui de Marc Schneier, l’internaute persiste et signe un second article intitulé « Martin Luther King et Israël ».

Verbatim du second post litigieux et preuves d’une seconde falsification de la mémoire du regretté révérend Martin Luther King

Un ami soucieux de vérité et passionné par le judaïsme, a eu la gentillesse de m’informer que « La lettre à un ami sioniste » de Martin Luther King était considérée comme un faux.

Sur le ton ironique auquel je fais référence au début de cet article, le posteur semble me décrire comme un individu nourrissant une curiosité malsaine pour le judaïsme. De sorte, il fait du sionisme et du judaïsme une seule et même philosophie. Je me dois de tordre le cou à cette fausse assertion et de préciser que le sionisme est une idéologie politique fondée sur un nationalisme israélien qui a vu le jour bien après la naissance de la tradition religieuse juive, pendant l’émergence au XIXème siècle du nationalisme européen, et avant la création de l’État d’Israël de 1948. Donc, l’amalgame qui veut joindre judaïsme et sionisme relève de la même logique insidieuse qui veut associer antisémite et antisioniste. Notons que le sionisme fut considéré entre 1975 et 1991 comme une forme de racisme par les Nations Unies. Est-ce que cela veut dire que pendant cette période les juifs étaient considérés par l’ONU comme racistes ? Bien sûr que non.

En effectuant quelques recherches sur le net, je me suis aperçu que cette polémique n’était pas récente. Devant la complexité du problème soulevé par mon ami, je me bornerai à reproduire un extrait d’article publié en 2004 sur le sujet.

Il n’y a pas plus de polémique que de complexité, la lettre est un faux avéré et les organisations parmi les plus pro-israéliennes telles que le CAMERA, le CRIF ou encore UPJF ont admis la supercherie depuis 2002.

Cet article s’intitule « Luther King et Israël » puisque dans cette polémique, il ne s’agit que de ça.

Je me garderai de dénoncer en vous quelques onces de mauvaise foi, seulement quand on se fait le relai d’une intox, il faut rectifier la chose. S’il n’eût été question que de MLK et Israël, le présent article n’aurait pas vu le jour. Seulement, la publication de cette fausse lettre dénonce explicitement toute critique envers l’idéologie sioniste comme une déclinaison de la haine des juifs. Ce qui est intellectuellement fallacieux et moralement détestable au regard de la mémoire de Martin Luther King.

Cela n’exclut pas la possibilité qu’il existe dans le rang des opposants à Israël quelques sombres antisémites. Bien entendu, la cause palestinienne, comme tous les mouvements, est exploitée par des gens qui ont d’autres desseins moins nobles, à l’instar de David Duke [10] et d’Oussama Ben Laden. Cependant, les déclarations en trompe-l’œil ou d’une généralité nauséabonde, dans quelque sens que ce soit, ne sauraient tromper l’opinion en la matière.

Extrait de l’article publié sur le site primo-Europe :

En ces moments particulièrement propices au négationnisme, il n’est pas rare de voir des groupes plus ou moins bien intentionnés contester la légitimité de telle ou telle citation. Nous avons donc voulu vérifier l’authenticité des sources indiquées en fin de citation.

Il est à noter que le site primo-Europe[11], est un site web profondément pro-israélien. Notons également que lorsqu’un article débute par « En ces temps de négationnisme », cela signifie qu’il vous sera bientôt demandé de vous fixer sur l’émotif et de ne plus avoir recours à la raison. Si le négationnisme est le fait de contester ce qui a eu lieu, pour le cas de la fabrication des propos de MKL, nous serions dans un cas d’« affirmationnisme », c’est-à-dire approuver un fait qui n’a aucun fondement. Ces deux notions demeurent parfaitement amorales.

Le message contenu dans cette « lettre » contestée, a été prononcé de manière indéniable par Martin Luther King Jr., lors d’un discours à Harvard, en 1968, au cours duquel il a déclaré : « Lorsque les gens critiquent le sionisme, ils veulent dire les Juifs. Il s’agit d’antisémitisme ». [from “The Socialism of Fools : The Left, the Jews and Israel” by Seymour Martin Lipset ; in Encounter magazine, December 1969, p. 24]

L’auteur de cet article, Albert Capino qualifie la lettre en tout euphémisme de contestée, bien qu’elle n’ait jamais existé, comme il l’avouera difficilement à la fin du papier. Il reprend ensuite une citation attribuée à Martin Luther King, qui ressemble étrangement à la dernière phrase de la lettre qui n’existe pas, à laquelle fait référence le sociologue de droite et fanatiquement pro-israélien, Martin Lipset dans son essai « The Socialism of Fools : The Left, the Jews & Israël » (Le Socialisme des imbéciles : la gauche, les juifs et Israël). Cette citation aurait été prononcée dans un discours peu avant la mort de MLK, à Cambridge, dans l’université de Harvard.

Cependant, un article, coécrit par F. Kiblawi et W. Youmans [12] datant de 19 janvier 2004 et intitulé « Les apologues d’Israël et les fausses déclarations attribuées à Martin Luther King Jr », démontre que ce discours n’a jamais eu lieu :

Dans un article de la revue universitaire Harvard Crimson, paru le 4 août 1968, intitulé « Que s’est-il passé depuis que vous n’êtes plus parmi nous ? (While You Were Away) », il y est écrit : « Le révérend Martin Luther King est venu à Cambridge pour la dernière fois il y a tout juste un an aujourd’hui : c’était le 23 avril 1967 ». Si c’est exact, le Dr. King n’a pas pu se trouver à Cambridge en 1968.

Martin Lipset affirmait qu’il [MLK] était venu dans le cadre « d’une kermesse de charité », ce qui semblerait indiquer une visite entourée d’un minimum de publicité. Pourtant, un inventaire exhaustif des publications, effectué par le Martin Luther King Jr. Papers Project (Projet des archives de Martin Luther King Jr), de l’Université Standford, fait état de plusieurs discours prononcés par le pasteur en 1968. Aucun d’entre eux n’a été préparé en vue d’une visite à Cambridge, ou Boston.

La première trace de la « lettre » émane d’un livre respectable datant de 1999 (“Shared Dreams,” by Rabbi Marc Shneier), dont la préface a été écrite par Martin Luther King III. Dans la mesure où la famille King a la réputation d’être extrêmement prudente s’agissant de l’héritage du Dr. King, on part du principe qu’elle ne l’aurait endossé sans avoir vérifié.

La preuve est faite que la lettre est un faux. Il faut souligner que l’article de primo-Europe date de 2004, soit deux ans après l’erratum de CAMERA. À ce stade, il est difficilement possible d’admettre la négligence d’Albert Capino.

Dans la mesure où le contenu de la « lettre » (l’antisionisme est de l’antisémitisme) correspond à un message exprimé de manière authentique par le Dr. Martin Luther King, on comprend pourquoi la famille King et l’Anti Defamation League n’ont pas éprouvé le besoin de vérifier dans le texte la “Lettre à un ami antisioniste”.

Comme il est précisé plus haut, Michael Salbert, de l’Anti-Defamation League, reprend les citations de la fausse lettre issue du livre du Rabbin Marck Schneier et non pas du soi-disant discours à Cambridge. Dans les deux cas, l’assertion l’antisionisme est de l’antisémitisme, n’a jamais été affirmée par le bon docteur King. Albert Capino tente simplement de justifier la négligence de la maison mère de la LICRA qui n’aura pas su consacrer le modeste temps nécessaire à la vérification des sources primaires.

Si l’on ne peut utiliser le terme de « faux » quant à la forme, encore s’agit-il d’une extrapolation lyrique à partir d’un exposé parfaitement authentique.

L’extrapolation se définit par le fait d’une généralisation à partir de données partielles. Ce qu’il faut entendre par « extrapolation lyrique », c’est que c’est du pipeau. Cette phase est à traduire par : le fond est « bidon » et la forme, c’est du mirliton.

Dans un discours, le 25 mars 1968, moins de deux semaines avant sa mort, Luther King a déclaré : « la paix pour Israël signifie la sécurité, et nous devons tous peser de toutes nos forces pour protéger son droit d’exister, son intégrité territoriale. Je vois Israël comme l’un des avant-postes majeurs de la démocratie dans le monde, et un merveilleux exemple de ce qui peut être réalisé, comment un désert peut être transformé en une oasis de fraternité et de démocratie. La paix pour Israël signifie la sécurité, et cette sécurité doit devenir une réalité ».

Enfin, un discours authentique de Martin Luther King. Albert Capino sait lui aussi que pour faire un bon mensonge, il faut une petite part de vérité. Notons qu’il n’est nulle part mentionné, dans ce passage, une quelconque corrélation entre antisioniste et antisémite. Il est vraisemblable de penser que cet extrait est le point de départ des falsifications qui ont suivi et la digression qui aura faussement conclu au fait que l’antisioniste est un antisémite. En tout état de cause, ce discours est bien entendu tronqué. On ne peut évidemment pas imaginer Dr King, l’homme de paix et de justice, ignorant la souffrance des arabes. Sur ce point, l’analyse de Tim Wise est la suivante :

« À l’époque [du discours de MLK du 25 mars 1968], le principal sujet de préoccupation d’Israël était l’hostilité de l’Égypte ; et, bien entendu, tout le monde admettrait que tout pays a le droit de n’être pas attaqué par un voisin. Les USA avaient le droit de ne pas être attaqués par l’URSS, eux aussi ­ comme King en aurait sans aucun doute convenu, affirmant, du même coup, le droit des USA à exister. Mais y aurait-il quelqu’un pour affirmer qu’un sentiment de cette nature aurait impliqué le droit des USA à exister dans la forme qui était la leur, disons, en 1957 ou en 1961, au temps de la ségrégation raciale ? Bien sûr que non !

Idem pour Israël. Son droit à l’existence au sens où il ne doit pas être détruit violemment par des forces hostiles ne signifie nullement qu’il ait le droit à exister en tant qu’État juif en tant que tel, par opposition à l’État de tous ses citoyens. Cela ne signifie nullement qu’il ait droit à des lois qui confèrent des privilèges spéciaux aux juifs du monde entier, au détriment des indigènes arabes.

Il convient aussi de noter que, dans le paragraphe même où MLK réaffirmait son soutien au droit à l’existence d’Israël, il affirmait l’importance qu’il y avait à apporter une aide publique massive aux Arabes du Moyen-Orient, sous la forme d’un Plan Marshall, afin de lutter contre la pauvreté et le désespoir, qui conduisent trop souvent à l’hostilité et à la violence envers les juifs israéliens.

De manière éloquente, ce passage de la définition de la position de MLK est ignoré par la communauté juive organisée, même si elle est au moins aussi importante que sa position sur l’intégrité territoriale d’Israël. »

En conclusion, même si la fameuse « lettre » doit effectivement être écartée, il est hors de doute que Luther King ait été un authentique soutien pour Israël, le Sionisme et les Juifs en général.

Tout ça pour dire que la lettre doit être écartée, c’est une douce antiphrase pour dire qu’elle est complètement inventée. J’écris plus haut que lorsqu’un article commence par « en ces temps de négationnisme », il faut vous attendre à doucement abandonner la raison. Albert Capino conclut par le fait que cette lettre est fausse et pourtant, notez le champ lexical de son papier, comptez le nombre de fois où il figure l’adjectif « authentique » ou les mots qui s’y réfèrent. Cet article est une propagande pro-israélienne d’une bien mauvaise facture. À l’instar de celle dénoncée par F. Kiblawi et W. Youmans :

« Un autre personnage, qui a exploré cette question, quoi que cavalièrement, a néanmoins trouvé le moyen d’inventer une autre citation peu imaginative du Dr. King. Il s’agit du Dr. Andrew Bostom, professeur de médecine à l’université Brown, auteur d’un article pour la revue Front Page (du 20 janvier 2003) qui avait été repris par le site web de l’ancien Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Dans cet article, Bostom prétendait que Martin Luther King avait eu « le courage moral » d’affronter le discours anti-juif tant de la gauche afro-américaine que des associations musulmanes des États-Unis. Cela ne signifie en rien, bien entendu, que le Dr. Bostom soit une source fiable. En effet, cet article, comporte un passage de 347 mots, qu’il attribue au Dr. King. Il omet de citer une source de cette philippique incongrue. Une rapide recherche au moyen du moteur « Google » montre qu’elle avait été intégralement tirée d’un matériel original publié sur la page d’accueil du site www.yahoodi.com [comportant un copyright daté 2002], ainsi que de généreuses rondelles de la fausse « Lettre à un ami antisioniste ». L’article du Dr. Bostom est sans doute l’écrit bidouillé le moins créatif et aussi sans doute le plus frauduleux. »

’Dernier acte ou « OK, il ne l’a pas écrit pas plus qu’il ne l’a dit, mais il le pense »

Le posteur qui aura inspiré cette longue analyse conclut le second post sur Martin Luther King en ces termes :

Personnellement, je ne sais pas si cette lettre est un faux. Et je n’ai pas la prétention de mettre un terme définitif à une polémique qui manifestement dure depuis plusieurs années.

Je sais par contre que les positions de Martin Luther King sur Israël dérangent clairement ceux qui, par "humanisme", aspirent à la disparition de "l’entité sioniste".

Martin Luther King fut toute sa vie un être extrèmement dérangeant. Parce qu’il parlait directement à nos consciences.

Et même après sa mort, on tente encore de le faire taire.

Cher Carloman, j’en appelle à votre intégrité morale, ayez le courage de vos opinions sionistes sans avoir à évoquer une si grande âme et nourrissez la vôtre de ses enseignements par la lecture de textes authentiques. Quittez vos atours de fossoyeur.

Supprimez les deux posts qui demeurent un affront pour l’homme de paix et de justice que fut le révérend Martin Luther King. Tenez-vous-en à copier/coller ces vidéos de dailymotion d’extrémistes musulmans ou continuez à tenir les statistiques des actes de vandalisme à caractère antisémite du BNVCA. Laissez la propagande pour d’autres sites spécialisés en la matière.

Et puisque vous regrettez tant le silence du Dr King, je vous laisse méditer sur la conclusion de Tim Wise, un juif, un juste…un humain :

« Quant à ce que MLK aurait à nous dire, aujourd’hui, sur Israël, le sionisme et la lutte des Palestiniens, on ne peut que se perdre en conjectures. Après tout, il est mort avant que la tragédie de l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza n’ait pu connaître tout son développement dramatique.

Il est mort avant la conclusion du traité de paix entre l’Égypte et Israël ; avant l’invasion du Liban et les massacres de Sabra et Chatila ; avant l’intifada de 1987 ; avant qu’Israël ait décidé de devenir le supplétif de la politique internationale des USA, en servant d’intermédiaire pour des trafics d’armes en direction des gouvernements d’Afrique du Sud, du Guatemala, ou en aidant à armer des tueurs terroristes au Mozambique, et les contras du Nicaragua.

Il est mort avant la prolifération des colonies illégales dans l’ensemble des territoires occupés ; avant la vague d’attentats suicides homicides ; avant les sondages montrant que près de la moitié des juifs israéliens sont favorables au nettoyage ethnique des Palestiniens au moyen de leur « transfert » dans des pays voisins.

Mais une chose est sûre : MLK aurait sans doute condamné sans ambages la violence palestinienne contre des civils innocents, il aurait aussi condamné la violence d’État d’Israël.

Il aurait condamné les attaques au moyen de missiles contre des quartiers entiers d’habitation, afin d’éliminer une poignée de terroristes recherchés.

Il se serait opposé à ce qu’on remette des mitraillettes à des fanatiques religieux originaires de Brooklyn qui sont allés dans les territoires proclamer leur droit divin à la terre, et le droit à chasser les Arabes de leurs quartiers, ou de les maintenir derrière des barrières, et de perpétrer à leur encontre une multitude de discriminations diverses.

Il aurait protesté contre le partage inique de l’eau entre les juifs et les Arabes. Il aurait protesté contre les barrages routiers dégradants que les ouvriers palestiniens doivent franchir jour après jour pour aller au travail ou rentrer chez eux, après une longue et harassante journée de labeur.

Il aurait dénoncé la politique qui permet aux officiers de l’armée israélienne de tuer des enfants qui lancent seulement des pierres, dès l’âge de douze ans.

En d’autres termes, il aurait très vraisemblablement critiqué les manifestations du sionisme sur le terrain, tel qu’il s’est inscrit dans le monde réel, par opposition au monde de la théorie et de la spéculation intellectuelle.

Ces choses semblent évidentes dès lors qu’on part d’une lecture honnête de ses œuvres ou de l’examen de sa biographie. Il serait un courtier de paix. Et c’est une tragédie, qu’au lieu de King lui-même, nous soyons embarrassés de charlatans tels que ceux de l’Anti-Defamation League, ou de la Fédération juive de Des Moines, ou de rabbins comme un Marc Schneier, qui ne daigne jamais parler des propos authentiques de Martin Luther King, d’une voix qui ne serait pas la sienne propre. »

[1] Golda Meir est une ancienne Premier ministre Israélien, connue comme « la dame de fer » (notamment envers les Palestiniens). On lui doit la fameuse phrase : « La paix viendra quand les Arabes aimeront leurs enfants plus qu’ils ne nous haïssent. » Refusant de reconnaître que les Palestiniens étaient une réalité nationale dotée de droits, elle disait : « Il n’y a rien de tel avec les Palestiniens. Je suis moi-même Palestinienne » signifiant que ces personnes, les Palestiniens, n’ont jamais existé. À lire un article sur la tribune-online.

[2] Quid « La dialectique éristique » (1830-1831), A. Schopenhauer.

[3] Cette terre était la leur par Hannah Mermelstein.

[4] Tim Wise est le directeur de l’Association pour une éducation blanche antiraciste (Association for White Anti-Racist Education -AWARE) à Nashville, Tennessee. Il est conférencier et auteur de textes, publiés notamment par le magazine online Zmag. Il se consacre au combat contre les discriminations racistes et sexuelles et contre les inégalités sociales entre riches et pauvres.

[5] Une fraude à la mesure d’un roi : Israël, le sionisme et la falsification des propos de Martin Luther King par Tim Wise, Zmag, 20 janvier 2003. Titre original : Fraud Fit For A King : Israel, Zionism, And The Misuse Of Mlk. Source (en anglais) et traduit par Marcel Charbonnier (en français dernier texte de la page, n° 27 ).

[6] A l’origine du faux attribué à Martin Luther King Junior, Marc Schneier est un des poids lourds du monde juif aux USA. Son livre Shared dreams (Rêves partagés), paru en novembre 1999, dans lequel se trouve la fausse lettre de ML King, a servi de base à un programme ambitieux de propagande auprès d’étudiants et de lycéens noirs et juifs. Il apparaît très souvent dans des émissions de télévision et a même joué le rôle d’un rabbin dans un film produit par Miramax, The Substance of Fire. Il va sans dire qu’il est un sioniste convaincu.

[7] Titre original : "Shared Dreams : Martin Luther King Jr. and the Jewish Community" by Rabbi Marc Schneier, novembre 1999.

[8] L’anthologie "This I Believe : Selections from the Writings of Dr. Martin Luther King Jr" citée dans le livre du rabbin M. Schneier est une invention. Aucun livre portant ce titre ne figure dans la bibliographie mise à la disposition du public par le King Center d’Atlanta. Il ne figure pas non plus dans les catalogues de plusieurs grandes bibliothèques américaines, tant publiques qu’universitaires.

[9] CAMERA « Committee for Accuracy in Middle East Reporting in America (comité pour l’exactitude des comptes-rendus du Proche-Orient en Amérique) est un groupe pro-palestinien tenant des curieuses conférences du genre de celle sur les diffamateurs juifs d’Israël. Le CAMERA a été récemment cité dans une drôle d’affaire.

[10] David Duke extrémiste de droite, membre du Klu Klux Klan a déploré en parlant de Tim Wise, son « look aryen trompeur ».

[11] Primo-Europe site pro-sioniste, comme en témoigne le genre d’article : "avec des amis juifs et sionistes (non, ce n’est pas un vilain mot, c’est la volonté et la presque réussite d’un peuple en diaspora, persécuté au cours des siècles, de retrouver la terre de ses ancêtres pour y faire fleurir le désert et y vivre en sécurité), je me rendais, donc, à une soirée en l’honneur des gardes-frontières d’Israël, et dédiée à la libération de Guilad Shalit". Paa ailleurs, le site offre une tribune à Pierre-André Taguieff qui, à l’instar du CRIF, dénonce une mise en scène de la mort d’un jeune palestinien de 12 ans lanceur de pierre, Mohamad Al Dura, tué par l’armée israélienne en 2000.

[12] Fadi Kiblawi est auteur et étudiant en droit à l’Université George Washington. Will Youmans est auteur et artiste. Ensemble, ils ont coécrit l’ouvrage The Politics of Anti-Semitism (AK Press, 2003). Ils cosignent le 17 janvier 2004 "The Use and Abuse of Martin Luther King Jr. by Israel’s Apologists" (Les apologues d’Israël et le fausses déclarations attribuées à Martin Luther King Jr.).

Messages

  • En tant que directeur du site sioniste Yerouchalmi, je confirme vos analyses sur le faux du texte qui m’a aussi piégé !
    Tous les sionistes ne sont pas des "roublards" et nombre d’entre eux ont cru à ce texte qui comme vous le montrez a tellement circulé. Ce n’est pas le premier "hoax" du genre.
    Il est vrai que Luther King et c’est indéniable était un ami de la cause sioniste, de l’époque il est vrai, notamment car
    1) beaucoup de protestants voient dans le retour des juifs en Israël une étape nécessaire à la parousie chrétienne finale et
    2) Les juifs des USA ont beaucoup combattu pour la cause noire et que ces combats ont naturellement créé des liens dans l’autre sens.
    Il est important de noter le faux de ce texte et également de retenir cela comme un élément de l’histoire des hoax.
    Je prépare l’histoire d’un hoax de hoax plutôt favorable aux sionistes cette fois. Je présenterai en octobre une analyse de la thèse Henry Laurens (puis comme la précédente devenue parole d’Evangile) de la "fausse déclaration" de Napoléon sur la validité du retour juif en Israël dans le JO de l’époque, comme un possible hoax elle même. Je vous enverrai ce texte et serai ouvert à 100% au débat.
    Merci encore pour votre analyse bien présentée.
    Félix Perez Directeur de http://yerouchalmi.com