Accueil > La production idéologique de la compulsion sécuritaire

La production idéologique de la compulsion sécuritaire

Publie le lundi 6 juillet 2009 par Open-Publishing
2 commentaires

Remarque-t-on assez la profonde cohérence idéologique des moindres mesures, projets ou provocations de la meute sarkozyste ? Deux exemples passés, parmi tant d’autres, que l’on ne songerait pas forcément à première vue à rapprocher : c’est l’aboyeur Lefebvre qui préconise de faire travailler les salariés en arrêt de travail (suivant la logique loufoque, repérée par Alphonse Allais, qui conçoit de construire les villes à la campagne), le gouvernement s’est donné les gants de repousser la proposition mais chacun a compris qu’il s’agissait d’un ballon d’essai élyséen ; c’est le zélé Darcos qui, toujours soucieux de prévenir le moindre souhait présidentiel, prône les portiques détecteurs de métaux à l’entrée des collèges et lycées et la fouille des "cartables"... Notre première réaction est de hausser les épaules : n’importe quoi, se dit-on avec commisération. On a tort !

La compulsion sécuritaire que l’on voit se déchaîner est parfaitement maîtrisée et relève de la même vision du monde social qui a conduit à la conception du RSA, contrairement à ce que voudrait faire croire les bonnes âmes à courte vue (je reviendrai sur le RSA dans un prochain texte). Il y a bien une philosophie sociale de la fraction dominante de la classe dominante (cf. Luc Boltanski, Rendre la réalité inacceptable, Démopolis, 2008) qui va produire et diffuser une double représentation des classes populaires : d’une part des dominés éventuels rebelles à une sujétion présentée comme inévitable et bienfaitrice, il faut en prévenir les révoltes contre l’ordre social en les criminalisant ou au moins en désamorcer les manifestations, ce sera la construction du "sentiment d’insécurité" ; d’autre part des dominés qui ne doivent leur subordination qu’à une incapacité naturelle, une absence de mérite et un potentiel de paresse native tels qu’il est nécessaire de les dresser et de les moraliser, c’est, aujourd’hui, la mise en place du RSA (cf. Serge Paugam et Nicolas Duvoux, La régulation des pauvres, PUF, 2008). Il s’agit d’une véritable doxa qui, bien entendu, se présente sous la forme des évidences du sens commun, "comme si elle ne faisait rien d’autre que de dire ce qui va de soi" (Luc Boltanski), alors qu’elle vise à façonner une représentation du monde social conformément à l’intérêt des dominants : c’est en ne prétendant rien de plus que de rendre manifeste ce qui est qu’elle fait être ce qu’elle dit qui est .

Il y a tout un appareil de production de l’idéologie dominante tel que Bourdieu et Boltanski l’avait analysé en 1976. L’avènement du thème de l’insécurité n’est en outre rien d’autre que l’exacerbation du contrôle social et de la surveillance des populations que Michel Foucault a décrit sous le concept de "biopouvoir". Mobiliser deux voitures de police et six policiers pour deux enfants et un vélo (Floirac, Gironde), relève du même dispositif qui a permis l’ahurissante (à première vue) affaire de Tarnac. La rhétorique scolastique et contournée de Julien Coupat (interview dans le Monde, 26.05.2009) qui est celle d’un révolutionnaire dans la stratosphère platonicienne où l’énigmatique sonne souvent creux apparaît bien inoffensive. Il est navrant de le voir reprendre le vieux cliché rebattu d’un prétendu complot entre ce qu’il appelle les staliniens et les gaullistes, en 1945, pour ne pas faire la "révolution". Entre nous, les "staliniens" en question, à l’époque, et quoi qu’on puisse en dire, c’était quand même autre chose, dans la lutte contre l’ennemi de classe, que les petits conciliabules au fin fond de la Corrèze des "amis de Julien Coupat" aussi sympathiques soient-ils ! Il reste que Coupat analyse avec pertinence la production idéologique du "terrorisme" comme pure fabrication de cette partie de l’idéologie sécuritaire qu’est l’"antiterrorisme". L’antiterrorisme est une technique de guerre psychologique par quoi l’on produit l’ennemi politique en tant que "terroriste", il s’agit d’associer au sein de la population l’ennemi politique à l’affect de la terreur. Autrement dit, la doctrine antiterroriste ayant préconstruit l’objet "terrorisme", il faut lui donner maintenant un os à ronger en lui trouvant à tout prix des "terroristes". Et cela a été la vaine et pathétique recherche de "preuves" de cette pauvre Alliot-Marie !

On peut généraliser cette démarche où les médias sont conduits à véhiculer des notions préfabriquées sans contenu comme celle d’"ultra-gauche" que l’on prononce d’un air entendu ou cette inénarrable "mouvance anarcho-autonome" censée faire trembler dans les chaumières. Plus sérieusement, le caractère intrinsèque, endogène, de la "violence des jeunes dans les écoles et les quartiers" est désormais considérée comme un fait qui ne se discute pas, chaque média s’acharnant à rechercher le scoop grand-guignolesque qui lui permettra de surpasser ses confrères tout en illustrant le stéréotype. Tout ce qui permet d’escamoter les véritables difficultés et de prendre l’effet pour la cause. Comme si le vrai problème de l’école était l’éventuelle présence d’un couteau dans un sac d’élève et non la violence permanente qu’est l’échec programmé des enfants des classe populaires et qui peut les conduire à un ressentiment somme toute légitime. Constatons qu’après avoir vidé les collèges et les lycées de ces adultes nécessaires qu’étaient les personnels spécialisés nommés surveillants, Darcos a voulu en introduire d’autres nommés policiers ! C’est toute une conception de la société qui montre ici son visage grimaçant !

Gérard SENS

Messages

  • Quand les problèmes sociaux s’accumulent,l’insécurité augmente.Tout le monde sait cela,mais que ce soit choisi par les" élites"élyséenne,ce contexte en dit long.A force de "saucissonner" leurs réformes pour réduire les droits du peuple,de limiter l’accès a la culture ,a l’instruction et au travail cela est diabolique.Ces choix sont tout simplement faits pour asservir l’humain afin que règne notre naboléon 1er.Un règne d’injustice et de bling bling,sans partage des richesses et sans opposition,quelle tristesse d’en arriver la......momo11

  • Lu sur "La revue Défense nationale et sécurité collective" ( http://www.defnat.com )
    Pas franchement un truc d’ultra-gauchistes

    un article de Catherine DYJA sur L’Insurrection qui vient
    extrait :

    " La solution décrite est tout aussi critiquable que le système actuel puisqu’elle repose sur des idéaux. En effet, l’auteur décrit des solutions où l’État ne devient pas propriétaire des moyens de production. De même, l’apologie du laisser-faire — libéralisme — n’est pas de mise puisque ce sont les communes qui détiennent le pouvoir. Or, penser qu’une société puisse fonctionner sans leader ou penser qu’elle puisse produire sans coup faillir ce dont elle a besoin suppose que les individus qui la composent soient animés d’un altruisme sans faille. "

    http://www.defnat.com/acc_frames/resultat.asp?cid_article=20090702&ccodoper=3&cid=200907&ctypeencours=2

    étonnant ?