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EPR = DANGER, et les autres réacteurs, ne sont-ils pas dangereux ?

Publie le mercredi 8 juillet 2009 par Open-Publishing

Greenpeace, l’opération spectaculaire contre l’EPR et l’antinucléaire. Et les autres réacteurs, ne sont-ils pas dangereux ?

L’article du Monde daté du 2 mars 2009 « EDF soupçonné d’avoir espionné Greenpeace » comporte une photo montrant des militants de Greenpeace escaladant une tour de refroidissement de la centrale de Belleville-sur-Loire (Cher) sur laquelle ils ont tagué en gros EPR=DANGER. La photo a été prise en mars 2007 et il est indiqué que des militants de Greenpeace ont régulièrement investi des sites EDF pour des opérations spectaculaires.

Quelques réflexions à ce sujet :

EPR = DANGER.

Avec cette fuite en avant d’un réacteur troisième génération d’une puissance inégalée de 1600 MW, cela me paraît une évidence à faire partager au plus grand nombre.
Mais la centrale de Belleville-sur-Loire n’est-elle pas, elle aussi, un danger ?
Manifester sur le site n’est-ce pas laisser croire aux habitants qu’il ne peut rien se passer puisque des militants s’y rendent de leur plein gré ?
On ne répétera jamais assez 1) que les centrales nucléaires en fonctionnement normal ont des autorisations annuelles de rejets d’effluents tant liquides que gazeux, que c’est EDF qui déclare les volumes et activités des radionucléides rejetés, que les demandes d’augmentation de rejets, comme celles récentes en tritium, ont jusqu’à présent toujours été accordées par l’autorité de sûreté nucléaire 2) que les faibles doses de rayonnement ne sont pas inoffensive 3) qu’un accident majeur est possible sur n’importe laquelle de nos installations, que les autorités le reconnaissent et s’y préparent comme le montre la mise en œuvre du programme CODIRPA où est envisagée l’évacuation de territoires contaminés par l’accident, y compris de longue durée [1].
La centrale de Belleville a connu de multiples incidents qui ont affecté aussi d’autres centrales 1300 MW (blocage des grappes de commande par exemple) mais parmi tous ces incidents « significatifs » il me paraît important d’insister sur un problème grave commun à plusieurs réacteurs concernant l’enceinte de confinement et qui ne semble pas avoir inquiété Greenpeace.

A- L’étanchéité de l’enceinte de confinement des réacteurs 1300 et 1450 MWe.

Rappelons que l’enceinte de confinement du bâtiment réacteur qui contient la cuve et l’ensemble du circuit primaire est la dernière barrière de la « défense en profondeur », celle qui, par son étanchéité, doit permettre de limiter les conséquences radiologiques en cas d’accident en assurant le confinement des substances radioactives libérées.
Pour les 1300 MW et 1450 MW de conception française c’est une double enceinte constituée de deux enveloppes concentriques en béton avec un radier commun. La paroi de la première enveloppe, l’enceinte interne, est en béton précontraint de 1,2 m d’épaisseur, conçue pour résister, sans perte d’intégrité, à une montée de pression et de température qui résulterait d’un accident avec rupture complète et soudaine d’une grosse tuyauterie entraînant la perte du réfrigérant primaire (APRP). La paroi de la 2ème enveloppe, l’enceinte externe, est en béton armé de 0,55 m d’épaisseur, conçue pour résister aux agressions externes (chute d’avion, explosion) mais elle ne résisterait pas à une agression terroriste par avion gros porteur. Les deux enceintes sont distantes de 2 m, ce qui délimite un espace maintenu d’une façon permanente en dépression par rapport à l’atmosphère extérieure (y compris en conditions accidentelles) par un système de ventilation permettant de collecter les fuites de produits gazeux issus de l’enceinte interne et de les canaliser vers un dispositif de filtration avec pièges à iode avant d’être rejetés par la cheminée.

L’enceinte de confinement de certains réacteurs 1300 MW a nécessité des réparations après quelques années de fonctionnement seulement et à Belleville c’est pire car il a fallu la « rafistoler » avant le démarrage. Le critère requis pour l’étanchéité de l’enceinte de confinement n’a pas été respecté montrant que l’exigence de qualité à la construction n’a pas été respectée.

[Dans les calculs de cet APRP il est supposé que les circuits de sauvegarde d’aspersion et d’injection de sécurité sont opérationnels avec bonne recirculation de l’eau par les puisards assurant le refroidissement du coeur, évitant ainsi sa fusion (pas de colmatage des puisards...).]
Résumons succinctement : en vieillissant la qualité du béton précontraint se dégrade. Au cours du temps il subit un retrait par séchage, il perd ses qualités de précontrainte et se déforme lentement par fluage, les défauts sont plus nombreux (porosité, fissures). En cas d’accident par perte du réfrigérant primaire APRP un mélange d’air et de vapeur emplirait l’enceinte interne avec élévation de la température et de la pression dans l’enceinte, pression qui exercerait une traction sur le béton (l’enceinte interne doit être dimensionnée pour y résister). Des fissures préexistantes peuvent se développer, des fissures nouvelles peuvent apparaître et donc le taux de fuite augmente.

B- Les fuites de l’enceinte de confinement. Les critères de bon fonctionnement.

1) Le décret d’autorisation de création impose que dans les conditions d’un accident par perte de réfrigérant primaire par rupture complète d’une tuyauterie primaire le taux de fuite par jour de la paroi interne soit inférieur à 1,5 % de la masse du volume de gaz de l’enceinte interne [2]. Le respect de cette valeur doit permettre de vérifier le caractère acceptable des conséquences radiologiques de l’accident de référence APRP [3]. Or en conditions accidentelles APRP le gaz serait un mélange air+vapeur sous pression avec la paroi de béton qui s’échauffe : il est impossible de vérifier ce critère 1,5%/jour dans les conditions normales de fonctionnement.

2) les épreuves sous pression : le taux de fuites global.
Pour s’approcher des conditions réelles une épreuve d’étanchéité consiste à injecter dans l’enceinte interne de l’air à température ambiante sous une pression voisine du maximum de pression des conditions accidentelles [4] et à mesurer le taux de fuite global par diminution de la pression en fonction du temps.
En pratique un critère de bon fonctionnement de l’enceinte a été défini en imposant un taux de fuite inférieur à 1% par jour. Une vérification de ce critère 1% est effectuée à la construction, puis 18 mois après le démarrage et ensuite tous les 10 ans.
Le taux de fuite global qui ne doit pas dépasser 1% par jour correspond à environ 160 Nm3/h (N indique Normalisé à pression atmosphérique et 20°C) [5]. Ce taux de fuite global mesuré dans les épreuves résulte de deux sortes de fuites : les fuites filtrées, collectées par le système de filtration dans l’espace inter-enceintes en dépression, et les fuites non collectées appelées aussi « fuites directes ». C’est par différence entre le taux de fuite global et le taux de fuite collectée mesurés qu’on obtient le taux de fuites directes.
Il est considéré que le critère 1% par jour de fuites globales est plus pénalisant que le 1,5% sous air+vapeur, qu’on pourrait même monter jusqu’à 5% en air+vapeur.
Les taux de fuite air+vapeur sont recalculés en appliquant des facteurs correctifs aux taux de fuite d’air mesurés [6]. Cependant les multiples paramètres caractérisant un béton sont complexes, chaque béton a ses caractéristiques physico-chimiques (sa « formulation »). Il y a bien sûr des études sur maquettes comme à Civaux, des tas d’études sur le comportement très mal connu du béton sous pression d’un mélange air+vapeur [7]. Mais comme pour tout incident ou accident la vérification des hypothèses et calculs ne pourrait être faite qu’après la survenue de l’événement.

Chaque enceinte de réacteur est suivie par des dispositifs d’auscultation afin d’évaluer les déformations du béton. Il n’avait pas été prévu par les experts que le vieillissement du béton précontraint serait aussi rapide.

3) Le taux de fuites directes.
Ces fuites proviennent des défauts d’étanchéité dus aux traversées des enceintes malgré les dispositifs d’isolement mis en place (il y a plus de 200 traversées de l’enceinte interne pour les tuyauteries, les câbles, la ventilation, la traversée pour l’accès des matériels, le sas du personnel) il y a aussi des fuites dues au radier. Ces fuites directes, indépendantes de la qualité du béton, ne sont pas collectées dans l’espace inter-enceintes et ne passent donc pas par les filtres.
Un critère supplémentaire a été introduit : le taux de fuites directes doit être inférieur à 10% du taux de fuite global, soit 16 Nm3/h [5].

Dans les textes du rapport de sûreté du palier 1300 MW de 1985 il était de 13,3 Nm3/h (correspondant à 8,2% du taux de fuite global et non de 10%) [4]. On tolère donc plus de fuites directes, or, si les filtres fonctionnent correctement ce sont ces fuites non filtrées qui vont essentiellement contaminer l’environnement.

C- L’exemple de Belleville-sur-Loire. Les épreuves d’étanchéité de l’enceinte.

Les épreuves de Belleville ont été effectuées avec de l’air sous une pression de 4,2 bar relatifs [4]. Lors de la construction le taux de fuite en air est de 1,3% par jour pour Belleville 2 testé en 1985. On effectue sur le béton des enduits de polyuréthane et la fuite baisse à 1,2%. Le « remède » est appliqué à Belleville 1, sans véritable succès puisque le taux de fuite s’élève à 1,88 % lors du test de décembre 1986 !
Mais on connecte quand même le réacteur n°1 de Belleville au réseau en octobre 1987 bien que l’enceinte de confinement ne respecte pas le 1%/jour... car il a été considéré que le décret d’autorisation de création était respecté : l’air étant plus pénalisant que le mélange air+vapeur les calculs ont montré que le critère 1,5%/jour en air+vapeur était respecté ! Et donc le démarrage a eu lieu, après demande de l’autorité de sûreté d’améliorer le système de filtration inter-enceintes (il y aura 4 filtres avec pièges à iode au lieu de 2). Lors des essais de 1989 sur Belleville 1 effectués 18 mois après le démarrage, le taux de fuite résultant de la mise sous pression pour simuler des conditions accidentelles s’est notablement accru, passant à 2,05%.
Sur ces entrefaites les épreuves décennales 1997/1998 sur les réacteurs 1300 MW Flamanville 1 et Cattenom 3 dont le taux de fuite était au démarrage bien inférieur à 1% révèlent 10 ans plus tard des taux de fuite supérieurs au critère de 1% (1,4 et 1,9%) par dégradation très importante et inattendue du béton dans la zone proche de la traversée d’enceinte servant à l’accès du matériel.

En 1998 la DSIN (direction de la sûreté des installations nucléaires) s’oppose cette fois au redémarrage des réacteurs de Belleville estimant que le taux légal de fuite potentielle en cas d’accident est dépassé et en réfère aux autorités de tutelle
[8].

Le démarrage sera autorisé par Jospin. Après mise en demeure de l’autorité de sûreté nucléaire en septembre 1998 EDF devait effectuer en 1999 et 2000 des réparations de l’enceinte interne de béton par revêtement de résines époxy sur les deux réacteurs de Belleville, réparations plus importantes que sur Cattenom 3 et Flamanville 1.
Le réacteur 1 de Civaux -le palier N4, joyau du parc- (qui a inauguré les fissures du circuit RRA de refroidissement à l’arrêt) a fait mieux que Flamanville : 2,7% en 2001 soit 7 fois plus que le taux mesuré 8 ans auparavant ! En transposant en air+vapeur le taux de fuite dépassait 1,5% par jour. Là aussi on a enduit quelques 2000 m2 pour respecter le décret de création.
Il est clair que l’exigence de qualité à la construction des ouvrages en béton laisse à désirer... (Et apparemment le béton pose des problèmes aux EPR tant en Finlande qu’à Flamanville où l’autorité de sûreté nucléaire avait arrêté le chantier pour cause de mauvais ferraillage du béton).

Lors de la réunion de la CLI de Belleville (sept. 1998) [3] concernant l’étanchéité des enceintes de confinement il n’a été question que des problèmes du béton à l’origine des fuites collectées et filtrées dans l’espace inter-enceintes et qui sont rejetées par la cheminée. Il n’a pas été question des fuites directes dues aux traversées. Or, en cas d’accident les fuites filtrées ne seraient pas les plus importantes d’un point de vue radiologique en regard des fuites directes.
On estime en effet que l’efficacité des filtres avec piège à iodes est supérieure à 1000 pour les iodes gazeux moléculaires (I2), correspondant à une division par 1000 de la quantité d’iodes rejetés [99,9% des iodes sont retenus par filtration], supérieure à 100 pour les iodes organiques (ICH3). L’efficacité des filtres à poussières est supérieure à 1000 (iodes particulaires) [4]. Il en résulte que si, en volume, les fuites directes représentent 10% des fuites totales et les fuites filtrées 90%, il n’en est pas de même en terme d’impact radiologique car les « fuites directes » sont rejetées sans piégeage directement dans l’environnement, en particulier sans piégeage des iodes.
L’ASN considérait en 1998 [3] que l’impact radiologique de ces fuites directes serait plus de 100 fois supérieur à celui des rejets filtrés. A cette date on nous assurait [5] qu’aucun réacteur 1300 MW n’avait montré un taux de fuite direct atteignant la norme de 16 Nm3/h (qui était fixé en 1985 à 13 Nm3/h), que l’exposition radiologique serait très faible et qu’en plus une partie de ces fuites passerait dans les bâtiments voisins qui sont maintenus en dépression et dont les rejets sont filtrés. (Mais cela suppose que, eux, soient étanches et que leurs filtres soient corrects ! Incident à Cattenom 4 le 7 avril 2009 : non-respect du débit d’air à la cheminée du bâtiment auxiliaire pendant 9 heures, avec 2 sur 3 des ventilateurs d’extraction arrêtés). En 2004 à Golfech 2 le taux de fuite directe a été estimé à 15,3±5,7 Nm3 lors des tests de la première visite décennale : c’était un joint du système de ventilation qui fuyait et qui a été réparé [9].
Un bref sondage du site internet ASN concernant les avis d’incidents significatifs 2007-2008 relatifs au « Non-respect du maintien de l’intégrité de la troisième barrière » montre qu’ils ne sont pas rares avec des problèmes sur les vannes d’isolement. « Non-respect  » lors des opérations de déchargement-recharge-ment de combustible et de maintenance comme à Cattenom 4 à cause d’une traversée de câble, Belleville 1 avec une vanne restée ouverte. Ils sont de niveau 1 sur l’échelle INES, considérés comme n’ayant aucune conséquence réelle sur l’intégrité.
D’autres sur des réacteurs en fonctionnement comme à Paluel. L’avis d’incident titre « Risque de perte de confinement en cas d’accident » : en février 2008 on découvre une vanne qui aurait dû être ouverte pendant le fonctionnement et est restée fermée durant plus de 5 mois (!) «  En termes de sûreté, cette situation remettait en cause le bon confinement du bâtiment réacteur lors d’un accident libérant des substances radioactives dans l’enceinte  » (le réacteur n’a pas été précisé. Incident niveau 1). A Paluel 2 décembre 2008 un mauvais réglage de vanne participant à l’étan-chéité. Par ailleurs, octobre 2008 sur Paluel 4 une inversion de montage d’une pompe sur le circuit d’injection de sécurité RIS « susceptible de mettre en cause son fonctionnement  ». Sur Paluel 3 en octobre 2007 une mauvaise configuration de vanne remettant en cause la disponibilité du système de mise en dépression de l’espace entre enceintes du réacteur etc. Tous ces incidents sont de niveau 1, ils sont considérés comme indépendants les uns des autres alors que, malchance, ils pourraient être simultanés et survenir sur le même réacteur, avec une pompe du circuit de secours non opérationnelle, un confinement d’enceinte dégradé et l’espace entre enceintes non dépressurisé... Mais ce n’est pas la philosophie de l’échelle INES qui est une échelle de communication, pas une échelle de sûreté. C’est bien démontré dans l’incident de niveau 1 de Penly 2 où pendant 2 jours (12 juin 2007) les pompes du circuit d’injection de sécurité ont été indisponibles : « en cas d’incident nécessitant la mise en oeuvre de l’injection de sécurité le bon fonctionnement de cette dernière n’aurait pas été garanti (…) Cet événement n’a eu aucune conséquence réelle puisque le circuit d’injection de sécurité n’a pas été sollicité pendant la période d’indisponibilité  ». N’est-ce pas formidable du point de vue de la sûreté ? [c’est moi qui souligne].

D- Les prochains test d’étanchéité des enceintes de confinement.
La deuxième visite décennale de Belleville 1 est pour bientôt. Il est important de connaître les résultats des tests d’étanchéité suite aux réparations effectuées en 1998/1999 d’autant plus qu’un avis d’incident significatif a été déclaré par EDF le 23 juin 2000 concernant le système qui doit assurer la mise en dépression de l’espace inter-enceintes et collecter les fuites de l’enceinte interne en cas d’accident. Nous avons vu précédemment qu’au démarrage en 1987 il avait fallu doubler les filtres et pièges à iode. Or leur efficacité a été mise en cause en 1999 par l’autorité de sûreté nucléaire car la modification apportée en 1987 par EDF a été insuffisante. En 2000, 13 ans après (!) une demande est faite à EDF de mise en conformité du système...
Soulignons la prudence témoignée par l’IPSN en 1998 concernant les coefficients de transposition entre air et air+vapeur selon les types de défauts « La détermination des coefficients de réduction correspondants relève encore largement du domaine de la recherche ; des essais sont en cours à ce sujet sur une maquette spécifique réalisée par EDF sur le site de Civaux et l’IPSN contribue à ces essais » [3]. Dix ans plus tard des études sont toujours en cours pour comprendre les phénomènes [7]. N’est-il pas étonnant de lire dans un rapport officiel de 2003 [10] que des fissures du béton autour du sas d’accès du matériel [comme celles de Flamanville 1] ont été constatées aussi sur Cattenom 1 et 2, Flamanville 2, Saint-Alban 1 et 2, qu’en conséquence un programme de revêtement partiel par matériaux composites a été mis en oeuvre dans cette zone de béton voisine du sas d’accès du matériel « en prévoyant une extension des zones concernées, de manière à qualifier les enceintes à l’échéance d’au moins 40 années  » [c’est moi qui souligne]... alors que ce même rapport indique qu’il reste à comprendre en détail les défauts d’étanchéité de la paroi interne et qu’il est nécessaire d’étudier la tenue dans le temps des revêtements de réparation !
Questions : Lors du décret d’autorisation de création le combustible était enrichi à 3,1%. Avec la gestion GEMMES le taux d’enrichissement est passé à 4% et devrait passer à 4,5% avec GALICE. Les taux de combustion augmentent. Il en résulte quelle augmentation d’activité des rejets pour tous ces réacteurs en cas d’accident par perte de refroidissement du circuit primaire ? A quelle pression d’air seront effectués les tests d’étanchéité de l’enceinte de confinement des 1300 MW ? Qu’en est-il du pic de pression calculé ? Quelle température sur la paroi ? Comment réagiraient les systèmes qui assurent l’isolement des traversées ? La paroi résisterait-elle à la traction exercée par la masse air+vapeur ? Qu’en est-il des réacteurs Civaux et Chooz et leur gestion ALCADE ?
J’insiste sur le fait, qu’au dire même des spécialistes, on connaît mal le comportement du béton soumis à un mélange air+vapeur dans les conditions d’un APRP, en fonction de trois paramètres conjugués : mécanique, hydrique et thermique. Que la modélisation et les calculs les plus pointus ne peuvent que difficilement rendre compte de la réalité propre à chaque béton d’enceinte de réacteur.
_Et si l’enceinte interne de l’EPR est prévue avec un doublage par une peau en acier n’est-ce pas parce que la double enceinte des 1300 et 1450 MW n’est pas satisfaisante du point de vue sûreté ?
(Je me suis bornée aux 1300 et 1450 MW mais les 900 MW ne sont pas plus sympathiques. On l’a bien vu l’été dernier avec l’incident du Tricastin quand deux assemblages de combustible sont restés suspendus au-dessus du coeur du réacteur 2).

L’ESCALADE DE LA TOUR.

Les auteurs de l’article, Jean-Michel Bezat et Isabelle Mandraud ne tirent aucune conclusion concernant cette escalade de tour de centrale. Or elle prouve la facilité avec laquelle on peut pénétrer sur un site nucléaire. La première occupation d’une tour a eu lieu il y a près de 20 ans à Golfech. Ce n’était pas Greenpeace mais 5 militants antinucléaires de VSDNG, Vivre Sans le Danger Nucléaire de Golfech. Ces manifestants non-violents essayaient, par leur action, de susciter l’intérêt des médias, d’obtenir un débat national, la tenue de débats citoyens sur le nucléaire.
On ne peut ignorer que depuis le 11 septembre 2001 des mesures ont été prises pour protéger les sites nucléaires d’actes de terrorisme. La photo de 2007 démontre, comme 20 ans auparavant, la vulnérabilité des centrales nucléaires. Rien ne peut garantir que des actes de sabotage ne puissent être commis par des individus ou des groupes malveillants extérieurs alors que les centrales nucléaires sont des installations dangereuses qui peuvent mettre en danger la santé des populations.
Lors des procès intentés par EDF on comprend bien pourquoi cet argument n’a jamais été abordé par la défense des militants inculpés, car, évidemment, la conclusion logique serait que les vigiles chargés de la surveillance sont incompétents ou pas assez nombreux ou mal équipés ou que le directeur de la centrale n’a pas considéré la sûreté de l’installation comme importante et a confié sa protection à des organismes privés incompétents mais bon marché et qu’il devrait être démis de ses fonctions pour faute professionnelle. Mais cela reviendrait à demander de renforcer la surveillance... Une telle démarche est difficile à formuler, elle est incompatible avec des idéaux de liberté, elle impliquerait d’exiger un renforcement de l’application des lois actuelles déjà trop liberticides à mon gré avec un processus qui s’accélère contre les libertés. Je trouve déjà bien inquiétant d’avoir désormais une carte d’identité infalsifiable, que se multiplient vidéo-sur-veillance, puces électroniques, fichier Edvige et autres systèmes qui nous contrôlent à notre insu et parasitent notre vie, que se déroulent gardes à vue, arrestations arbitraires, écoutes téléphoniques etc. et qu’en plus qu’EDF espionne les militants.
Ce sera encore pire si un accident survient. Les centrales nucléaires impliquent, qu’on le veuille ou non, une militarisation de la société civile comme le montrent les deux décrets de 2003 [11], et c’est, entre autres, une des raisons pour lesquelles je suis antinucléaire.

AUTRES QUESTIONS,

par rapport aux actions antinucléaires de Greenpeace. L’article indique que Greenpeace dénonce la fabrication du combustible MOX (mélange de plutonium et d’uranium), critique les conditions d’exploitation des mines d’uranium par AREVA au Niger et c’est très bien. Il est regrettable que le problème des adolescents Touaregs employés au Niger par COGEMA à Arlit que nous avons soulevé en 1987 n’ait pas eu d’écho à cette époque [12].
Cependant, dans ces actions il y a une grosse lacune qui reflète une contradiction. Pour fabriquer du combustible nucléaire il faut enrichir l’uranium. Actuellement l’enrichissement est effectué à Pierrelatte sur le site nucléaire du Tricastin à l’usine Eurodif (Georges Besse I) qui enrichit l’uranium par une méthode très énergétivore, la diffusion gazeuse, nécessitant à elle seule trois réacteurs 900 MW de la centrale de Tricastin. AREVA construit à Pierrelatte, dans une indifférence quasi générale, l’usine Georges Besse II d’enrichissement par centrifugation, beaucoup moins gourmande en électricité, qui doit, à terme, remplacer Georges Besse I et dont le premier module doit être mis en route cette année. Pourquoi n’y a-t-il pas eu de la part de Greenpeace une campagne de mobilisation contre la nouvelle usine, alors que l’enrichissement de l’uranium est un maillon indispensable du nucléaire  ? N’est-il pas contradictoire de s’élever contre l’extraction d’uranium au Niger et de ne rien faire contre son enrichissement ? Est-ce parce que, avec cette usine, le nucléaire utilisera moins d’électricité par autoconsommation ? En somme s’agit-il de prévoir pour le futur un nucléaire durable ? Je pouvais supposer que Greenpeace-France déploierait, contre l’usine d’enrichissement Georges Besse II, pour le moins autant d’imagination que celle déployée contre le charbon dans une sorte de de jeu de rôles avec des figurants, sur la Place de la Bastille à Paris en clôture d’une manifestation qui se voulait antinucléaire. Alors, Greenpeace plus anti-charbon qu’antinucléaire ? (Je précise que je n’aime pas le charbon, mais les centrales à charbon n’ont jamais entraîné l’évacuation d’une région avec une zone interdite pour longtemps).

UNE DERNIERE QUESTION GÉNÉRALE,

pour laquelle je n’ai seulement qu’une conviction. Est-ce par des opérations spectaculaires qu’on peut espérer convaincre la population des dangers du nucléaire ? Est-ce en s’enfonçant encore plus dans la société du spectacle dénoncée par Guy Debord et qui escamote les problèmes fondamentaux qui se posent à la société ? Comment renverser le processus de nucléarisation qui est un processus de mort, de toute cette course folle technologique qui fait de nous des robots décervelés, et non des personnes plus humaines dans un monde vivable ?

Bella Belbéoch,
avril-mai 2009,
extrait de la lettre d’information n°118 du Comité Stop Nogent-sur-Seine.

Références et notes :

[1] CODIRPA, comité directeur pour la gestion de la phasepost-accidentelle d’une situation d’urgence radiologique.Lettre d’information du Comité Stop Nogent-sur-Seine, n°116, mai-juin 2008.

[2] Les décrets d’autorisation de création des 1300 MW stipulent que « (...) L’enceinte interne sera en particulier conçue pour supporter, sans perte d’intégrité, les sollicitations résultant d’un accident consistant en la rupture circonférentielle complète et soudaine d’une tuyauterie du circuit primaire avec séparation totale des extrémités. Dans les conditions de cet accident le taux de fuite maximal de l’enceinte doit être inférieur à 1,5 p. 100 par jour de la masse de gaz contenue dans l’enceinte (...)  ».

[3] IPSN. Dossier de presse, septembre 1998. Enceintes deconfinement des centrales françaises de 1300 MW. Cas des tranches 1 et 2 de Belleville-sur-Loire. DRIRE-centre/Autorité de sûreté nucléaire. Réunion de la CLI. Les enceintes des réacteurs 1300 MW et 1450 MW,septembre 1998.

[4] Centrales nucléaires du palier 1300 MW. Rapport desûreté relatif à toutes les tranches du palier. Édition publique (1985). Tome I ; II-4.2.8 : -Le pic de pression calculé est 4,4 bar absolus (par rapport au vide). L’enceinte est dimensionnée pour supporter une pression de 4,8 bar absolus. A Belleville les essais ont été effectués sous pression 4,2 bar relatifs ce qui donne une marge de 0,4 bar par rapport au dimensionnement, et 0,8 bar par rapport au pic APRP calculé. [La pression atmosphérique est de 1 bar absolu par rapport au zéro (le vide). Une pression relative est définie par rapport à la pression atmosphérique (p absolue=p relative +1)]. -Les taux de fuite sont indiqués en I-4.2.12. Le taux de fuite total est 162 Nm3/h, en accord avec les 160 Nm3 indiqués par D. Quéniart. Les fuites directes représentent 8,2% du total, 13,3 Nm3/h. Tome II ; III-4.4.4 Efficacité des filtres.

[5] D. Quéniart, IPSN, Gazette Nucléaire 163-164, janvier 1998, p.7-8.

[6] Le coefficient de transposition air/(air+vapeur) est malconnu et énoncé avec beaucoup de réserves en 1998 étant donné la complexité du problème [3]. D’après l’ASN il varierait entre 2 et 4 pour les parties courantes de l’enceinte et les micro-fissures, est pris égal à 1 pour les fissures traversantes, et inférieur à 1 pour les fuites à l’endroit des traversées.

[7] Par exemple une thèse en cours à l’IRSN (Institut deradioprotection et sûreté nucléaire) depuis octobre 2007, Corentin Aubertin « Évolution de la perméabilité du béton sous sollicitations d’accident grave : effets du chargement mécanique, de la saturation et de la nature du fluide percolant ». Ou encore, Nanthilde Reviron, « Étude du fluage des bétons en traction. Application aux enceintes de confinement des centrales nucléaires à eau sous pression ». (Si le fluage en compression a été considérablement étudié « ce n’est pas le cas de la traction qui est bien moins connu (...) le transfert de gaz sous ce type de sollicitation est également méconnu »). Thèse soutenue le 9 mars 2009.

[8] En juillet 1998, après un arrêt programmé pour rechar-gement en combustible, la DSIN, direction de la sûreté des installations nucléaires, s’en remet pour le redémarrage aux autorités de tutelle ministérielles, industrie et environnement, en estimant que le taux légal de fuite potentiel (en cas d’accident) est dépassé à Belleville, Berry républicain, 20/10/1998, sous le titre « Échéances : en 1999, on colmate... ». Bras de fer Dominique Voynet/Christian Perret et arbitrage Lionel Jospin. L’autorisation est accordée avec mise en demeure d’EDF de réaliser des travaux de réparations avant fin 1999.

[9] Visite décennale de Golfech 2. La Gazette Nucléaire 219/220, février 2005, p.13.

[10] Christian Bataille et Claude Birraux, Rapport n°832 à l’Assemblée nationale, 13 mai 2003, Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, « Durée de vie des centrales nucléaires et les nouveaux types de réacteurs », p.34, p.72.

[11] Le décret sur la protection du secret de la défensenationale (JO, 9 août 2003), celui sur la création du CICNR, comité interministériel aux crises nucléaires ou radiologiques qui décrète la main mise de la défense nationale dans la gestion des accidents nucléaires civils (décret présidentiel n°2003-865 du 8 septembre 2003) Lettre d’information du comité Stop Nogent-sur-Seine, 99/100, aoûtdécembre 2003.

[12] Nous avons, sans succès, essayé en 1987 d’intéresser Médecins du Monde au problème des adolescents Touareg employés dans les mines d’uranium COGEMA d’Arlit. Voir « Un scandale nommé COGEMA » Lettre d’information du comité Stop Nogent-sur-Seine, n°95, nov-déc. 2002.