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15 août 1944 : le dernier convoi

Publie le mardi 17 août 2004 par Open-Publishing

Le 15 août 1944, à dix jours de la libération de Paris, les Allemands font partir du Quai aux bestiaux, à Pantin, un dernier convoi pour la déportation.

Dimanche 15 août, à Pantin sur le Quai aux bestiaux, s’est tenue la cérémonie du soixantième anniversaire du départ du dernier grand convoi de déportés d’Île-de-France vers Buchenwald et Ravensbrück.

Dans son livre Résistantes et résistants en Seine-Saint-Denis. Un nom, une rue, une histoire (1), Monique Houssin consacre quelques pages à ce lieu de mémoire. Extraits.

" Le Quai aux bestiaux est une gare de marchandises située rue Cartier-Bresson, à Pantin.

Avec ses quelques bosquets d’arbres, ses herbes rases et desséchées, à peine piquetées de points jaunes l’été, et les rails qui s’enfuient sans perspective, le lieu porte les stigmates du drame. Le mardi 15 août 1944, c’est d’ici que partit le dernier convoi francilien de déporté(e)s. La chaleur est écrasante dehors comme à l’intérieur des wagons à bestiaux amarrés sur le quai, les témoins sont unanimes sur cet accablement qui ajoute à leur désarroi.

" Les véhicules s’arrêtèrent sur le quai dénommé " Quai aux bestiaux ", le long duquel un long train, composé de quelques wagons voyageurs et d’une interminable file de wagons servant au transport d’animaux, était attelé à une locomotive à vapeur fonctionnant au charbon. Cette rame attendait bien sagement son chargement humain. À la descente des camions, nous rejoignîmes les prisonnières et prisonniers qui nous avaient précédés. Le tout représentait une foule d’environ 2 400 personnes, patriotes résistants, dont 675 femmes. Moins de 800 détenus reverront, l’année suivante, la France libérée " (témoignage de René Lémy, matricule 78152).

" (.) En juin 1940, la Wehrmacht entre dans Paris en passant par Pantin. Les trains d’armement, de permissionnaires allemands, mais également les convois de STO et de déportés traversent la commune. En prévision de ces convois, le chef de la gare de marchandises est souvent sollicité par les nazis pour inspecter sur le Quai aux bestiaux les wagons vides qui attendent. Fin 1940, c’est le départ de cinquante personnes, aliénées, de l’hôpital de Charenton. Hiver 1943, des détenu(e)s venant de Drancy sont embarqué(e)s. En juillet 1944, sur la voie dite " Voie aux chevaux ", a lieu l’embarquement de prisonniers américains capturés sur le front de Normandie, en direction de l’Allemagne. Un (ou plusieurs) trains d’internés venant de Romainville est affrété. L’accès des déporté(e)s vers le Quai aux bestiaux s’effectuait par les rues Cartier-Bresson et Denis-Papin. Selon des témoins de l’époque, durant l’hiver 1943 un millier de déportés sont embarqués. Beaucoup portent l’étoile jaune.

" Mardi 15 août 1944. Des autobus parisiens arrivent de Paris, transportant plusieurs milliers de détenu(e)s politiques. Les Allemands les font descendre avec brutalité et les entassent à cent par wagon (7 ž 2,6 mètres) chacun prévu pour huit chevaux en long ou quarante hommes. Un convoi de 32 wagons blindés contient trois mille personnes.

" L’embarquement dure tout l’après-midi sous une chaleur écrasante. Rien n’arrête la rage nazie. Ni les démarches du consul de Suède, Raoul Nordling, ni celles d’Ernest Daumaas, pharmacien pantinois et président de la Croix-Rouge locale, ni les enfants, ni les parents des déporté(e)s, qui, de loin, suivent en larmes les sombres manouvres. Ils ne peuvent freiner la haine des SS. Il y eut ceux qui partaient et ceux, témoins impuissants de cet ultime coup de filet, des amis, de la famille, parfois des enfants qui assistent au départ, appelés parfois au dernier moment pour un bref signe d’adieu. La jeune Geneviève Savreux confie dans un témoignage daté de 1995 : " J’ignorais que papa était lieutenant dans la Résistance. Nous n’étions pas là lorsqu’il a été arrêté, le vendredi 11 juillet, par la Gestapo à la maison, 85, rue Édouard-Vaillant ; il avait été emmené à Fresnes, via la sinistre rue des Saussaies. Nous n’avions pas de nouvelles de lui. Quand je suis rentrée de la messe de l’Assomption, maman m’avait laissé un mot m’indiquant qu’elle était à la gare pour tenter de le voir. Soudain, un monsieur brun a frappé à la porte : " Mademoiselle Savreux ? Venez vite ! J’ai vu votre père dans l’autobus avec les Allemands. " Nous sommes allés, rue Denis-Papin, dans un bistrot bourré de vieux soldats allemands fatigués ; la sour Léonard m’a accompagnée. L’homme qui m’avait prévenue a dit au patron du café : " Le chef Savreux est dans le train qui part. Il faut faire passer sa fille. " Ils ont demandé à un Allemand, qui a accepté. Avec la religieuse, nous sommes allées sur le quai, entourées de SS. Les gens de la Croix-Rouge se démenaient pour négocier avec les nazis et pour apporter du ravitaillement aux déportés. J’ai toujours cette vision de ce long convoi, les gens, dont plusieurs femmes enceintes, étaient entassés. La Croix-Rouge a réussi à soustraire ces pauvres filles de la déportation. " Il est là M. Savreux ? " Tout à coup, j’ai aperçu maman juste devant le wagon où était papa. Il est sorti en pleurant. " J’ai prié pour vous voir et vous êtes là ! " Il avait le visage amaigri et fatigué (.). Enfin, les SS nous ont fait partir. J’entends encore le coup de sifflet du train quand il est parti. " Robert Savreux ne reviendra pas. Le convoi s’ébranle à 23 h 50. Henri Borrel, qui fait partie du convoi, note : " Il est minuit à la vieille horloge de la gare de Pantin. Une voix anonyme s’éleva soudain qui chanta la Marseillaise et nous, tous, nous l’accompagnâmes au refrain. "

" Le convoi arrive le dimanche 20 août à Buchenwald, où sont débarqués les hommes. Il poursuit son mortel itinéraire jusqu’à Ravensbrück, le camp des femmes, qu’il atteint le lundi 21 août 1944. "

(1) Monique Houssin, Résistantes et résistants en Seine-Saint-Denis. Un nom, une rue, une histoire, aux Éditions de l’Atelier, 271 pages, 30 euros.

http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-08-17/2004-08-17-398887