Accueil > "LES NEGRES ET LES BICOTS..."

"LES NEGRES ET LES BICOTS..."

Publie le mardi 21 juillet 2009 par Open-Publishing
13 commentaires

de Boudicca

Le père est déjà fin bourré.

Il doit être environ 17 h 30...

C’est comme ça depuis qu’il s’est fait plumer par son banquier,
qu’il a perdu toutes ses économies, et, comble de la tragédie, qu’il a
perdu son travail, à 54 ans, sans plus jamais en retrouver...

Sa deuxième femme s’est barrée avec les mômes ; sa maison, dont les travaux de rénovation étaient à peine terminés, a été saisie pour payer
ses dettes, et le voilà revenu chez la vieille, sa mère, sous sa coupe,
dans cette ferme maudite, branlante, boueuse, dans ce trou enfoncé dans
la forêt, dont toute sa vie il a voulu effacer la poisse, la malchance,
l’odeur...

Depuis ce jour là donc, il boit, plus qu’il n’a jamais bu, jusqu’à sombrer.

Son fils aîné est devenu un "partageux" ce petit con.

Ça lui suffisait pas d’être pédé, en plus, le v’la communiste qu’y dit...Quelle poisse...

La vieille a drôlement tourné son nez quand elle l’a appris, vainon.

Et le paternel tiré une sacrée gueule.

Des cocos dans la famille !

Ah, elle est bonne celle-là !

Il
a vraiment pas de bol ce week end, parce qu’en plus de tout son
quotidien, de son fiston, sa cadette lui a ramené le portugais avec qui
elle fricotait comme futur gendre...

Mais crevez-vous donc la paillasse à les élever, les éduquer, à
leur offrir ce que vous n’avez jamais eu, vous, bordel, et voilà ces
imbéciles heureux, ce qu’ils font de leur bonne situation...

Ils vous ramènent des rastaquouères !

Ils militent chez les communistes !... Les communistes, nom de Dieu de merde !!!!

Il a le sang qui bouillonne le daron, il reprend un coup de sa picrate (c’est pas avec son RMI qu’il peut continuer à se torcher au

Ballantine’s ou au Gruau La Rose...)

Tiens, du bruit dans la cour d’un coup, la cour défoncée, détrempée, que plus personne ne peut entretenir correctement.

Du bruit. C’est quoi ?

Ah
ben merde alors, v’la deux clébards sortis d’on ne sait où, des sortes
de chiens errants, qui semblent avoir décidé de squatter les lieux...

Qu’est ce qu’on fait ? Les membres de la famille présents dans la
salle commune de la ferme, se regardent perplexes et un peu
inquiets...Le temps est à l’orage.

Le père se lève avec peine,
la clope au bec, tanguant sur ses deux quilles décharnées par quelques
années d’alcoolisme appliqué et l’absence désormais totale d’effort
physique, il se tient à la table pour en faire le tour et va zyeuter au
carreau.

Ah ben merde.

Il se gratte sa tignasse embroussaillée, ouvre la porte, le sourcil froncé, l’air perdu et féroce.

José, le gendre : "Peut être... qu’on devrait... leur donner à boire ?"...

"Hein ???? Mais ça va pas toi, espèce de portugalos de mes
couilles ?! Occupe toi don’d’tes oignons !" hurle le vieux, furibard. "Ah
ben si on s’met à nourrir tous les chiens errants du quartier, bordel,
on n’a pas fini, tiens...Faut-y êt’con comme une demie-crouille pour
dire des choses pareilles..."

Silence de mort - même les mouches se sont figées on dirait.

Le
futur gendre est pâle de rage, suffoqué par la haine immédiate que
déclenchent chez les enfants d’immigrés, les insultes racistes, cette
haine qui le submerge presque, tiraillé entre son envie primitive de
lui défoncer le crâne (vu que l’autre ne tient plus debout, ça serait
pas si dur, il pourrait même le finir à grands coups de latte...)
, et
son amour pour Dulcinée.

Il serre les poings, souffle bruyamment l’air que la surprise lui
avait bloqué dans les poumons, se retourne, et se casse en tournant
ostensiblement le dos au pater : "Tu perds rien pour attendre, sale
facho", se dit le lusinophone en son for intérieur....

Plus tard, les chiens errants ayant recommencé à errer, autour de
la table, le fils, (oui quoi, le coco, la tarlouze - et son fils
préféré en plus, merde !) est là, à boire le canon avec le vieux, pour
essayer de le calmer...Le fils regarde ce père autrefois si
brillant,architecte, homme à femmes, il regarde la pauvre épave débile
qu’il est devenu, avec une pitié mêlée de dégoût.

" C’est quand même malheureux, bon sang... toutes ces études que
t’as faites, à Sciences Po, à la fac’ de droit, tous tes talents...
tout ça pour que tu finisses...COMMUNISTE..."

partageux"... à aider des feignasses, des crève-la-faim, des bons à rien....des squatters ! - (le fils songe à la situation de son père et se retient de sourire méchamment) -  Et ben j’aime pas les flics j’peux t’dire, ça c’est clair, mais j’aime encore moins ces pouilleux qui squattent chez les autres..Et toi, toi...

- ...Quoi "moi" ?

-...Ben toi... toi...!!! Tu les aides,
toutes ces raclures-là ! Tu manquerais presque d’aller t’faire crever un
oeil au flashball pour les défendre, ces loqueteux ?!

-... Ben
oui. Tous les exploités et les opprimés, tous ceux qui luttent contre
la propriété privée, contre le capitalisme, pour se libérer, ce sont
des camarades de combat..."

Les mains du père ont la tremblote - il commence à avoir du mal à se servir un énième verre.

"- Vivement que j’aille mieux, que je récupère du fric...

- Bien sûr P’pa...j’imagine...


 ...Ouais...Comme ça, j’pourrais adhérer au Front National, le soutenir activement...

-...P’pa...t’en es pas sorti de ça encore ?

-
Aaaahhh çaaaaaa, non mon fils tu vois. Et ça risque pas avec des gens
comme vous. Si on vous laisse faire, z’allez nous emmener droit dans le
mur.... Vous les gauchos, ou le métèque de l’Est là, le bougnoule

européen...Des dangereux. Les partageux, les rastaquouères, les
métèques tout ça...Ah.. Ambroise Croizat, quel génie c’ui-là...j’te
jure..Tu connais pas hein chuis sûr...La Sécu, quelle idée à la
con...Que des profiteurs qui profitent...

- Ppppffff...Putain... mais P’pa, t’es con à ce point ou quoi ?...
Tu penses pas à tes enfants ? A tes petits enfants ? Comment on vivrait,
nous, sans Sécu ? Et pis la retraite par répartition c’est quand même
rudement bien non ? T’y penses pas , à nous, quand tu votes pour les
projets de société d’un mec comme Le Pen ?

- Ben si JUSTEMENT ! ...Ah... mon fils, malheureux, tu te rends pas compte...T’as pas l’expérience de la vie toi (silence) ... LES NÈGRES ET LES BICOTS... (le daron s’est mis à hurler, les yeux exorbités, la bave aux lèvres, au bord de l’apoplexie )...C’est ÇA,
le problème de la France. Faut foutre tout ça dehors, NOM DE
DIEU !...J’te les attrape par la peau du cou et j’te les fous dans des
charters à pleines brassées ! Et ZOU, y rentrent chez eux avec leurs
bonnes femmes enroulés dans leurs draps là et tous leurs gosses de
toutes leurs bonnes femmes...AU BLED ! Chacun chez soi tiens !"

Le silence retombe, lourd, ahuri...Le père aussi retombe, il s’était levé dans sa diatribe, sous le coup de l’émotion.

Le fils se sert un coup à boire à son tour pendant qu’il observe ironiquement son père se relever péniblement (en essayant de se rasseoir, le daron, complètement plein, a raté sa chaise).

Il connaît trop bien son paternel, et depuis longtemps, son
admiration pour Le Pen, sa croyance absurde que tous les problèmes de
la France sont liés à "l’immigration massive", à ces "hordes de nègres
et de bicots", son soutien de plus en plus affiché et déterminé au FN...

Sa politique de surface, très "premier degré", sa politique de
gamin pauvre, sa politique de serf qui n’a jamais été un prolétaire,
qui n’a jamais bossé sur une machine, sa politique nourrie de la
culture paysanne dont on faisait les jacqueries, peut être, mais pas
les révolutions... Malgré ses études, malgré son vernis petit bourgeois
pour se décrotter de cette paysannerie familiale individualiste, malgré
ses voyages, malgré tout ça...son père est resté un être politiquement
débile, un type qui n’a jamais lu, qui n’a jamais été formé, ni pris la
peine de l’être, le tout venant de l’électorat de droite et d’extrême
droite. Un type qui vénère un phallus vivant mais refuse de voir plus
loin que le bout de son nez...

"Ben en tout cas, y’en a, c’est p’t’être des BICOTS, mais toi t’es
vraiment un BOURRICOT mon pauvre vieux, si tu crois en ce que tu
dis...Ça t’arrange pas la bibine, là-dessus...

- ...Qu’est ce que tu veux dire par là ?

- Oh...Rien... chuis déçu au fond. T’es vraiment un pauvre type, P’pa...

-... Hein ??? J’te d’mande pardon ????? -éructe-t-il.

-
Ben ouais.... t’es un pauv’type. Au fond, t’es vraiment pas courageux,
quoi...Et pis franchement, t’es pas si malin...Ton Le Pen là, tu crois
vraiment d’abord qu’il ferait ce qu’il vous promet, foutre tous les
étrangers dehors, fermer les frontières ? Mais ducon, réfléchis, c’est
son fond de commerce "les nègres et les bicots" ! Il va pas scier la
branche sur laquelle il est assise (à supposer qu’il puisse) ?!
Non...Soyons sérieux..."

Le paternel a manifestement été touché par ce premier uppercut. Il
est devenu tout gris. Ses yeux voilés ont laissé passer la lueur du
doute. Le fils a vu cet avantage qu’il prenait, et il va le pousser.

"Nan P’pa, ton problème, mais j’peux comprendre hein, c’est que tu veux
pas prendre conscience que t’es pas du bon côté de la barrière. Tu
veux pas avaler ça parce que si tu admets ça, c’est pas contre quelques
"nègres et bicots" affamés, manipulables, fragiles, que tu vas devoir
"te battre"...C’est contre un ennemi bien plus redoutable. Autrement
plus sérieux, et dangereux. Un ennemi très organisé. Un ennemi qui a
plein plein plein de pognon.... Un ennemi en très très bonne santé, un
ennemi qui est partout, lui, et vraiment, qui a de nombreux leviers de
pouvoir en main...Un ennemi contre lequel t’auras pas l’aide des flics
ni de l’armée pour faire le sale boulot...Alors ouais j’comprends

finalement, t’as fait comme 15 % de nos compatriotes, t’as choisi la
facilité...Tu passes tes nerfs sur "les nègres les bicots les pédés" et
à chaque fois que tu peux, tu mets un bulletin FN en pensant que tu
fais "ton devoir de Français".. C’est plus simple..

- ... Ah bon, dit le vieux, d’une voix mal assurée, hésitante, ah
bon ? Plus simple que quoi, hein ? Et c’est quoi cet "ennemi" Môssieur le
communixte, je vous prie ?

- ...Les capitalistes, les bourgeois, les patrons, P’pa...

Les héritiers directs, ou indirects, des châtelains qu’ont fait
crever grand père à la tâche, devant qui tu devais enlever ta casquette
quand t’étais gosse, qu’ils te jetaient même pas un r’gard et
t’auraient presque écrasé sur le bas-côté de la route en passant dans
leur grosse auto, quand ils visitaient "leurs" fermiers et "leurs"
terres...

Ceux qui se servent des immigrés, nos frères prolétaires, pour te
dévier de la lutte de classe qu’on DOIT mener, parce que cette lutte
les ferait crever eux aussi, tes Le Pen et Lang et compagnie.

Tout
ça, les mêmes soutiens de ceux qui ont déjà vendu la France à
l’impérialisme allemand entre 33 et 39...les Allemands, tu sais, les
Alboches qu’ont violé ta mère quand elle avait 14 ans... Ceux qui
continuent, toujours, leurs saloperies contre le peuple... Le
peuple...Moi, toi, Dédé, José, maman...

P’pa, noir ou blanc, ou jaune, un patron pour moi c’est un patron, et je les déteste tous pareils...

Amerloque,
espingouin, indien, j’m’en fiche bien tiens ! Ils veulent ma peau. Et
ça je le sais. Un patron, c’est un patron, un capitaliste, c’est un
capitaliste, lui, il n’a pas de patrie.Il n’en veut surtout pas. Nous,
les travailleurs, et même moi, oui P’pa, je porte une cravate et une
chemise et des belles pompes, mais chuis un travailleur, un PROLÉTAIRE,
et bien nous, les travailleurs, on doit pas se laisser diviser par des
couleurs... Ton Le Pen, ton Front National, c’est pas des gens de
gauche, c’est des gens de droite, ce sont des boutes-en-train, au même
titre que les curés et les imams, mais avec d’autres arguments, et ils
finiront toujours dans les bras des bourgeois, d’ailleurs la plupart
d’entre eux, les chefs, SONT des bourgeois, ou des enfants de
bourgeois...."

Le soleil de fin de journée commence à poindre dans la salle
commune, éclairant d’une lumière étrange les verres bons marché et
graisseux où stagne un fond de bouteille grenat foncé...Toute la
famille s’était tue.

Hugo s’était redressé, son visage illuminé, barré d’une grande
mèche brune, pendant qu’il haranguait son père, le poing serré et
levé..Il avait terminé de vider son sac dans un souffle.. Sans rage,
sans colère contre son vieux . Avec la douceur et la fermeté de celui
qui sait qu’il a raison.

Et soudain, dans ce silence de cathédrale, au bout de ce souffle, Hugo entonna ce chant ancien et magnifique...

"Debout les damnés de la terre, Debout les forçats de la faim, La raison tonne en son cratère..." 

Et soudain encore, malgré lui, comme si son mur de bêtise s’était
fissuré d’un coup, et que 60 ans de mensonges et d’erreurs prenaient
fin en ce souffle de son fils, le vieux se mit à chialer doucement,
laissant les larmes rouler sur ses joues, sans aucune honte, comme une
délivrance...

Messages

  • Bien ton texte...C’est si vrai ,cela me rappelle certains repas de famille,du vécu !!!
    bravo...

  • Ca pourrait aussi se passer dans un ancien coron....superbe !

  • BRAVO
    Toute la bétise est bien résumée
    Un beau texte
    me rappelle des souvenirs

  • Chouette texte ! Une vraie nouvelle ! Seulement :

    "les Allemands, tu sais, les Alboches qu’ont violé ta mère quand elle avait 14 ans"

    Tu confond un peu allemands et nazis. Il y avait des allemands partageux, aussi. Et puisque la nationalité importe peu, il convient bien de faire le distingo. Au passage, lorsque la résistance allemande à proposé son aide aux alliés, ils ont refusés. Eh ouais, les alliés, les aminches, aussi regardant sur l’origine que leur potes nnazis, et qu’on laissé crever la MOI pour préserver l’honneur des combattants bien francais. Mais qui étaient les francais ? Ceux qui vendaient les gosses de juifs, nés à Paris ou en province, ou les originaire d’ailleurs, qui se sont battus pour un drapeau bleu blanc rouge ?

    Ni race, ni patrie, ni frontière !

  • Beau texte, mais n’oublions pas qu’avant 1941 il y a eu un certain pacte..., l’histoire est là

    alain

  • La vérité, toute que la vérité, rien la vérité.....merci

    Varenne

    • Trop caricatural pour être réaliste, mais bon, il y a du vrai, mais ça renforce les clichés du style Colluche qui a beaucoup aidé à la marginalisation culturelle des pauvres dont il était issu comme moi. Ce genre de portrait qui en fait des tonnes (avec des réflexions qui ne cadrent pas toujours avec le climat créé et bien vu cependant en général)
      Il faut se méfier à mon avis de l’ouvriérisme et de son contraire qui sont des attitudes de petits-bourgeois autains et cyniques genre Adler ancien PCF ou bien de "Gôche" qui échouent aujourd’hui dans les valises du Sarkozysme et qui cultivent la marginalisation la haine du prolo déchu au chômage dans son HLM dévasté ou son "pavillon" miteux.
      La fin est trop belle pour être vraie.

    • Coluche n’a jamais renié ses origines sociales (d’ailleurs, il disait "je ne suis pas un nouveau riche, je suis un ancien pauvre"), et ses clichés, remettons les dans leurs contextes, sont des clichés de sketches. Coluche était comique et comédien, c’est donc normal qu’il joue sur l’accentuation de certaines choses.

      Par ailleurs, il a aussi critiqué flics, riches, bourgeois et politiques, par de nombreuses manières dont, également, le cliché.

      Coluche n’a pas du tout aidé à la marginalisation culturelle des pauvres. Le fait était déjà là, les classes se sont rarement mélangées entre elles de tout temps et puis c’est tout. C’est pas Coluche qui est la cause de ca, et personne n’est mort de trop rire (ou alors c’est une belle mort).

      Mais bon, je m’écarte un peu beaucoup du sujet, là.

    • Il faut avoir été dans un atelier pour voir l’ effet Coluche et son "syndicat caca" ou CGT "Cancer Généralisé du Travail", "Krasuck ki ki.. sans compter le rire des racistes "au premier degré" quand Coluche faisait du second degré, le culte Coluche avec les restos du coeur largement mis en scène et fortement aidé par le PS au pouvoir, organisant le chômage de masse en même temps que les attaques contre les acquis sociaux.
      Enfin la légendaire division culturelle de droite entre prolos grossiers et fins petits bourgeois à laquelle ces derniers souscrivaient volontiers.
      Coluche ne me faisait pas rigoler tout le temps, il était devenu grâce à son talent un jouet de riches, il avait "réussi" dans une société où l’on parlait de disparition des ouvriers.
      Un livre serait nécessaire pour étudier à travers les sketches de Coluche, l’évolution de notre société dans les années 80, celles de "l’argent facile" : nous ne sommes pas si éloignés du sujet.

  • Sympa comme récit, trés propagandiste mais bon ! ça ne risque pas de faire évoluer le débat, c’est certain ! On croirait lire un zola ! même si hélas, c’est criant de réalisme, une fois de plus !
    amitié aux galériens en tout genre.