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Gamma en redressement judiciaire : fin d’un mythe

Publie le vendredi 31 juillet 2009 par Open-Publishing
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de FRÉDÉRIQUE ROUSSEL

Gamma en redressement judiciaire. La fameuse agence photo, quarante-trois ans de reportages à travers le monde, un fonds de 30 millions de clichés et 6 000 photographes qui ont exercé sous son nom, est en sursis. Le tribunal de commerce de Paris a placé, hier, Eyedea Presse, la structure qui coiffe Gamma et le fonds iconographique Stills, sous observation pendant six mois. Le temps pour la direction de peaufiner un plan de restructuration, qui passera forcément par des coupes claires. Cinquante-six personnes travaillent au siège rue d’Enghien (Paris Xe), dont quatorze photographes.

Cible prioritaire, la direction ne s’en cache pas : les photographes salariés. « Nous avons résisté le plus longtemps possible, mais le modèle n’est plus viable, soutient le PDG d’Eyedea, Stéphane Ledoux. On a tué le photojournalisme français en obligeant les agences à salarier les pigistes. » La faute originelle tombe inévitablement sur le dos d’Hachette Filipacchi Médias, précédent propriétaire, qui a revendu en 2006 au fonds d’investissement Green Recovery pour continuer à alimenter le fonds d’archives par des productions maison. L’agence aura connu sous l’égide d’Hachette trois coûteux plans sociaux.

Couperet. Tendu, placé magré lui dans le rôle de l’arroseur arrosé, Stéphane Ledoux sort de l’audience sous les crépitements d’une poignée de boîtiers numériques. Des chiffres sont lâchés. Eyedea Presse a fait 3 millions de pertes en 2008 et… 3 millions sur le premier semestre 2009. L’activité est en baisse de 30 %. Personne de Gamma, à deux exceptions près, n’est venu. Peur du futur couperet ou constat d’impuissance ? Les quelques photographes qui font le pied de grue en attendant la sortie de Ledoux refont le monde en passant en revue les avanies des agences. Car l’histoire de Gamma la dépasse. L’âge d’or du photojournalisme qui a éclos en France dans les années 70, produisant aussi Sipa ou Sygma (par scission de Gamma en 1973) est fort loin. Perdant leur indépendance, les trois « A » ont été rachetées par des groupes financiers. Sipa par le groupe Fabre en septembre 2001, Sygma a n’a pas survécu à la prise de contrôle de Corbis, vidée de ses photographes et de ses archives. Les « filaires » comme on dit (AFP, Reuters et AP) ont pris le relais. Avec leurs techniques de pointe, l’essor de la numérisation et leur moindre coût, elles tiennent le haut du marché. Finie l’époque des reportages mythiques et des photographes baroudeurs qui partaient l’appareil au cou à l’autre bout du monde. Le photojournalisme, c’était : « Un mot qui sent l’aventure, riche de toutes les facettes du monde. Rattrapé par la réalité de notre époque, celle du marché roi, de la rentabilité obligatoire », explique en exergue Photojournalisme, à la croisée des chemins (1).

People. Responsable invoquée au premier chef : la presse, en crise, qui ne paie plus comme avant. Les prix se sont effondrés. « Les médias ne s’intéressent plus aux grands sujets. Nous sommes systématiquement déficitaires sur tous ceux que nous produisons aujourd’hui », invoque le PDG d’Eyedea. Car la presse préfère le people qui se vend mieux. « Si la presse publiait l’actualité du monde au lieu de se concentrer sur les jeans de Barack Obama et les dernières robes de Mme Bruni-Sarkozy, on n’en serait pas là », critique, dans une interview à l’AFP, Jean-François Leroy, directeur du festival Visa pour l’image de Perpignan. A Eyedea, le people et la photo d’archive, plus rentables, ont été transférés dans d’autres structures, comme Eyedea Exclusive ou Eyedea Illustration. Le champ de distribution lui-même s’est restreint. « Avant, ajoute un photographe, l’agence vendait les photos dans le monde entier. Aujourd’hui, c’est souvent limité à la France. » Avec la crise des agences photo, c’est globalement une certaine conception de l’information qui pâtit. « La machine est malade depuis longtemps, estime Noël Quidu, grand reporter au staff de Gamma depuis vingt et un ans. Le rêve de Gamma, c’était celui du reportage concerné. Quand il n’y aura plus d’envoyés spéciaux, tout le monde travaillera par téléphone… » Le grand reportage est-il mort pour autant ? « Nous n’avons rien à perdre car nous n’avons jamais rien eu. » (1) Gamma a perdu une manche hier, le reportage n’a peut-être pas dit son dernier mot.

(1) Olivia Colo, Wilfrid Estève, Mat Jacob, Marval/CFD.

http://www.liberation.fr/medias/0101582853-gamma-fin-d-un-mythe

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