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Sur l’affaire de Tarnac et l’anarchisme respectable

Publie le samedi 8 août 2009 par Open-Publishing
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Sur l’affaire de Tarnac et l’anarchisme respectable

mise au point à propos des « camarades » de la Fédération Anarchiste et autres libertaires

« Une organisation qui se définit comme la gardienne des traditions idéologiques du mouvement anarchiste devient nécessairement conservatrice et finit toujours par considérer toutes les initiatives d’attaque - particulièrement quand elles ne sont pas sous son contrôle - avec soupçon et préoccupation. »
Alfredo M. Bonanno, Dans l’introduction de Sabate, 1985.

Le 11 Novembre 2008, jour de l’arrestation lyrico-mediatique et antiterroriste des dits « neufs de Tarnac » en Corrèze, la Fédération Anarchiste (FA) nous gratifiait d’un communiqué [1] dans lequel nos libertaires dénonçaient le manque de preuve contre les arrêtés accusés d’une nuit de sabotages à grande échelle du réseau ferré de la SNCF. Elle y explique que techniquement, les éléments de l’enquête étaient insuffisants pour accuser ceux de Tarnac. Elle s’étonne également que les auteurs des sabotages de novembre 2007, eux, n’aient pas été appréhendés aussi rapidement. Elle introduit également l’idée d’un complot de la SNCF dans le but de faire oublier sa volonté de fermeture de l’activité du fret, l’affaire des sabotages « tombe à point pour faire passer la pilule ».

L’on peut déjà noter que la FA préfigure dans son communiqué la stratégie de défense des co-inculpés du 11 novembre et de leurs avocats qui, en rentrant sur le terrain de la « preuve objective », éviteront ainsi de ré-affirmer quelques principes de base comme la destruction de toute les prisons et la liberté pour tout les prisonniers. Permettant également de n’affirmer de solidarité qu’envers les cas d’ « injustice », c’est à dire les cas dans lesquels le droit pénal est malmené à des fins politiques. En quelques sorte, et comme l’ont fait les avocats des inculpés, il s’agit de corriger une « dérive » de l’Etat de Droit, et donc permettre ainsi à l’Etat de devenir plus juste et plus équitable. Rien d’etonnant, certes, pour ces adeptes du « welfare state ». Mais il y a un « Mais ».

Historiquement, l’anarchisme est un courant fondé sur la négation du principe d’autorité et le refus de toutes contraintes découlant des institutions basées sur ce principe, la base minimale d’accord entre les divers sous-courants étant la destruction de l’Etat sous toutes ses formes. Or, il était urgent pour nos libertaires de corriger le tir d’une justice à la dérive, et ce, en apparaissant le plus vite possible pour affirmer leur solidarité… avec l’Etat de droit. Et qui sait, peut être qu’à force de conseiller la justice, la FA obtiendra des subventions assez juteuses pour investir dans son abolition. Mais on entend déjà les mauvaises langues dire que la FA n’est en fait ni anarchiste, ni contre l’existant.

Le jour même des arrestations, alors que les divers syndicats de cheminots et partis d’extrême gauche affirmaient ne pas être impliqués dans ces sabotages, un « responsable de la Fédération anarchiste nationale » réagissait dans le journal de France 3 Limoges à 19h. Il y affirmait qu’aucun militant de la FA n’était impliqué [2] et que de toute manière, ces pratiques de sabotages n’étaient pas celles de la FA. Rebelote, la FA qui a toujours prétendu lutter contre l’image de l’anarchiste incendiaire de la belle époque, « l’anarchiste poseur de bombe », réaffirme son intégration au système et la condamnation systématique de toute attaque contre ce qui nous détruit (avec ou sans bombes) comme par exemple, le TGV et le monde qui le produit.

D’abord elle affirme ne pas être impliquée, facilitant le bon déroulement de l’enquête. Que dire d’anarchistes plus prompt à affirmer leur innocence qu’à affirmer une solidarité de principe contre ce monde ? Il y a déjà un peu de la balance ou de l’indic dans celui qui, alors qu’on ne lui avait rien demandé, affirme son innocence en montrant patte blanche au supposé ennemi pour l’aider à pointer du doigt et à isoler (pour mieux réprimer) les « méchants », ceux qui passent à l’acte sans attendre. Elle s’arroge également la place convoitée du « gentil », de l’anarchiste de gauche, certes un peu contestataire, mais qui ferait pas de mal à une mouche, ou à l’Etat. Les « méchants » en l’occurrence, sont tous ceux qui, ne jouant pas la carte de l’innocentisme, font le choix d’assumer leurs idées et de garder la tête haute face à l’ennemi. Ceux qui croupissent en prison depuis trop longtemps dans l’indifférence totale de nos libertaires, certains d’entre eux sous juridiction antiterroriste. Est-ce vraiment là le rôle d’une organisation qui se prétend anarchiste de distinguer les bons saboteurs des mauvais saboteurs ?

Ensuite, elle condamne l’acte en affirmant que ces pratiques ne sont pas les siennes, que « si le sabotage est une arme à laquelle peut légitimement recourir le mouvement social dans une situation où un rapport de force s’est constitué, il n’est en revanche d’aucune utilité dans le cas contraire » en ajoutant tout aussi péremptoirement que « les cheminots-es le savent ».
Si le recours à des termes comme « Légitime » est déjà largement significatif, on peut se pencher plus en détail sur cette phrase citée plus haut et extraite du communiqué du 11 Novembre de la FA.

Déjà, le sabotage est une arme à laquelle ne peut recourir que le mouvement social, donc par extension, qui ne peut être le fait d’individus. Cet avilissement de la liberté individuelle au profit de la pression d’un groupe social est typique d’une certaine pensée. Ce « débat », a toujours été celui qui opposait (entre autres) anarchistes et marxistes. Aujourd’hui il est celui qui oppose -entre autres également, et quasi uniquement en France- libertaires organisés et anarchistes autonomes de tout partis, syndicats et autres organisations permanentes telles que la FA, la CNT, la CGA, AL et autres subvertisseurs des « masses ».

Selon nos libertaires, il faudrait donc que les révoltés contiennent et contrôlent leur rage, qu’ils attendent l’assentiment du fantomatique mouvement social pour l’exprimer. Il s’agit au final d’attendre la révolution imaginaire qu’ils nous promettent depuis 150 ans déjà, le grand soir messianique qui arrangerait tous nos problèmes et ferait de nous des êtres neutres et assainis de toute colère. Cette négation de la guerre sociale est donc aujourd’hui devenue la base d’accord entre les divers libertaires en recherche de respectabilité, de la FA à Alternative Libertaire en passant par No Pasaran, la CNT et José Bové.

Comme nous l’avons déjà vu dans un autre numéro [3], il y a toujours deux poids et deux mesures en ce qui concerne la révolte, le sabotage ou la reprise individuelle. Mais il faut être aveugle ou mal intentionné pour ne pas reconnaître l’attaque (individuelle ou collective) comme l’une des armes classique des anarchistes, mais surtout des exploités [4]. De tout temps, l’oppression a vu ses fondations fragilisées par le refus en acte de sa bonne marche. En outre, nos fins analystes, affirmant péremptoirement que « les cheminots-es le savent », refont soigneusement l’histoire en révisant les nombreux actes individuels de résistance des cheminots de 39-45, en passant par 1995 jusqu’à là réforme des régimes spéciaux en 2007. Et en effet, nous n’avons que très peu entendu la FA, lorsque des cheminots étaient accusés d’actes de sabotage et incarcérés ces dernières années. A croire que la taxidermie fait des merveilles.

Anarchistes ! désertez les organisations permanentes.

Quelques anarchistes, qui n’hésiteront pas, lorsque des libertaires se mettront en travers de leur route.

Extrait de Non Fides N°IV.

Notes

[1] Sabotages sur les lignes SNCF : Communiqué de la Fédération Anarchiste, 11 Novembre 2008.

[2] ouf, on avait tous peur qu’elle ne sorte du cadre imposé de la légalité, et qu’elle perde ainsi en credibilité vis-à-vis des medias et de l’Etat.

[3] Cf. Deux poids, deux mesures, de l’onanisme en milieu militant dans Non Fides N°3

[4] D’ailleurs nos libertaires ont l’air d’accord avec cette affirmation, mais uniquement lorsque l’attaque est le fait d’un passé glorieux ou d’une tentative d’insurrection exotique

http://www.non-fides.fr/spip.php?article282

Messages

  • La CNT n’est pas une organisation anarchiste (à ce propos, voir http://www.cnt-f.org/spip.php?article12 ), mais - puisqu’elle est citée dans cet article - voici le communiqué de presse qu’elle a diffusé le 19 novembre 2008 où elle affirme son soutien aux militantEs interpeléEs dans l’affaire dite de Tarnac.

    Les terroristes, c’est l’État et les patrons !

    http://www.cnt-f.org/spip.php?article810

    En ces temps de crise économique, le bouc émissaire « anarchiste », « gauchiste » ou « autonome » a bon dos. On agite le chiffon noir aux yeux de la population pour lui faire oublier les vraies questions : pour lui faire oublier que la SNCF est en passe d’être privatisée et que les transports ferroviaires vont être livrés à la sauvagerie du marché. Que bientôt comme en Angleterre, les accidents de train risquent de se multiplier. Que les conditions de travail des cheminots se dégradent à vitesse TGV. Que tous les rapports depuis des années pointent le manque d’entretien du réseau, conséquence du manque de personnel et des privatisations.

    Car, en réalité, le but de ces arrestations surmédiatisées pour lesquelles on fabrique des accusations de façon grossière (on accuse avant même que le jugement n’ait eu lieu et on orchestre un battage médiatique aux allures de procès de Moscou), c’est bien de détourner l’attention de la crise financière qui frappe durement les travailleurs pendant que les banques se débarrassent de leurs actifs pourris.

    L’État a toujours besoin d’un nouvel ennemi intérieur pour faire oublier qu’il organise l’accroissement de la précarité et des inégalités. Après les immigrés, les musulmans ou les jeunes de banlieue, une campagne ignoble est menée depuis l’élection de Sarkozy contre les militants anticapitalistes et notamment dits « anarcho-autonomes » auxquels sont appliquées maintenant les mesures antiterroristes depuis la circulaire du 13 juin 2008 du ministère de la « Justice » demandant aux procureurs de transférer tous les faits qui pourraient impliquer ou se rapprocher des modes d’action « anarcho-autonomes » au parquet antiterroriste.

    Une circulaire qui stipule également que « c’est aussi à l’occasion de manifestations de soutien à des prisonniers ou d’étrangers en situation irrégulière que ses membres s’expriment, parfois avec violence ». Une manière de faire écho aux propos de l’UMP vis-à-vis de RESF, accusée d’être responsable de l’incendie du CRA de Vincennes en juin dernier…

    En outre, nous ne saurions ignorer que toute cette affaire n’est en réalité que le premier coup de la nouvelle Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) créée fin juin en fusionnant la Direction de surveillance du territoire (DST) - les services secrets pour l’intérieur - et les Renseignement généraux (RG), la police politique : une telle réorganisation porte en elle-même l’amalgame « contestation sociale = terrorisme ».

    En réalité, avec Edvige, les Tasers, vigipirate, les prélèvements ADN, la rétention de sûreté, le fichier base-élèves, les militants condamnés pour délit d’outrage, le GIGN envoyé contre des grévistes, bref avec le tout-policier et le tout-sécuritaire, c’est bien l’État qui nous terrorise au quotidien. La CNT dénonce cette politique sécuritaire qui consiste à fabriquer des épouvantails afin d’effrayer la population et de la détourner des luttes sociales. La CNT exige le retrait de la circulaire du 13 juin ainsi que de tous les fichiers et de tous les dispositifs qui visent à réprimer et criminaliser ceux qui luttent pour un monde solidaire et sans hiérarchie.

    L’anticapitalisme n’est pas un délit ! Le militantisme n’est pas un crime !

    Confédération Nationale du Travail (CNT)

    Bureau confédéral