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Le prix Nobel de la paix et l’Algérie, une distinction manquée ? (parties I, II, et III)

Publie le mardi 29 septembre 2009 par Open-Publishing

Il se veut être une récompense en même temps qu’une double reconnaissance éthique et universelle, pour tout ce qui peut consolider le progrès, la paix et le bonheur des hommes.

Les critiques et les polémiques qu’il suscite, font état des miroirs équivoques occultant un processus de la répartition de la créativité sociale ainsi qu’un mode d’appropriation du savoir et des techniques à des fins de domination et de reproduction du pouvoir. Un rituel sans surprise, rendez-vous est pris à l’Académie Royale des Sciences à Stockholm, le 10 décembre 2009.

L’Algérie, pas encore formatée, ne doit pas faire le deuil d’un Prix Nobel de la Paix qu’il ne lui aurait pas été décerné en 2003, après tant de prouesses dans la résolution des conflits, la pacification (loi de la « Rahma », concorde civile et réconciliation nationale) et la diplomatie de la paix (Union africaine, Nepad, Ethiopie, Erythrée). Pas de déception à avoir pour un Prix Nobel de la Paix idéologiquement et foncièrement inéquitable (notamment en omettant les pays du Sud). Une alternative doit être recherchée pour encourager, pour récompenser « les justes » de toute l’humanité.

INTRODUCTION GENERALE

L’Algérie est, selon les observateurs étrangers, un pays qui a accompli des prouesses reconnues notamment dans l’apaisement des crises : la sienne d’abord, celle de la décennie noire (1989/1999) et, ensuite, dans ses actions diplomatiques de pacification sur le théâtre international et particulièrement celui du continent africain.

Selon leur appréciation, jamais ce pays n’aurait été aussi proche d’une nomination au Prix Nobel de la paix, tout au moins jusqu’en 2006, tant il apparaissait comme être en adéquation avec l’esprit de cette honorifique distinction et en pole position pour ce qui est de la compétition. D’autant que jusqu’à cette date, le Prix Nobel de la Paix avait essentiellement été attribué à des pays « du Nord » (81 % - 2003) alors que la quasi-totalité des conflits pris en compte se trouvait dans « le Sud ». Un rééquilibrage régional s’imposait, ce qui fut fait (Iran 2003, Kenya 2004, Egypte 2005, Bengladesh 2006) sous peine de remettre en cause, entre autres, l’universalisme de cette reconnaissance tant voulue par ses initiateurs, lorsqu’ils ont exclu toute restriction quant à la nationalité.

Ces témoins partaient du constat qui prenait en compte notamment :

- la sortie d’une crise décennale grave en ayant évité « la balkanisation du pays » ;

- la mise en oeuvre d’une « politique du Pardon », dès 1995, avec la loi de « la Rahma » (la Clémence) « Concorde et réconciliation nationale en cours en 2009 » à l’instar de l’Afrique du Sud et de l’Amérique latine ;

- de la contribution à la MUE de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) en une nouvelle structure « l’Union africaine » (UA) et au parachèvement d’un nouveau Partenariat pour le Développement (le NEPAD). C’est-à-dire à un édifice régional plus adapté pour faire face aux défis du XXIème siècle, notamment quant au Droit de l’Homme, de l’Etat de droit, de la démocratie et de la gouvernance ;

- d’avoir initié une diplomatie de paix avec la médiation réussie entre l’Ethiopie et l’Erythrée avec « l’accord cadre d’Alger » (1) ;

- et si l’on y ajoute une élection présidentielle pour un second mandat (2004) jugée comme « acceptable » par les observateurs étrangers.

C’est-à-dire un ensemble de remarques qui laissait croire que l’éligibilité de l’Algérie au « Prix Nobel de la Paix » était des plus vraisemblables et même imminentes notamment depuis le début du millénaire, et principalement à partir de 2003 à 2006.

L’Algérie aurait-elle manqué d’être honorée par cette distinction internationale ? Pour quelle raison ? Est-ce une réelle déception ?

Le « réalisme » commande pourtant de ne pas perdre de vue que le Prix Nobel, et particulièrement dans sa déclinaison pour « la paix », n’est pas exempt de critiques ni de polémiques notamment quant on l’incrimine d’être un moyen « d’instrumentalisation idéologique » édictant les normes des puissants d’aujourd’hui.

La resolution des conflits par la pacification (eninterne : Rahma, concorde civile, réconciliation nationale) ET LA DIPLOMATIE DE PAIX (en externe : Union africaine, Nepad, Ethiopie et Erythrée)

I/ L’ALGERIE EN ADEQUATION AVEC L’ESPRIT DU « PRIX NOBEL DE LA PAIX »

Chaque année, depuis 1901, le Prix Nobel de la Paix se veut récompenser et distinguer, entre autres, tout effort en direction de la résolution pacifique des conflits, des droits de l’Homme, de la démocratie, de l’environnement et du développement économique et social dans le monde. En ce qui concerne l’attribution du Prix Nobel de la Paix pour l’année 2009 (2), il a déjà été enregistré un nombre record de 197 candidats en lice, postulants pour cette illustre distinction. Une liste dans laquelle figure notamment l’Algérie avec le Président Abdelaziz Bouteflika, lequel semble, entre autres, porté par un aréopage de députés, d’associations de la société civile et de notables algériens.

Il faut se souvenir cependant, que 199 candidatures y avaient déjà déposées en 2005 - un pic selon les organisateurs -. A cette époque, selon des observateurs avertis, l’Algérie avec le Président Abdelaziz Bouteflika, y était déjà nominée, en plus d’être un challenger en pole position pour arracher ce Prix. Un contexte où il a été pris en compte que le régime politique algérien aurait réalisé un certain nombre de prouesses en adéquation avec l’esprit du Prix Nobel de la Paix, aux effets identifiables dès l’année 1999.

En effet, c’est une lecture rendue possible à partir d’un certain nombre de choix politiques tant en internes qu’en externes :

UNE POLITIQUE DU PARDON

En interne, l’Algérie entame une déclinaison d’une « politique du pardon » à l’instar de l’Afrique du Sud ou de l’Amérique latine, comme réponse à la problématique du « comment sortir » de la violence d’Etat face à la barbarie de l’extrémisme religieux. C’est l’initiative politique, d’abord de la loi de la « Rahma » (la Clémence) 1995, puis de la Concorde civile, de « la réconciliation nationale » toujours en cours en 2009 (3), juste après avoir évité de devenir « un Afghanistan avant l’Afghanistan » ainsi que « la balkanisation du pays pendant toute une décennie noire » (1988/1999) en plus d’avoir représenté une réelle menace pour la sécurité du monde occidental (Cf. attentats en France de 1995).

C’est d’avoir initié une « sortie de crise » qui a abouti à une pacification de la société, à un retour au développement économique notamment en profitant d’une conjoncture financière exceptionnelle, grâce à une rente pétrolière opportune et conséquente.

Une politique du pardon dont la loi de la « Rahma » « la concorde civile » et « la réconciliation nationale » en ont été les instruments, laquelle a eu pour effet indéniable une réduction notable de l’intensité de la violence, elle consacre un « Etat debout » qui a survécu à la déferlante de « l’extrémisme islamique ».

Cette politique n’en reste pas moins non exempte de critique ou de polémiques, mais il faut reconnaître qu’elle a permis la reprise d’initiative du pouvoir à partir de la remise en marche des institutions algériennes. Notamment avec une diplomatie renaissante et, en tant qu’acteurs aux initiatives appréciées sur la scène internationale qui oeuvre pour la consolidation de la paix et de ses fondations, particulièrement dans le Continent africain.

CONSOLIDATION D’INSTITUTIONS DE PAIX ET DE PROSPERITE :

• L’UNION AFRICAINE, LE NEPAD

Il est pratiquement impossible de ne pas prendre acte de l’implication positive de l’Algérie dans son « agir diplomatique » . Notamment dans la consolidation institutionnelle au niveau continental, en contribuant en tant qu’acteur international crédible au remplacement de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), laquelle a plus ou moins fonctionné de 1963 à 2002, date de sa dissolution et son remplacement par l’Union africaine (UA). Cette dernière se retrouve mieux architecturée, plus fonctionnelle pour répondre aux défis du XXIème siècle, notamment quant à la mise en oeuvre de l’Etat de Droit, des Droits de l’Homme et de la bonne gouvernance.

L’Union africaine se donne ainsi pour mission de redynamiser le processus d’intégration politique, de dépasser les séquelles du colonialisme, d’affirmer sa souveraineté sur le continent et de peser dans le concert des nations en tant qu’acteur à part entière. Et cela, grâce notamment à la mise en place d’une Autorité partagée entre la Conférence des chefs d’Etats et un Parlement Panafricain, mis en place en 2003 avec une perspective de s’ouvrir aux membres de la Société civile africaine. Il en est ainsi avec la « Prévention des conflits » un outil où l’Union africaine se donne le droit d’ingérence, entre autres, dans certains cas de génocide ou de crime de guerre en plus d’un refus systématique de reconnaissance d’une prise de pouvoir par un coup d’Etat (article 4 de la Charte de l’UA).

Une non-reconnaissance déjà appliquée à trois Etats qui ont été suspendus de l’Union (Mauritanie, Guinée et Madagascar).

L’Union africaine s’inspire largement de l’expérience de l’Union européenne, le secrétariat général de l’ancienne OUA a été remplacé par la commission qui a un pouvoir d’initiative et non seulement exécutif ; ce n’est donc pas du « copier-coller ». Une originalité qui pourrait être source de progrès dans la gouvernance.

La paix et la prospérité sont toutes deux indispensables pour une construction durable. C’est également ce souci d’arriver à vivre ensemble dans le bien qui a été inscrit dans un grand projet économique à vocation continentale le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (Nepad).

• LE SOUCI DE LA PROSPERITE (NEPAD)

Là aussi, l’Algérie s’est avérée très active, notamment en tant que membre du Comité des cinq initiateurs du document stratégique du projet pour le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (Nepad), entre autres, avec l’Afrique du Sud, l’Egypte, le Nigeria et le Sénégal.

Ce document, ou plutôt cette feuille de route concise, se veut être un programme pour contribuer à la renaissance de l’Afrique en prenant bien soin de lier conditions politiques avec l’économique. Cette démarche marque une rupture avec les précédentes (4) tant elle vise à atteindre un développement apaisé et durable pour l’Afrique tout en consolidant et « l’Etat » et le « marché ». L’Afrique se veut, entre autres, être capable de pouvoir faire face aux pressions commerciales inéquitables américaines tant du « African Growth opportunity ACT (AGO) (5), que de l’Union européenne (UE) avec le cadre des « Accords de Partenariats Economiques » (APE), ou encore de l’offensive chinoise en passe de devenir le premier partenaire commercial du continent avec plus de 108,6 milliards de dollars en 2008 (6).

Un nouveau partenariat avec le Nepad capable de s’imposer notamment face aux problèmes des « subventions » accordées aux agriculteurs américains et européens, et globalement instaurer un commerce « plus » juste avec l’Afrique. La consolidation de ses institutions politiques s’accompagne d’une nouvelle vision de développement, l’Afrique qui se veut devenir un acteur international incontournable dans l’agenda des grands événements mondiaux, comme cela fut le cas dans le dernier G20 à Londres (avril 2009).

Les efforts de la diplomatie algérienne, notamment dans ce cadre de consolidation d’institution de la paix (UA) et de prospérité (Nepad), sont très importants et facilement quantifiables (en moyens conséquents, tant diplomatiques, politiques qu’économiques). Faut-il rappeler encore la médiation réussie dans la résolution du conflit Ethiopie-Erythrée ?

LA MEDIATION ALGERIENNE : « UN INGINEERING DE LA NEGOCIATION APPROPRIEE »

• CAS DE L’ETHIOPIE ET DE L’ERYTRHEE

Faut-il ajouter le rôle positif de l’Algérie dans la médiation réussie, dans le cas particulier du conflit séculaire et complexe entre l’Ethiopie et l’Erythrée et qui a abouti à « l’accord-cadre d’Alger » (le 28.12.2000), lequel mit fin aux hostilités entre les belligérants ?

L’impulsion bénéfique de l’Algérie dans l’aboutissement de la résolution de ce conflit en « Afrique de l’Est » marque incontestablement le retour sur la scène internationale en tant qu’acteur et promoteur d’une diplomatie de paix des responsables algériens.

C’est une prouesse managériale dans la résolution des conflits qui a consisté en une manoeuvre dialectique :

- D’abord, par une extension de la considération donnée aux belligérants

• En la mise en concert de « hauts dignitaires » mondiaux, entre autres, des représentants des Nations unies (UN) (Kofi Anane), de l’Union européenne (UE) (M. Rino Serri), des Etats-Unis d’Amériques (USA) (Anthony Lake, Suzanne Rice, Madeleine Albright), du G.77 et de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) (Obasango du Nigeria et G. Eyadema du Togo). C’est-à-dire, avoir réussi une mobilisation internationale de haut niveau non négligeable autour de ce conflit local. Cette performance a eu un double effet stratégique :

- le désenclavement diplomatique de l’Algérie, c’est-à-dire de la rupture de l’isolement du régime algérien, effet collatéral engendré par l’arrêt brutal du processus électoral de janvier 1991 par l’armée ;

- mais aussi le « retour en capacité » de l’Etat (full state) lequel a été en mesure de dénouer une crise intérieure grave avec, entre autres, la mise en oeuvre d’une « politique de réconciliation nationale », et donc de retrouver ainsi une certaine crédibilité (intérieure qu’extérieure) pour peser dans la médiation de ce conflit.

- Ensuite, par un processus de dédramatisation du litige. C’est ainsi que l’expertise algérienne dans « la résolution des conflits par la médiation » a été appréciée particulièrement quant à la démarche employée (extension de la considération/minoration du litige) dans le cas de cet affrontement violent et fratricide entre l’Ethiopie et l’Erythrée déclenché le 6 mai 1998, autour de la ville de Badme, sur la frontière ouest entre les deux pays et où l’Ethiopie tendait à vouloir réaffirmer sa souveraineté. - C’est pour 400 km² de terres arides situées à l’articulation du monde nilotique de la Corne d’Afrique et de la région des Grands Lacs, dans le triangle de Yirga - et qui ne méritait pas la mort du moindre soldat.

• Le « non-dit » dans ce contentieux aurait pu être celui du problème oppressant du manque de débouché maritime pour l’Ethiopie - avec la perte du port de Massada sur la mer Rouge, redevenu Erythréen, suite au redécoupage onusien (8) - et de l’accès fluvial possible du côté de la région des Grands Lacs (Kenya, Ouganda) ;

• Un type de conflit violent, fratricide (9) (entre Tigréens éthiopiens et érythréens) qui trouve ses sources déjà dans l’histoire, entre autres, des TARES HERITEES du colonialisme européen, de ses contradictions et rivalités (Italiens, Français, Anglais), dont l’expansionnisme violent a bloqué l’avènement de l’Etat Nation dans ces régions en y imposant des entités géopolitiques artificielles. Ces dernières ayant pour fonction d’assurer essentiellement l’hégémonie et la prédation sur le patrimoine et les ressources de ces pays, le tout en faisant fi des ethnies, des peuples, des cultures et des religions rencontrées sur le terrain ici et là.

L’intelligence du contexte historique doit nécessairement prendre en considération, la chute de l’empire soviétique, mettant ainsi fin au monde Bipolaire. Un événement capital, marqueur d’une accélération de l’histoire, laissant présager « le crépuscule des idéologies » comme moteur politique, en même temps que d’une remise en question des prétentions du « communisme » ou du « libéralisme » à l’universalisme ou au messianisme quant au bonheur de l’homme. C’est donc le constat de la fin des certitudes eschatologiques, (10), que des substituts ici et là, fondamentalistes, évangélistes, apocalyptiques nihilistes, etc. qui vont s’empresser d’essayer de remplir le vide ainsi créé. « L’après-duopole » s’avère générateurs de chaos et, par là même, du « grand désarroi des populations » (Alfred Grosser/Emmanuel Mounier) dont n’ont échappé ni ceux d’Algérie, d’Ethiopie, d’Erythrée ou du reste du monde. Comme l’atteste l’émergence des tensions et conflits depuis 1989, date à laquelle se profile un développement planétaire sans barrières, où tout est proche, où tout communique et « semble accessible. C’est le « global village » (Mc Luhan) (11), c’est-à-dire une nouvelle étape franchie par l’humanité. Les relations de puissances deviennent en toute évidence plus complexes, les alliances ou les ruptures d’alliances se font au gré de la géopolitique. C’est-à-dire, « des acteurs, des enjeux qui découlent de leur confrontation et des dynamiques territoriales qui découlent de celles de leur rivalité » (12).

Précisément, dans ce conflit entre l’Ethiopie et l’Erythrée, l’action de l’intense médiation algérienne a consisté à agir et interagir sans compter (sollicitant intensément appareils diplomatiques et réseaux), notamment sur principalement trois sphères d’enjeux, selon la théorie de Pierre Vercauteren, en relations internationales (13) : celle de la « signification de l’économie et de la sécurité ».

A suivre …

Mohamed-Rédha Mezoui
Professeur de l’enseignement supérieur, Politologue (Alger).

Références :

(1) Cérémonie de signature de l’accord de paix entre l’Ethiopie et l’Erythrée. Mardi 12 décembre 2000. Alger. http: //www.el mouradia.dz

Doc. Assemblée générale ONU. Conseil de sécurité du 13.12.2000.

(2) AFP/MAP. 27.12.2008

(3) Politique du pardon. Sandrine Le Franc. PUF Paris : 2002. 303 pages

Le pardon en politique internationale. W. Bole, D. Christiansen, R.T. Hennemeyer. Nouveaux Horizons Paris 2007. 194 pages.

Justice et réconciliation. Politique africaine n° 92 du 12/2003. Ed. Karthala Paris. 2004. 206 pages.

(4) (Nepad) http: //www.memoire online. Com 06/06/164/M. Nepad. Le 05.08.09

(5) J. Afrique n° 2510 du 15 au 21/02/2009. Chine Afrique. Le grand bon en avant. P. 13

(6) J. Afrique. Op. cit. P. 11-13

(7) Alfred Grosser et Emmanuel Mounier. « Désordre établi ». Revue Esprit, 1967.

(8) Aymeric Chauprade/François Thual. Dictionnaire de géopolitique. Ethiopie. P. 155-158. Ed. Ellipses. Paris 1999.

(9) Courrier international n° 508 du 27 juillet - 16 août 2000

(10) Escathologie « Dernières choses » est l’étude aussi bien du sort de l’homme (après sa mort et dans l’au-delà) que l’avenir du monde tout entier (fin des temps et début d’un monde nouveau). Gerhard/J. Bellinger. Encyclopédie des religions. La Pochothèque. Paris 2000. P. 186

(11) Mac Luhan. Le village global. Comprendre les médias. New York Mc Graow-Hill Book - 1964

(12) Aymeric. Chauprade/F. Thual. Concept de la géopolitique. P. 481- Op cit.

(13) Pierre Vercauteren. L’après Duopole. Ed. Economica. Paris 1997. P. 23-45

http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5126466&archive_date=2009-09-09

Le prix Nobel de la paix et l’Algérie, une distinction manquée ?
( par Mohamed-Rédha Mezoui )
Partie II

• L’ORTHODOXIE DE LA « THEORIE DES TROIS SPHERES » COMME DEMARCHE EXPLICATIVE POUR LA RESOLUTION DES CONFLITS

- La redynamisation de la « SPHERE DE LA SIGNIFICATION » en tentant de donner du « sens » avec pour objectif d’abord la mise en distance de la violence, le contrôle des émotions et opérer ainsi une objectivisation de la situation, ce qui permet l’intégration des points de vue de toutes les parties et de décomposer les exigences de chacun. C’est-à-dire, de mettre à nu la futilité du « conflit réel », notamment grâce à de grands acteurs (USA, UE, OUA, G77) témoins mais néanmoins associés dans le processus de réconciliation. C’est-à-dire, donner à ces belligérants, notamment de la considération, celle des grands, leur écoute active, et les pousser ainsi au dépassement d’eux-mêmes, de leur subjectivité pour un retour à la raison. C’est leur faire obtenir une reconnaissance inespérée, pour des peuples insignifiants en regard du monde nouveau, une stratégie qui a poussé les belligérants à l’intelligence d’un arrangement. La considération, le prestige pèse d’un poids certain en politique, ce que l’étude des motivations humaines par Abraham Maslow (14) a bien mis en relief. En effet, dès que les besoins primaires étaient résolus, notamment pour ce qui concerne les élites dirigeantes, le besoin de prestige l’emporte avec celui de la considération. C’est-à-dire, un biais facilitateur important pour toute éventuelle négociation.

- C’est « LA SPHERE DE L’ECONOMIE » qui peut, dès lors, être mise en oeuvre, les nouvelles attitudes dégagées (reprise de dialogue notamment), permettent, entre autres, un accord de coopération économique, l’antagonisme se transforme en partenariat, lequel garantit sous la haute supervision des puissants, notamment, l’accès maritime à l’Ethiopie pour ce qui est de la mer Rouge, l’accès fluvial pour ce qui est du côté des Grands Lacs. En plus d’une promesse d’aide internationale pour les deux pays, Ethiopie et Erythrée, qui se retrouvent engagés dans un accord gagnant-gagnant, signé à Alger sous le patronage des grands.

• La « raison rappelée », « le commerce réengagé », c’est, au final, la détente avec « LA SPHERE DE LA SECURITE », en permettant un accord sur le bornage des frontières communes, la réduction des tensions tant intérieures (ordre public) que les tensions extérieures (militaires). L’interaction intelligente et permanente entre ces trois sphères a permis d’aboutir à la paix et l’accord-cadre d’Alger.

Le cadre des accords d’Alger reste pour la diplomatie algérienne un exploit dans « l’engineering de la résolution des conflits », d’autant que presque dix années se sont écoulées, l’accord tient, et semble durer dans le temps. Et cela, en dépit de fortes turbulences qui secouent cette région de l’Afrique de l’Est et particulièrement la Somalie voisine, en plus des convoitises géopolitiques des grandes puissances sur la mer Rouge, route stratégique du commerce et du pétrole.

Dès lors, aux vues des éléments disponibles énoncés (ci-dessus) et du constat des efforts significatifs concédés par l’Algérie, nombre d’observateurs avertis (indiscrétions recueillies auprès de certains membres de pays, d’habitués des coulisses de l’Académie des Sciences de Stockholm, de parlementaires norvégiens, d’ONG etc.). Lesquels spéculaient intensément sur l’attribution plausible et imminente du Prix Nobel de la Paix au Président Abdelaziz Bouteflika, son pays étant en pole position depuis au moins 2003 et ce, jusqu’en 2006. L’Algérie n’a cependant pas été bénéficiaire de cette reconnaissance, qui paraissait pleinement à sa portée, et qui doit, désormais certainement, en faire son deuil.

C’est à partir des nombreuses critiques et polémiques que suscite de façon récurrente l’attribution du Prix Nobel et particulièrement celui consacré « à la paix », qu’il faut essayer de décrypter ses miroirs équivoques. Notamment, en s’interrogeant sur « les glissements observés tant dans la représentation de la créativité sociale que dans le mode d’appropriation des savoirs et techniques à des fins de domination et de pouvoir » (15) ainsi qu’à sa reproduction.

« LE PRIX NOBEL ET SES OMBRES »

II. LE PRIX NOBEL ET SES MIROIRS EQUIVOQUES

II.1) La première : Il apparaît comme inéquitable dans son attribution (Prix Nobel de la Paix).

La démarche consiste dans ce cas, à un relevé exhaustif du palmarès des attributions du Prix Nobel, en général, et de celui de la Paix, en particulier, depuis sa création en 1901 (Cf. Google - Palmarès Prix Nobel), et de prendre connaissance de façon succincte des grandes tendances et de leurs caractéristiques. Celles qui, éventuellement, pourraient s’en dégager et contribuer à un éclairage réel et significatif, notamment par le fait d’apparaître comme inéquitable tant son attribution, qui, dans ses moyens, avec en plus les effets pervers qui s’en dégagent, entre autres, celle de la fuite des cerveaux.

Cette approche quantitative prendra hypothèse de départ, cette volonté affichée d’universalité du Prix Nobel (critère des nationalités étant exclu) et notamment le constat de la séquence d’attribution inédite vers les pays comme l’Iran, le Kenya, l’Egypte et le Bengladesh, nominés successivement, laquelle a occasionné ainsi nombre de questionnements, laissant, entre autres, transparaître une volonté de rééquilibrage de cette distinction vers les pays du Sud.

Le tableau du palmarès des attributions du Prix Nobel de la Paix, depuis sa création (1901) à ce jour (2008), permet de faire les observations suivantes :

Tableau synoptique des tendances d’attributions du prix nobel de la paix depuis sa creation

(16) Tableau élaboré à partir de Source du « American Association for the Advancemement of Science, Science and Ingeneering indicators - 2000.

- Un tableau qui nous révèle de manière cursive quelques caractéristiques et grandes tendances observables quant à l’attribution du Prix Nobel de la Paix depuis sa création en 1901. Deux périodes ont été sciemment dégagées :

 1°) la première de 1901 à 2003 : dont on peut remarquer :

n Un déséquilibre structurel dans l’attribution du Prix Nobel de la paix entre pays développés, avec 68 nominations, soit 81 % du total. Les pays en voie de développement ne sont concernés que par 16 nominations, soit 19 % de l’ensemble qui a été décerné.

n Il est relevé que 19 prix n’ont pas été attribués, du fait notamment de la 1er et 2ème Guerre mondiale ainsi que de quelques conjonctures internationales difficiles, soit un pourcentage de 22,6 % pour la première période.

n Quant aux contestations et omissions, elles peuvent être évaluées sommairement à au moins 19 désaveux, soit 22,6 % de l’ensemble des candidats retenus.

 SURVOL DES CONTESTATIONS ET DES OMISSIONS :

A/ LES CONTESTATIONS

 Un simple survol tant des contestations que des omissions suscitées de façon récurrente à chaque attribution du Prix Nobel, pratiquement depuis sa création, met en évidence déjà la difficulté à s’accorder sur l’idée du « vivre ensemble dans la conciliation » à propos des sociétés humaines.

L’élargissement du Prix Nobel à une distinction en faveur de la paix semble avoir été une initiative « inappropriée ». La paix n’est pas naturelle. Elle est, avant tout, une construction humaine et ressentie généralement comme une valeur suprême. Elle est le mythe fondateur de la société internationale régularisée. La charte des Nations unies dans son article premier, consacré aux buts de l’Organisation, stipule comme principal objectif « le maintien de la paix et de la sécurité internationales ». La morale et la raison semblent se rejoindre quant au rejet de la guerre et de ses violences. L’histoire montre, cependant, que les grandes périodes de paix qu’ont été la « Pax Romana » puis « la Pax Britannica » et aujourd’hui « Pax America » n’ont été que l’expression d’hégémonies particulières, elles-mêmes sources inéluctables de violences.

Les théories de la paix, notamment celles « du doux commerce » de Montesquieu (17), ou encore celles « de la paix démocratique » de Kant ou de Russett (18), ne font pas l’unanimité face aux faits. Faut-il se ranger dans le camp des réalistes et penser comme Raymond Aron « qu’il n’y a de paix que lorsque les armes se taisent » (19).

Il est dès lors prévisible que les contestations à propos des attributions des Prix Nobel de la Paix soient le reflet des difficultés sémantiques d’appréhension quant à la notion de la Paix, laquelle consiste à partir généralement de la notion de guerre. D’ailleurs :

• Dès 1906, l’attribution du Prix Nobel de la Paix au président américain Theodore Roosevelt, militariste avéré, adepte de la « politique du Big Stick » et qui se plaisait à répéter à propos des négociations de paix « de parler doucement, mais ayez un gros bâton dans les mains et vous irez très loin » (20).

• En 173. C’est Henry Kissinger et Le Duc Tho qui en sont les lauréats (Etats-Unis/Vietnam) pour l’accord de paix au Vietnam. Il faut mentionner le refus du Vietnamien Le Duc Tho d’accepter le Prix.

En effet, le Prix Nobel de la paix a pour effet notamment d’occulter la cuisante défaite américaine et le désastre de son armée. D’autre part, c’est le choix d’Henry Kissinger qui fut largement contesté, ce dernier étant adepte et théoricien de la Prévalence de la raison d’Etat et de la realpolitilk (les intérêts avant éthique). En plus de relever en ce qui le concerne, des accusations « de crimes commis au nom de l’Etat » tant au Vietnam qu’en Amérique latine où son implication est fortement pressentie dans le « Plan Condor » visant à éliminer les opposants aux régimes autoritaires alliés aux Etats-Unis, ainsi que dans la chute du président chilien Allende. Des faits relatés avec précisions par le journaliste d’investigation américain Christropher Hitchens dans son livre « Les crimes de Monsieur Kissinger » (21).

• En 1978, c’est l’attribution du Prix Nobel à l’Egyptien Anouar El Sadate et à Menahem Begin (pour les négociations entre l’Egypte et Israël ».

Avec un « remake » en 1994 où la distinction se veut honorer Yasser Arafat, Shimon Peres et Yitzhak Rabin « pour leur avancée remarquable dans les négociations de paix entre Israël et la Palestine ».

Les deux Nobel de la paix consacrent dans les faits « un marché de dupe » ;

- le premier qui entérine la vassalisation de l’Egypte aux Etats-Unis et à Israël ainsi que la mise en oeuvre d’une stratégie pour casser un front arabe pour la Palestine ;

- le second s’avère une escroquerie mondiale « en laissant croire à une paix imminente dans une région extrêmement instable », ce que les événements de Ghaza en 2009 ont démenti. (No comment).

• En 1990, c’est la mise en avant du Président Mikhaïl Gorbatchev (soviétique) pour « sa participation dans l’arrêt de la guerre froide ».

Quelle signification donner à ce prix à un perdant de la guerre froide et qui a contribué à l’échec des réformes (Glasmost et Perestroïka) du système capitaliste ? Sinon de lui sauver la face pour service rendu.

• En 2001. Le Prix est attribué aux Nations unis et à leur secrétaire général, Kofi Annan, alors que les réformes indispensables du système onusien n’ont pu être mises en oeuvre, en plus du scandale qui a affecté l’Organisation dans l’affaire « Pétrole contre nourriture » en Irak.

• Quant aux étonnantes attributions successives en :

- 2003. Chirine Ebadi (Iran). Première femme juge en Iran en 1974, et qui oeuvre pour la défense des droits de la femme et des enfants dans une société musulmane ultra conservatrice.

- 2005. Mohamed El-Baradei (Egypte) et AIEA pour leurs efforts contre la prolifération des armes nucléaires.

- 2006. Mohamed Yunus ainsi que la Banque Grameen Bank (Bengladesh) pour le développement du principe de microcrédit.

Cette séquence d’attribution marque indubitablement le dévoiement de l’esprit du Prix Nobel de la Paix. Pour l’Iran, c’est battre la mayonnaise de la contestation interne, une ingérence à peine déguisée pour ce qui est de l’Iran. Quant à Mohamed El-Baradei et son agence, c’est certainement pour ne pas avoir jeté l’éponge face aux pressions, à l’instar de Ian Blix (contrôleur de l’AIEA pour l’Irak) qui, lui, a mis à nu l’instrumentalisation politique de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique notamment pour l’Irak. Enfin, pour ce qui est de Muhamed Yunus et le microcrédit, c’est le principe même qui ne fait pas l’unanimité d’experts financiers et d’économistes renommés. Le microcrédit a aussi de nombreux effets pervers. Quant aux omissions, leurs récurrentes dépassent la simple négligence.

B) LES OMISSIONS

Il est également pour ce qui est des omissions constatées, c’est, entre autres, celles des grands oubliés qui comprend notamment le Mahatma Gandhi, qui a été également publiquement et unanimement regrettée. « Une négligence » qui a fait le consensus contre le Prix Nobel de la Paix. En dépit que l’attribution au quatorzième Dalaï Lama, récompensé en 1989, l’aurait été en partie en hommage à la mémoire du Mahatma Gandhi, selon les déclarations de certains membres du jury.

De nombreuses omissions ont été relevées par les observateurs, notamment le Sud-Africain Steve Biko (militant anti apartheid depuis 1967), le Polonais Raphael Lemkin (1964, créateur du terme génocide), Cesar Chavenez (fondateur charitable), Oscar Romero (Prêtre San Salvadorien, défenseur des pauvres et des opprimés), le Français l’Abbé Pierre, (fondateur d’Emmaüs), et en toute évidence il n’a jamais été question d’une personnalité éthique et marquante du monde arabe ou islamique.

Ce survol rapide des contestations et des omissions préfigure le constat de la difficulté à valoriser une valeur morale comme la paix, cette notion polysémique qui exige un minimum de définition avant d’en faire usage, l’iniquité devenant alors la règle inévitable. Le Prix Nobel pour les Sciences n’échappe pas tant aux contestations qu’aux omissions. Cependant, c’est la démesure des moyens, notamment financiers engagés par les pays du Nord que retient d’avantage l’attention.

INEQUITABLE DANS LES MOYENS : SES OMBRES

Les Prix Nobel scientifiques ne sont pas fortuits ni même spontanés, et les budgets consacrés à la recherche et au développement confirment la hiérarchie des puissances. Notamment des Etats-Unis et leur apport financier colossal par la masse des investissements réalisés en matière de recherche et de développement, lesquels assurent un retour d’investissement conséquent in fine.

Tableau : Investissement recherche/Developpment par pays Banque mondiale 1997. Source : B.M. 1997

A ces capacités industrielles et financières, s’ajoute évidemment la ressource humaine, et il s’agit là de drainer cette matière grise vers les pays pouvant les satisfaire pleinement et utilement. C’est la politique du « Braindrain » qui n’est pas sans critiques, notamment quant à ses effets pervers pour les pays du Sud.

b) La seconde : inéquitable dans son attribution : cas du Prix Nobel scientifique.

Le palmarès des Prix Nobel dans les domaines scientifiques : physique, chimie et physiologie ou médecine pour les années 1901 à 2000 donne aussi la même tendance inéquitable :

B) inéquitable dans les moyens, et donc, dans ses résultats

(1) Source OP Cit

Palmares des attributions des prix nobel scientifiques depuis 1901 à 2000

 Monde occidental 90,62 %

 Japon 1,7 %

 URSS 3,40 %

 Monde islamique 0,28 %

(I) Elaboré à partir - A.A.A. of Science - S.I. Indicators 2000.

(1) Source : American Association For the advancement of science, science and engineering indicators - 2000.

- 2°) La seconde, de 1901 à 2008, est intéressante par :

Une tentative de réduction du déséquilibre dans l’attribution du Prix Nobel de la Paix entre les pays développés et les pays en voie de développement. En effet, quatre années sur cinq vont marquer quatre attributions successives aux pays en voie de développement et une seule aux pays développés. Notamment avec 20 Prix Nobel de la Paix attribués aux pays en voie de développement ; c’est une sensible réduction de l’écart qui passe à 22,5 % au lieu de 19 %, et 77,5 % contre 81 % pour les nantis.

Les spécialistes avaient, dans l’ensemble, tous pronostiqués cet indispensable rééquilibrage envers les pays défavorisés, un couronnement inévitable de ces derniers pour sauver l’idée d’universalité et d’honorabilité de cette distinction, d’autant que la majorité des conflits et tensions se situaient dans le Sud. Conséquence des séquelles des siècles de colonialisme, du désarroi des peuples après la fin du monde bipolaire, du choc des civilisations, de l’emballement du monde capitaliste et ses crises.

Selon l’avis des observateurs, l’Algérie aurait eu toutes ses chances pour être nominée, notamment pendant les années 2003, 2004, 2005 et 2006. Années durant lesquelles ont été décernées successivement en 2003 à l’Iran, en 2004 au Kenya, 2005 à L’Egypte et en 2006 au Bengladesh. D’autant plus qu’il n’avait pas échappé au jury norvégien du Prix Nobel de la Paix, toutes choses égales par ailleurs, les efforts remarquables de l’Algérie. Pourquoi alors aurait-elle manquée d’être honorée par un Prix Nobel de la Paix ?

A suivre …

Mohamed-Rédha Mezoui
Professeur de l’enseignement supérieur, Politologue (Alger).

Références :

(14) Abraham Maslow. A. Theory of human motivation psychological review. July 1943. PP. 370/396

(15) Henri Laborit. « La nouvelle grille ». La créativité. Ed. Robert Lafont. Paris 1974. P. 313

(16) Tableaux à partir : Sources : American Association for the advancemement of science, science and engineering indicators. 2000.

(17) Montesquieu. L’esprit des lois. 1748. Ed. Flammarion 1979. Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et leur décadence. 1734)

(18) E. Kant/Russett. Kant. Vers la paix perpétuelle. Ed. Flammarion. Paris 1991. Russet B. Grasping. The democrating peace. Princeton univ. Press 1993

(19) Raymond Aron. « Paix et guerre entre nations » Ed. Calman Levy. Paris 1984.

(20) M. Lefebvre/D. Rotenberg « La genèse du nouvel ordre mondial ». Ellipses. Paris 1992. P.E. Roosevelt Theodore. P. 27

(21) Christopher Hitchens « Les crimes de Monsieur Kissinger ». Ed. Saint Simon. Paris 2001. 203 pages.

http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5126498&archive_date=2009-09-09

Le prix Nobel de la paix et l’Algérie, une distinction manquée ?
( par Mohamed-Rédha Mezoui )
Partie III et fin

C/ POURQUOI L’ALGERIE A-T-ELLE MANQUE D’ETRE HONOREE PAR UN PRIX NOBEL DE LA PAIX ?

Ils étaient nombreux ceux qui avaient anticipé sur les chances réelles de l’Algérie d’être lauréate du Prix Nobel de la Paix dès l’année 2003. Ces derniers se basaient sur la reconnaissance des prouesses de l’Algérie tant au sortir de la grave crise interne (politique du Pardon), dans son agir diplomatique en faveur de la consolidation de la paix (l’Union africaine, le Nepad, la médiation Ethiopie-Erythrée), que dans sa volonté affichée de mettre en place un Etat de droit dans le pays (élection présidentielle 2004).

C’est-à-dire un ensemble de fait légitimant en toute objectivité la pole position de l’Algérie par rapport à l’ensemble des prétendants à cette distinction. A cela, il avait été pris en compte qu’un rééquilibrage des attributions du Prix Nobel de la Paix vers les pays du Sud devait indéniablement s’opérer pour crédibiliser sa vocation universelle.

Qu’est-ce qui aurait fait que l’Algérie n’a pas été honorée pour cette distinction pourtant annoncée depuis au moins 2003 ?

 Selon les hypothèses avancées par les analystes, il y aurait probablement :

1/ La campagne récurrente du « qui tue qui ? »

La thèse du « Qui tue qui ? » s’apparente à une croisade répétitive au gré de la conjoncture internationale et des positions géopolitiques du pays, accusant l’armée algérienne d’avoir pratiqué une politique « d’Escadrons de la mort » pendant la décennie noire.

Les récentes déclarations du général Butchwalter, ancien attaché militaire à l’ambassade de France à Alger, l’été 2009 (8.7.09 - Liberté), s’apparentent à une nouvelle variante de la thèse répétitive du « Qui tue qui ? », laquelle suscite de nombreuses interrogations d’ordre géopolitique.

2/ L’affaire Bentchicou et ses répercussions négatives sur l’image de l’Algérie (22)

C’est, semble-t-il, aussi à cause de l’affaire du journaliste et directeur du quotidien Le Matin, incarcéré le 14 juin 2005 et condamné à deux années de prison ferme, pour un motif considéré fallacieux par l’opinion publique car, masquant de façon grossière un délit de droit de critique et d’investigation sans lesquels il n’y a pas de presse libre et donc de démocratie.

Une condamnation considérée comme arbitraire et qui a eu pour conséquence la mobilisation de nombreuses ONG, notamment Reporter Sans Frontières (RSF), la Fédération internationale des Journalistes (FIJ) et le président du Parlement européen, Josep Borell Fontenelles (Algeria News le 16.06.2005).

Une sanction qui aurait, selon les observateurs, considérablement entaché l’image de l’Algérie à l’international notamment.

C’est une affaire qui aurait été mal gérée, principalement à cause du vouloir plaire et du zèle déployé par les courtisans, les va-t-en guerre et autres opportunistes qui ont poussés aux décisions extrêmes de suspension du quotidien et de l’emprisonnement de ce patron de presse, connaissant l’exceptionnelle sensibilité du président Abdelaziz Bouteflika pour tout ce qui touche sa famille.

Pourtant, « Savoir encaisser les coups » pour les politologues, c’est pour un président de République une qualité fondamentale » (Cf. les exemples de Tony Blair, Bush, Chirac, etc.).

A ces deux hypothèses avancées pour l’explication de la non attribution du Prix Nobel de la Paix à l’Algérie, pourtant en pole position dès 2003, vient s’en ajouter une autre qui laisse entendre que le pays doit faire un deuil définitif quant à une éventuelle nomination à cette distinction internationale, notamment pour 2009.

Ce palmarès en faveur du monde occidental est le reflet d’une des sources de sa domination sur le reste du monde, notamment par la maîtrise de la technologie qui, elle, est au coeur de la puissance contemporaine des nations.

L’interface du Prix Nobel scientifique, qui est généralement une avancée significative dans la recherche pure, est indubitablement un avantage certain quant à l’ouverture de possibilités opérationnelles de produire des innovations et de les breveter « c’est en cherchant des lois que l’on découvre leurs applications... lesquelles prendront le nom charmant d’innovation dont toutes les structures économiques sont friandes » ( ). Le brevet permet en même temps de mesurer la capacité technologique d’un pays. Il est, avec la licence, ce lien immatériel qui assure le monopole à celui qui le dépose et qui a une valeur marchande, laquelle peut se transformer en une importante source de revenus, et donc une des principales causes de rivalité et d’inégalité, développant une nouvelle théorie, celle de la « guerre économique ».

Les pays comme les Etats-Unis ont compris très tôt l’importance des moyens à accorder au développement de l’économie de la connaissance et à sa nécessaire domination. De son côté, l’Union européenne redouble d’effort pour ne pas se laisser distancer dans ce domaine comme le montre l’augmentation de 40 % la dotation budgétaire pour le « Programme cadre de recherche et de développement technologique » (PCRD), soit 54 milliards d’euros au troisième Salon européen de la recherche et de l’innovation à Paris, le 11.06.2007 (Les Echos 11.06.2007).

Le Prix Nobel est aussi reconnu comme moteur pour la recherche, les résultats sont là quand les moyens y sont aussi. Le Prix Nobel est aussi et surtout une question de moyens.

3/ La transgression des normes

C’est la reconduction forcée en faisant sauter le verrou de la limitation des mandats - prônée par la Constitution - Pour le président Abdelaziz Bouteflika en 2008 qui apparaît comme une réfutation claire de l’application du principe de « l’alternance du pouvoir » (pas plus de deux mandats, sauf exception) comme norme fondamentale du modèle démocratique occidental. Un canon de l’idéologie libérale irrécusable pour les tenants des honorables membres des jurys de l’Académie Royale des Sciences de Stockholm, siège du Prix Nobel. L’Algérie doit-elle s’offusquer de ne plus espérer d’être lauréate d’un Prix Nobel de la Paix ? Surtout lorsque l’on prend conscience que derrière le spectacle de la remise des prix Nobel offert par le faste du cérémonial, la mise en scène, l’appropriation des symboles du progrès, de la science est occulte un instrument de consolidation de l’idéologie capitaliste libérale occidentale en même temps qu’une institution fondamentalement et structurellement inéquitable envers les pays du Sud.

• LA POLITIQUE DU BRAINDRAIN : UN EFFET PERVERS

 La course au progrès scientifique et technologique est un enjeu de pouvoir et de domination des plus implacables. On pourrait même sans crainte paraphraser Machiavel tant « La fin justifie les moyens ». C’est les Etats-Unis qui sont en tête du peloton pour la pratique de la politique du Braindrain. Laquelle est essentielle pour l’aboutissement des objectifs de recherches et d’innovations et de brevets. Il s’agit là de drainer la matière grise complémentaire et indispensable. C’est-à-dire toute celle disponible vers les pays pouvant les utiliser. C’est la politique dite du Braindrain.

L’inégalité des nationalités des brevets déposés en Europe (1997)

 LA POLITIQUE DU « BRAINDRAIN »

Il en est de même pour le Prix Nobel où les « sherpas » recrutés à grands renforts de moyens, n’apparaissent presque jamais à la lumière ou très rarement.

Une prise de conscience de la gravité du problème, quant au départ des compétences et de ces talents, en sciences et en technologie pour le Continent africain notamment, a suscité l’aspiration légitime des pays en voie de développement à vouloir les récupérer mais aussi à oeuvrer à retenir ceux qui ne sont pas partis. Une réflexion forte initiée lors du Colloque international sur la fuite des cerveaux en Algérie (le 02.06.2008 à Koléa/Algérie). Et où, selon le président du Syndicat national des chercheurs permanents, M. Smati Zoghbi, évalue à plus de 40.000 chercheurs algériens qui ont quitté le pays en dix ans (Soir d’Algérie 31.08.2009). Faut-il rappeler quelques réussites d’Algériens médiatisés : Elias Zerhouni (radiologie, USA), Senhadji (médecine Sida, France), ou encore Mohamed Banat (Prix scientifique international en physique nucléaire au Japon - Liberté du 17.07.2003).

L’autre effet pervers dans cette course au progrès scientifique afin de garder l’avance de la maîtrise technologique et éviter d’être rattrapé par d’autres pays, l’attitude des Etats-Unis (entre autres) est significative, attirer des talents coûte que coûte, elle est sans état d’âme et où seule la course vers la puissance compte.

En effet, sa politique du « Braindrain », c’est-à-dire du drainage des cerveaux en s’appliquant, notamment par l’offre de multiples avantages afin d’attirer des centaines de milliers de chercheurs du monde entier. C’est une fuite hémorragique de cerveaux qui est ainsi provoquée pour les autres pays du monde et qui en freine considérablement l’émergence de bon nombre d’entre eux. Une véritable machine à aspirer des milliers d’ingénieurs, de chercheurs, de talents, chinois, coréens, indiens, africains, européens, etc. (1998).

C’est effectivement une véritable cohorte d’individus, anonymes mais talentueux, attirés du monde entier, pour des raisons multiples (financières, honorifiques, émulation, bien-être, etc.) lesquels, à l’instar des lancements d’engins dans l’espace, sont largués successivement comme les étages de propulsion, après utilisation et avoir mis en orbite la fusée spatiale ; la gloire restant exclusivement au pays d’accueil et concepteur de la mission.

Une supériorité qui commence par la priorité donnée à la recherche fondamentale, où les multiples formes pour son encouragement, notamment l’organisation de la machinerie des Nobel.

NOTRE AVENIR DEPEND DE LA RECHERCHE FONDAMENTALE

CONCLUSION :

Le Prix Nobel, en fin de compte, apparaît comme faisant partie de cette machinerie complexe qui a pour mission d’assurer, notamment par son rituel et son faste, la captation des savoirs, de la technologie et des talents dans le monde au profit des puissants.

« Notre avenir dépend de la recherche fondamentale », soulignait le président de l’Académie des Sciences de France, Edouard Brézin (Le Monde 12.02.2005). Et c’est là une des fonctions du Prix Nobel des Sciences, en organisant l’émulation et la compétition dans cette direction.

Dans sa déclinaison « Pour la Paix », le Prix Nobel a pour principale tâche de soutenir la reproduction et la défense d’un modèle capitaliste libéral et de ses canons idéologiques. Notamment par la production d’une communication émotionnelle mondiale pour un partage forcé d’un lien social global.

Le Prix Nobel s’apparente ainsi aux compétitions de courses automobiles de formule 1, où seules les grandes écuries (multinationales ou lobbies) dotées de puissants moyens financiers, techniques et humains, peuvent prendre place dans les circuits et donner le spectacle de la puissance, du prestige et de la gloire.

Une démonstration de force suscitant l’allégeance des faibles.

C’est à cette inéquitable structure des Prix Nobel, et en particulier celui de « de la Paix » qu’il faut réfléchir afin de trouver impérativement des alternatives, car l’histoire montre que l’hégémonie sous toutes ses formes est source de violence.

Trouver les moyens d’organiser la récompense, la distinction, la reconnaissance « des justes » de toutes la planète est socialement vitale pour l’humanité.


Mohamed-Rédha Mezoui
Professeur de l’enseignement supérieur, Politologue (Alger).

Références :

(22) Affaire Bentchicou. Algeria watch. 21.07.2005. www.algeria.watch.org

(23) Henri Laborit. Op cit. P. 314

http://www.lequotidien-oran.com/index.php?news=5126544&archive_date=2009-09-09